jeudi 31 janvier 2008

La flamme olympique sur l'Everest - Charlie Buffet

Le Monde - Page Trois, vendredi, 1 février 2008, p. 3

Pour pouvoir filmer un alpiniste chinois brandissant la torche sur le Toit du monde trois mois avant l'ouverture des JO de Pékin, les autorités n'ont pas lésiné.
Au sommet de l'Everest, la pression atmosphérique est trois fois plus faible qu'au niveau de la mer. Les techniciens de China Aerospace ont donc imaginé de placer la torche sous " assistance respiratoire ". La flamme olympique sera alimentée par un mélange de propane et d'oxygène. Mais comme ce brûleur produirait la même flamme bleue et peu photogénique qu'un réchaud à gaz, une deuxième rasade d'oxygène sera " vaporisée " dessus pour produire une belle lumière jaune.

Un jour de mai 2008, trois mois avant l'ouverture des Jeux de Pékin, un alpiniste chinois doit brandir la flamme olympique au sommet de l'Everest, à 8 848 mètres d'altitude. Grâce aux équipes de la CCTV, ce temps fort du compte à rebours des JO 2008 pourra être retransmis en direct dans le monde entier.

Pékin ne laissera rien au hasard pour que la réussite soit complète et que le symbole ait toute la portée voulue. Selon le plan approuvé par le CIO, ce " défi aux capacités humaines, sommées en quelque sorte d'atteindre de nouveaux sommets de courage et d'endurance " permettra de " transmettre un message de paix et d'amitié et partager la joie et la passion des Jeux avec le monde entier ". Le monde verra donc la torche olympique briller sur Qomolangma, le sommet de la Chine et du monde. Après avoir " mis en valeur les paysages du Tibet ", la torche poursuivra son " itinéraire de la concorde ", portée par près de 22 000 volontaires à travers une centaine de villes chinoises, pour atteindre Pékin le 8 août, jour de la cérémonie d'ouverture.

A première vue, c'est limpide comme l'air des hautes altitudes. Mais quand on y regarde de plus près, le projet se révèle à la fois complexe et pas aussi désintéressé que l'idéal olympique.

Le premier obstacle est d'ordre physique. Au sommet de l'Everest, la pression atmosphérique est trois fois plus faible qu'au niveau de la mer, une flamme s'essouffle aussi sûrement qu'un homme. Les techniciens de China Aerospace ont donc imaginé de placer la torche sous " assistance respiratoire ". De même que les alpinistes chargés de la porter sur le Toit du monde utiliseront de l'oxygène en bouteille, la flamme olympique sera alimentée par un mélange de propane et d'oxygène. Mais comme ce brûleur produirait la même flamme bleue et peu photogénique qu'un réchaud à gaz, une deuxième rasade d'oxygène sera " vaporisée " dessus pour produire une belle lumière jaune. Après essais, le Comité d'organisation assure que la torche pourra résister à des vents de 65 km/h - un seuil souvent franchi sur les pentes supérieures de l'Everest...

Une fois réglée la question de l'outil, reste un petit casse-tête logique. Le capitaine Wang Yongfeng, chef de l'équipe des alpinistes, a annoncé que le relais " commencerait à 8 300 mètres d'altitude ". Comment l'ascension peut-elle " démarrer " à une altitude où aucun hélicoptère n'est capable de se poser ? La solution est un petit tour de passe-passe : après avoir été allumée à Olympie, la flamme va se dédoubler à son arrivée à Pékin, le 31 mars. Une première torche partira pour un tour du monde d'un mois, tandis que son clone gagnera le camp de base de l'Everest puis se mettra en position au dernier camp, à 8 300 m. Une fois la flamme de retour en Chine, le 4 mai, le relais pourra s'arrêter à tout instant pour ouvrir la parenthèse himalayenne. Le jour J, quand les conditions météo seront bonnes, les caméras de CCTV suivront en direct l'ascension vers le Toit du monde, puis sa descente jusqu'à Lhassa, où la torche numéro 2 attendra le passage de la torche numéro 1.

L'ascension du Toit du monde n'est certes plus l'aventure qu'elle resta pendant le premier quart de siècle suivant la victoire de Tenzing et Hillary. Mais elle reste aléatoire. Pour assurer le succès, les organisateurs ont un atout : la logistique. Depuis une quinzaine d'années, le versant chinois de l'Everest est " occupé " chaque printemps par des expéditions commerciales qui sécurisent la montagne avec l'aide de sherpas venus du Népal et, de plus en plus, du Tibet.

Cette mécanique est bien rôdée : installées dans des camps de base tout confort, commandant leurs légumes frais par téléphone portable dans la ville tibétaine voisine, ces expéditions emmènent jusqu'à 80 % de leurs clients au sommet. Plus de 600 alpinistes ont réussi l'Everest en 2007. Cet automne, le guide néo-zélandais Russell Brice, l'un des plus expérimentés des tour-opérateurs du Toit du monde, est passé à Pékin pour régler l'organisation de cette saison particulière. Comme chaque année, il dépensera 30 000 dollars pour que son équipe de 30 sherpas équipe la montagne, de la base jusqu'au dernier mètre, d'une ligne de vie ininterrompue : 10 km de cordes fixes. A Pékin, il a obtenu l'autorisation de rester présent à l'Everest ce printemps. Il collaborera avec les 80 alpinistes chinois du team olympique pour équiper la montagne, puis une fois l'opération flamme achevée, le business reprendra comme d'habitude, chaque client des autres expéditions acquittant un " péage " de 100 dollars pour l'utilisation des cordes fixes.

Au pied de l'Everest, il y aura des tonnes de matériel de diffusion acheminées par camion, des antennes géantes pour le réseau de China Mobile, un radar, un ballon pour les prévisions météo... Les 100 km de piste menant au camp de base ont été transformées en quatre mois en une route moderne. Tout est prêt pour le show, en direct... ou presque. Les téléspectateurs chinois verront, comme d'habitude, les images en très léger différé : quelques secondes, le temps d'intervenir en cas d'imprévu.

Une répétition générale de l'opération Everest a été organisée en secret au printemps 2007. Avec succès, à un détail près. Le 25 avril, trois jeunes militants américains de Students for a Free Tibet ont déployé au camp de base une banderole détournant le slogan olympique : " One world, one dream, free Tibet ". L'un d'eux, portant sur son tee-shirt orange " Non à la flamme au Tibet ", a allumé une " torche de la liberté " et entonné l'hymne national tibétain. La date n'avait pas été choisie au hasard. Le 25 avril était le jour du 18e anniversaire du panchen lama, le second plus haut dignitaire du bouddhisme tibétain, détenu depuis l'âge de 6 ans. " Le gouvernement chinois espère utiliser les Jeux pour dissimuler la brutalité de son occupation du Tibet et se faire accepter sur la scène internationale comme un pouvoir moderne, expliquent les militants sur leur site Internet. Le mont Everest n'est pas en Chine, il est au Tibet, tout près de l'endroit où des garde-frontières chinois ont tiré sur des réfugiés tibétains en septembre dernier " (une jeune femme avait été tuée). Les militants ont été arrêtés, puis expulsés. Après avoir récidivé cet été en déployant une banderole sur la Grande Muraille, les militants ont promis de ne pas en rester là : " La Chine peut s'attendre à des protestations de même nature avant et pendant les jeux. "

Pékin est prêt à tout pour diffuser des images de " concorde " lors des " jeux du peuple ". Le cyberdissident Jing Chu avait écrit des articles contre la tenue à Pékin des " Jeux olympiques menottés, qui n'apporteront que du malheur à la population ". Il a été arrêté le 20 décembre 2007 pour " subversion du pouvoir de l'Etat " et risque plusieurs années de prison.

Petit rappel pour ceux qui seraient tentés de voir dans cette affaire un dévoiement des idéaux olympiques : le logo des cinq anneaux de couleur, dessiné par Pierre de Coubertin, fut popularisé en 1936 lors des JO de Berlin. Le premier relais de la flamme olympique eut lieu cette année-là, et fut un triomphe de la propagande nazie.

Charlie Buffet

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LITTÉRATURE - Le totem du loup - Jiang Rong

Lire, no. 362 - Actualité littéraireRomans étrangers, février 2008, p. 67-69

Le totem du loup s'est déjà vendu à 20 millions d'exemplaires. Avec ce brûlot devenu le bréviaire de toute une génération, l'empire du Milieu poursuit son ouverture. Rencontre avec un écrivain sous surveillance, qui bouscule les dogmes et défie le pouvoir.

De notre envoyé spécial à Pékin

L'homme est discret. Calme. Presque fade. Il porte une chemise grise qu'il a boutonnée jusqu'au col et sur laquelle il a enfilé deux épais pull-overs. C'est qu'il fait froid, à Pékin. Ses grosses lunettes à monture d'écaille achèvent de lui donner l'apparence d'un Chinois comme les autres. « Je fais tout pour me fondre dans la masse, pour ne pas me faire remarquer », confie-t-il avant de vérifier que les portes coulissantes de cette alcôve discrète d'un hôtel du centre-ville ont bien été refermées après le départ de la serveuse qui a orchestré la traditionnelle cérémonie du thé. Jiang Rong est devenu, en moins de quatre ans, l'écrivain le plus célèbre de Chine. Un écrivain sous surveillance, que l'on n'ose censurer mais qu'on ne laisse pas s'exprimer. Lui-même se plie à la règle tacite édictée par les pontes de Pékin : il n'accorde aucune interview, fuit les manifestations publiques, s'interdit d'écrire le moindre commentaire politique et refuse toujours de dévoiler son nom - Jiang Rong est un pseudonyme. « Il y a quatre ans, se souvient son éditeur chinois, An Boshun, ce pseudo était un mystère ; aujourd'hui, tous les dignitaires savent qui se cache derrière ce nom mais le grand public doit continuer de l'ignorer... Cela pourrait créer des ennuis. »

Or, des « ennuis », Le totem du loup en a suffisamment causé aux éminents membres du Parti communiste chinois. Car ce roman d'aventures est, en fait, un véritable brûlot. Le livre qui tirera peut-être la Chine du long sommeil dogmatique dans lequel l'a plongée le régime de Mao, « le pire système totalitaire que la terre ait porté » selon le sinologue Jean-Luc Domenach *. Depuis sa parution, en avril 2004, ce roman s'est écoulé à plus de 20 millions d'exemplaires en Chine. Un chiffre record, sans aucun précédent. « Et qu'on ne reverra sans doute jamais », ajoute An Boshun, pas peu fier de l'avoir publié sans être censuré par le pouvoir. Pas de censure, donc, mais des articles au vitriol rédigés par des « intellectuels » officiels, furieux d'être débordés par la vague « esprit du loup » qu'ils accusent tour à tour d'être « fasciste », « révisionniste », « réactionnaire » ou « libérale ».

Vingt millions d'exemplaires, dans un pays qui compte un milliard quatre cents millions d'habitants, voilà qui correspond à un ratio raisonnable, objectera-t-on peut-être... Eh bien, non. Les chiffres, parfois, donnent le tournis : ici, un roman se vend en moyenne à 4 000 exemplaires et coûte l'équivalent de 3 euros ; un best-seller atteint les deux cent mille et, par comparaison, Da Vinci Code ou Harry Potter, les deux autres grands succès de ces dernières années, se sont écoulés respectivement à 5 et 6 millions d'exemplaires. Encore faut-il préciser que ces chiffres s'entendent toutes éditions confondues, c'est-à-dire en incluant... les livres pirates. Dans le cas du Totem du loup, An Boshun estime à environ 17 millions les éditions pirates ! « Il nous est impossible de lutter contre ces contrefaçons qui inondent le marché et sont en tout point semblables à nos livres », soupire l'éditeur. Pour éviter une propagation trop large de l'oeuvre, il a eu l'idée de la mettre en ligne sur Internet où elle est intégralement téléchargeable. C'est donc bien plus de 20 millions de lecteurs qui dissèquent fiévreusement Le totem du loup : en Chine, bien sûr, où le Web est devenu un véritable instrument de contestation et d'émancipation, mais aussi à l'étranger, dans les Chinatowns américains (en particulier à New York) où des professeurs d'économie et de littérature se livrent à des analyses subtiles sur l'impact du roman sur la société chinoise et cela avant même que le livre ne soit en vente dans les pays anglo-saxons (il paraîtra le 1er mars prochain). L'éditeur Penguin l'a acheté une petite fortune. Au total, c'est 26 traductions qui verront le jour en 2008 ! A Pékin, Shanghai ou Hong Kong, les enseignants le font lire aux lycéens, ravis. Et le réalisateur Peter Jackson mène actuellement d'âpres négociations pour acheter les droits cinématographiques de ce roman dont le foudroyant succès tient aussi aux qualités visuelles de l'écriture : au fil des pages, le lecteur découvre, dans la steppe de Mongolie, un paysage sauvage à la beauté terrible.

Le loup : une métaphore de la société

Lorsqu'on évoque devant lui l'incroyable fortune de son roman, Jiang Rong ne montre aucun signe d'excitation. Ce qu'il souhaite par-dessus tout, c'est que les lecteurs saisissent le sens de la métaphore qu'il a habilement glissée derrière cette histoire. Car ce roman n'est pas seulement un hymne aux grands espaces, un grand livre écologique invitant à vivre en harmonie avec la nature, bref un ouvrage « dépourvu de tout message politique », comme le martèle, prudent, son éditeur pékinois. C'est une charge terriblement efficace contre un peuple accusé d'être responsable de sa propre misère : si les Chinois subissent le joug des dictatures, écrit en substance l'auteur, c'est parce qu'ils se comportent comme des moutons et non comme des loups. « Le loup est un animal qui ne se résigne jamais, explique Jiang Rong. Il préférera mourir plutôt que vivre sans liberté. Les cinq traits de son caractère sont les suivants : liberté, indépendance, compétition, résistance et esprit d'équipe. Or les Chinois sont totalement dépourvus de ces qualités. Au contact des loups, ils peuvent apprendre à les développer. » Encore faut-il convaincre ce peuple de « moutons » que les loups ne représentent pas, comme leurs légendes le racontent, le mal absolu. C'est ce que fait Jiang Rong en contant l'histoire, très largement autobiographique, d'un jeune homme décidé à servir la cause de la Révolution culturelle. Chen Zhen, le héros du roman, s'installe dans une ferme perdue de Mongolie-Intérieure avec ses convictions de citadin. Cet indécrottable sédentaire découvrira que les loups ne sont pas les ennemis de l'homme mais, au contraire, les protecteurs de la steppe. Bête féroce et détestable pour les Chinois, le loup est le totem des Mongols. Jiang Rong aime rappeler que la civilisation mongole incarne le plus grand mystère de l'histoire de la Chine. Et de citer le grand sinologue René Grousset, membre de l'Académie française, mort en 1952 : « Les Mongols représentent 1 % de la population chinoise. Comment expliquer que 120 000 cavaliers mongols aient réussi, sous Gengis Khan, à conquérir la totalité de la Chine, de la Russie, du Moyen-Orient et de l'Europe ? Ils portaient en eux la philosophie du loup. »

Tout est là, dans cette « philosophie du loup » que Jiang Rong entend bien ressusciter. Une philosophie qui récuse non seulement le confucianisme mais aussi la stratégie classique, telle que Sun Zi, auteur du célèbre Art de la guerre, l'avait définie. Certes, le confucianisme est à Confucius ce que le marxisme est à Marx : un détournement de pensée. Mais cette doctrine, suggère Jiang Rong, a préparé le terrain aux tyrannies politiques qui se sont succédé en Chine. Jean-Jacques Augier, ancien directeur des éditions Balland et P.O.L, désormais homme d'affaires installé à Pékin (c'est lui qui a acheté les droits français du Totem du loup) renchérit : « Les Chinois sont, au fond d'eux-mêmes, des individualistes. Mais leur culture forme un cadre très dur duquel ils ne parviennent pas à sortir. L'une des raisons est que le confucianisme a fait triompher ce cadre : c'est une "sagesse" qui apprend à se tenir tranquille, à respecter la famille et l'autorité, donc le pouvoir en place, bref qui encourage les tempéraments de moutons plutôt que de loups. » Bien vu ! Quand l'Occident new age se pâme devant des maximes du genre « Mieux que comprendre : aimer », Jiang Rong réplique que cette sentence de Confucius a sans doute sa valeur appliquée à la vie sentimentale mais que, lorsqu'elle concerne la vie politique, elle impose un strict respect des lois qui conduit le citoyen à aimer sa condition de soumis sans chercher à comprendre quoi que ce soit. Voilà précisément ce qui distingue Le totem du loup des niaiseries métaphysico-gnangnan qui ont vu le jour dans le sillage de L'alchimiste (le navet sidérant et dangereux de Paulo Coelho). Le totem du loup, sans être un roman à thèse, illustre parfaitement la « dialectique du maître et de l'esclave » chère à Hegel : le maître est celui qui a pris le risque de mourir au cours d'une bataille - symbolique - pendant laquelle il sait qu'il peut être vaincu ; l'esclave, au contraire, est celui qui ne veut pas courir le risque de mourir et préfère se contenter d'une vie misérable.

Roman initiatique sur fond de fable écologique

Lorsqu'il évoque son unique livre (« J'ai mis six ans à l'écrire, je le porte dans ma tête depuis trente ans : je n'écrirai rien d'autre »), Jiang Rong cite abondamment les écrivains qui l'ont marqué : Jack London, bien sûr, pour la vie au milieu des loups, mais aussi Rousseau, « pour la description de l'état de nature », et Stendhal, « parce que Julien Sorel est l'un des personnages les plus libres qui soient ». Adolescent, il les a découverts en même temps que Romain Rolland et Jane Austen, Van Gogh et la nouvelle vague. Autant d'oeuvres interdites par le régime maoïste car jugées « bourgeoises ». Même s'il est truffé de clins d'oeil à ces oeuvres, Le totem du loup a triomphé pour une raison plus prosaïque : la parfaite connaissance que l'auteur possède des loups. « Contrairement à Jack London, que j'admire énormément, j'ai vraiment vécu avec les loups, raconte Jiang Rong. J'ai passé onze ans en Mongolie-Intérieure. » Dont trois en prison. Motif : en 1970, il avait critiqué un dirigeant de l'époque ainsi que les politiques culturelles de la Révolution.

Jiang Rong en parle peu, ne pose pas au martyr, mais sait ce que lutter veut dire : quatre condamnations, trois ans de prison en Mongolie-Intérieure (« La nuit, la température descendait à moins 18 degrés »), puis un an et demi de prison après l'insurrection manquée de Tiananmen (« Je dirigeais un syndicat. Ils m'ont arrêté à l'aube »). « Il y a encore cinq ans, un roman comme celui-ci n'aurait jamais pu être publié », explique-t-il. Son éditeur confirme. « Aujourd'hui, la Chine a changé et est sur la bonne voie, celle de la démocratisation, poursuit Jiang Rong. Mais il faut aller plus loin : se mettre à l'école du loup. » Le totem du loup invite donc clairement les Chinois à ne plus être les moutons que le régime communiste a élevés. Apprendre la force du loup mais aussi sa patience, voilà qui réveillera l'instinct de chasseur qui sommeille en chacun, permettra de combattre et de vaincre. La bataille, aujourd'hui, n'est plus militaire, mais économique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les autorités chinoises ont renoncé à censurer ce petit bréviaire de subversion : d'une certaine façon, il invite les Chinois à se préparer pour affronter l'économie de marché. Des dizaines de milliers de chefs d'entreprise ont offert le roman à leurs salariés, espérant les métamorphoser en loups, quelques-uns des hommes les plus riches de Chine en ont fait leur livre de chevet, et l'on murmure que les plus hauts dirigeants du parti communiste eux-mêmes l'auraient lu et apprécié. Reste que ces dirigeants, s'ils accompagnent le mouvement d'émancipation des esprits qui a suivi l'ouverture économique de ces dernières années, refusent de perdre la face. Jiang Rong l'a parfaitement compris et prend soin de ne pas les humilier : il ne cède pas aux sirènes de la médiatisation, ne pose pas en porte-parole. « Le loup, rappelle-t-il, peut passer des heures à observer ses proies sans les attaquer même s'il meurt de faim. Il peut même renoncer à un troupeau de gazelles s'il sent que cette attaque peut, à terme, le mettre en danger : j'essaie d'appliquer ce principe à ma vie quotidienne. »

Roman initiatique mené tambour bat- tant sur toile de fond écologique, Le totem du loup n'a pas fini de susciter de vifs débats, y compris dans un Occident où la sauvegarde de la planète se heurte souvent à une vision un peu trop sucrée de la vie et où l'éloge du loup passe mal : « Certes, il faut chasser les loups afin de les empêcher d'égorger les troupeaux, mais dans une certaine mesure seulement : il ne faut pas en tuer trop car si les loups disparaissaient de la steppe, elle mourrait à son tour », écrit Jiang Rong. Le totem du loup est-il ce roman réactionnaire et fasciste que dénoncent les édiles chinois ? Jiang Rong balaie l'argument : « On peut s'armer de l'esprit du loup pour accomplir des exploits admirables comme pour perpétrer des crimes fascistes. Le bon ou le mauvais usage qu'on en fait dépend de l'homme. Mais une chose est sûre : à défaut de cet esprit inflexible, on n'est pas de taille à vaincre le fascisme ou le bushido. » Jiang Rong, lui, le résistant inflexible, vient de nous faire comprendre ce que pouvait être l'usage d'un livre : changer le monde.

* Dernier ouvrage publié : Comprendre la Chine d'aujourd'hui, Perrin, 2007.

Voir l'extrait page 70.

FRANÇOIS BUSNEL

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Le Totem du loup

EN IMAGES - Les intempéries en Chine

mercredi 30 janvier 2008

DROIT - Chine : un environnement juridique plus complexe - Arnaud Depierrefeu

Les Echos, no. 20099 - Compétences, mercredi, 30 janvier 2008, p. 13

L'année 2008 ouvre une étape majeure dans la frénésie législative que connaît la Chine depuis son adhésion à l'OMC en décembre 2001.

La loi sur les contrats de travail du 29 juin 2007 impose depuis le 1er janvier 2008 des obligations complémentaires à tous les employeurs dans le recrutement et le licenciement de leurs salariés. En matière de relations collectives sera mise en place une obligation de consulter les instances représentatives du personnel et les syndicats, en voie de constitution ou de développement, sur les questions essentielles intéressant les salariés. La loi sur la fiscalité des entreprises du 16 mars 2007, également en vigueur depuis le 1er janvier, a supprimé les avantages les plus significatifs ouverts aux investisseurs étrangers et mis en place un taux uniforme d'imposition des bénéfices de 25 %. Le fait d'implanter une unité de production ou de destiner sa production à l'exportation n'est plus fiscalement encouragé. L'implantation dans une zone économique spéciale n'ouvre plus droit à un régime dérogatoire. Un système d'avantages fiscaux plus sélectifs sera mis en place, non plus par origine des capitaux mais par nature de l'activité (nouvelles technologies notamment).

Les acquisitions d'entreprises à capitaux chinois par des étrangers, de plus en plus fréquentes, vont subir de nouveaux aménagements. A la suite d'un texte controversé du 8 août 2006, pas moins de 20 textes réglementant les acquisitions sont annoncés d'ici au 1er août 2008, date d'entrée en vigueur d'une nouvelle loi antimonopole votée le 30 août 2007. Certes, les considérations politiques ne sont pas étrangères à cet activisme : la volonté de protéger certains secteurs ou emblèmes contre les capitaux étrangers est réelle. Mais n'est-elle pas aussi mise en oeuvre en France, singulièrement lorsque des Chinois s'intéressent à un fleuron de notre industrie ?

Mieux réguler l'économie

Les évolutions s'expliquent surtout par la nécessité de mieux réguler une économie en voie de maturation rapide : les règles du jeu changent parce que le marché lui-même a considérablement changé. Moins nombreux sont les étrangers qui veulent produire à bas coûts pour réexporter vers leur marché d'origine. Beaucoup s'installent désormais en Chine pour servir le marché chinois, dont les besoins augmentent et se complexifient. La distribution et les services tendent à supplanter les investissements purement industriels.

La transformation de la physionomie des investissements étrangers sera amplifiée par le nouveau catalogue d'orientation en vigueur depuis le 1er décembre 2007. Ce document de référence établi conjointement par la NDRC (l'organisme central de planification) et le Mofcom (le ministère du Commerce) répertorie 478 secteurs : 351 secteurs sont encouragés (+ 94 entrées par rapport au précédent catalogue), 87 restreints (+ 9) et 40 interdits (+ 5). Il encourage notamment les industries les plus innovantes, les centres de R&D, les technologies de l'environnement, mais aussi certains services de pointe (outsourcing de services informatique et de management, services d'appui aux banques, centres d'appels et de traitement des données).

La Chine cherche ainsi à confirmer l'évolution de son positionnement dans l'échelle mondiale de la production et des services : elle veut attirer les activités à valeur ajoutée nécessaires au développement de son marché intérieur et ne pas laisser à l'Inde le monopole de la sous-traitance de la matière grise. Son intégration dans l'économie mondiale explique aussi certains bouleversements : la suppression d'avantages fiscaux réservés aux étrangers résulte de la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement. La plupart des nouveaux textes sont applicables indifféremment aux entreprises à capitaux chinois et à celles à capitaux étrangers, manifestant la convergence progressive du droit des investissements étrangers avec le droit commun des affaires. Les investisseurs étrangers sont toujours les bienvenus, mais ils doivent apprendre à se développer en tenant compte d'un environnement économique et juridique plus complexe. La Chine n'est pas moins accueillante mais sûrement plus exigeante pour qui veut y réussir.

Note(s) :

(*) Avocat au barreau de Paris, cabinet Adamas à Shanghai.

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Un groupe chinois s'empare du vignoble du château Latour-Laguens

Le Figaro - mercredi, 30 janvier 2008

Les Chinois ne sont plus seulement des importateurs de vin, ils veulent aussi devenir producteurs. À cet effet, ils n'hésitent plus à s'offrir un château bordelais, garantie d'une image de prestige. Le 24 janvier, le groupe chinois Longhai International Trading Co Ltd, propriété de la famille Cheng, a mis la main sur le château Latour-Laguens dans le Bordelais. Une première dans la viticulture française !

Longhai International récupère ainsi une propriété de 60 hectares, dont 30 hectares de vignes, et une demeure de 600 mètres carrés. Ce château, situé à Saint-Martin-du-Puy, dans l'Entre-deux-Mers, produit chaque année environ 160 000 bouteilles de vin classé dans l'appellation Bordeaux-Bordeaux supérieur. « Une comtesse du Luxembourg, un investisseur belge et un propriétaire maltais étaient aussi sur les rangs, mais les Chinois, très motivés, ont su offrir le bon prix », indique Daniel Carmagnat, responsable de l'agence immobilière A2Z Agency à Sainte-Foy-la-Longue. Selon nos informations, le montant de la cession avoisine les 2 millions d'euros.

Château Latour à la TV chinoise

Ce domaine viticole était la propriété de la famille Laguens depuis deux générations. « J'ai deux enfants qui n'étaient pas intéressés par la reprise de cette propriété, d'autant que ma fille est déjà à la tête d'un autre domaine viticole », raconte au Figaro Serge Laguens, le propriétaire du château Latour-Laguens. Plus que posséder un vin de Bordeaux, ce groupe chinois était surtout motivé par l'idée de mettre un pied dans ce qu'il considère comme le meilleur vignoble du monde.

« Ils étaient fascinés par l'architecture de ce château, un vrai château à la Walt Disney, avec 500 ans d'antériorité en plus », raconte le responsable de l'agence immobilière.

Le groupe Longhai International prospecte dans le Bordelais depuis près d'un an. Il dispose d'une filiale spécialisée dans l'importation de vin. Longhai connaît le Bordelais pour y former déjà ses œnologues. C'est la fille du propriétaire de ce groupe qui va gérer cette exploitation viticole. Très réactive, elle a déjà traduit en chinois le site Internet du château.

« Longhai compte sur les Jeux olympiques pour accélérer sa croissance. Des espaces publicitaires ont déjà été réservés sur les télévisions chinoises pour promouvoir le château Latour-Laguens », explique Daniel Carmagnat qui s'est spécialisé dans la cession de ce genre de propriétés.

Longhai a compris que c'était le bon moment pour investir dans le Bordelais. « Le marché est à un prix plancher, qui tourne autour de 18 000 à 20 000 euros l'hectare pour les bordeaux et bordeaux supérieurs, soit plus de deux fois moins cher qu'il y a trois ans », précise Hervé Olivier de la société de gestion foncière agricole Aquitaine-Atlantique. Une stagnation des prix qui découle de la crise de surproduction que traverse actuellement le vignoble bordelais. Des investisseurs internationaux veulent en profiter pour acquérir quelques belles propriétés à des prix très raisonnables. « Les propriétés se vendent de moins en moins entre Français. 60 % des transactions se font avec des investisseurs qui n'étaient pas présents dans le vin » , confie Daniel Carmagnat.

Les Chinois apprécient de plus en plus les grands crus. Les exportations de vins de Bordeaux vers ce pays sont en progression annuelle de 100 % en volume. Le groupe Longhai a bien conscience de cette réalité. Il prévoit d'autres acquisitions dans les mois à venir.

LIRE AUSSI L'ARTICLE : "Les Chinois nouveaux adeptes du vin français" - Didier Hugue

LIRE AUSSI L'ARTICLE : "Malgré la crise, Martell mise sur des cognacs à prix d'or" - Ivan Letessier

PHOTO - Serge and Hélène Laguens showing off the grounds of Château Latour-Laguens to Haiyan Cheng and her translator, Yin Kai. Ms. Cheng’s father bought the property for about $3 million.

mardi 29 janvier 2008

La Chine prévoit de construire une centaine d'aéroports d'ici 2020

AFP - dimance, 27 janvier 2008
La Chine prévoit de construire 97 aéroports d'ici 2020 pour répondre aux besoins de la forte croissance du transport aérien, en investissant 450 milliards de yuans (plus de 42 milliards d'euros), a indiqué l'Administration de l'aviation civile. Selon un programme approuvé par le Conseil d'Etat (gouvernement), "d'ici 2020, le nombre des aéroports en Chine sera de 244, soit 97 de plus par rapport à la fin 2006", a indiqué l'Administration dans un communiqué publié vendredi soir sur son site internet.

Le Prince Charles n'ira pas aux JO

Le Soir - PETITE GAZETTE, mardi, 29 janvier 2008, p. 40

Le prince Charles pourrait bien manquer à l'appel lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin. L'association Free Tibet lui aurait demandé, dans une correspondance privée, de ne pas y assister. Une requête à laquelle le prince aurait répondu favorablement, en raison de son intérêt pour le Tibet, occupé par la Chine depuis 1951.


lundi 28 janvier 2008

La Chine, Eldorado complexe pour un marché du disque en crise - Sylvain Siclier

Le Monde - Culture, mardi, 29 janvier 2008, p. 25
En avant toute... vers l'Asie. Dimanche 27 janvier, au Marché international du disque et de l'édition musicale (Midem), dans ce laboratoire qu'est le MidemNet Forum, une conférence entendait éclairer les professionnels sur le marché asiatique alors que les ventes de disques mondiales continuent de chuter. Marché prometteur, mais le chemin à suivre semble tortueux pour gagner cet Eldorado : être patient mais agir vite, être ferme sur le copyright tout en faisant preuve de souplesse. SUITE

Adieu cochons, bonjour les rats - Sylvie Kauffmann

Le Monde - Dernière heure, mardi, 29 janvier 2008, p. 32
La mondialisation ne respecte rien, pas même la tradition quatre fois millénaire du Nouvel An chinois. L'année lunaire qui, en 2008, s'ouvre le 7 février, soit deux lunes après le solstice d'hiver, est placée sous le signe du Rat, mais ce rat-là a de drôles d'oreilles. Rondes, noires, luisantes... Disney n'allait pas laisser passer une pareille occasion, et, à Hongkong, l'année du Rat est en train de se transformer en " Year of the Mouse " - Mickey Mouse, bien sûr. SUITE

VOISIN - Le Bouthan peut-il faire rêver ? - Francine Aizicovici

Le Monde - Economie, mardi, 29 janvier 2008, p. MDE2
Mais qu'est donc devenu le discret royaume du Bhoutan depuis son invention du bonheur national brut (BNB), qui semble faire rêver l'Occident aujourd'hui ? Ce petit Etat bouddhiste de 600 000 habitants enclavé entre deux géants, l'Inde et la Chine, est longtemps resté dans son splendide isolement. Son ancien roi, Jigme Singye Wangchuck - qui a abdiqué en faveur de son fils en 2006 - avait déclaré en 1972 : " Le bonheur national brut est plus important que le produit national brut. " SUITE

PHOTO : Christine/My Adventure in China

CHIFFRE - 8,8 millions de voitures

Le Monde - Economie, mardi, 29 janvier 2008, p. MDE5

C'est, en millions, le nombre de voitures vendues en Chine en 2007, soit une hausse de 22 % par rapport à l'année précédente. Le pays a atteint un nouveau record et se place au deuxième rang du marché mondial automobile derrière les Etats-Unis. 53,76 % des ventes étaient des berlines. Les constructeurs chinois ont également réalisé une production record en 2007 avec 6,3 millions de voitures fabriquées.

(MISE À JOUR AVRIL 2009) DERNIER CHIFFRE - 32 000 voitures vendues par jour

Liu Xiang, médaille d'or du Parti communiste - Pierre Haski

Rue89 - Chinatown, dimanche 27 janvier 2008

Le saut d'obstacle, ça peut aider en politique... C'est ainsi que Liu Xiang, champion olympique et recordman mondial du 110 mètres haies, vient d'être sélectionné pour faire partie du Conseil représentatif du peuple chinois (CPPCC), la chambre haute du parlement chinois, un organisme purement symbolique.

Liu Xiang est une véritable star en Chine, depuis qu'il a remporté le 110 mètres haies aux JO d'Athènes, et qu'il a battu le record du monde en 2006 à Lausanne (12"88). Il est le premier Chinois à percer dans l'athlétisme, et il entend bien récidiver cet été aux JO de Pékin. Il occupe une telle place dans l'équipe chinoise des JO que son corps a été assuré pour 100 millions de yuans (environ 9 millions d'euros) en cas de blessure d'ici au 8 août.

Depuis sa victoire d'Athènes, il figure sur d'innombrables publicités, spots de promotion, affiches de propagande, cartes de crédit, cannettes de boisson et "unes" de magazines, et des nouveaux-nés recoivent son nom. Il a rejoint Yao Ming, le célèbre basketteur chinois de la NBA américaine, au hit-parade des sportifs chinois devenus des superstars

Membre du Parti communiste, sportif modèle auquel on ne connait aucun défaut, il incarne à 25 ans une vitrine de choix pour le pouvoir à l'approche des JO, temps fort de cette "année de la Chine" à l'échelle mondiale. Son entrée au CPPCC est purement symbolique: cet organisme de 2237 membres se réunit en grande pompe une fois par an et rassemble des Chinois méritants de toutes les origines ethniques et sociales, en principe pour discuter des affaires du pays. Mais l'important, c'est le symbole: le Dieu du stade est aussi un bon camarade du Parti, pour les dirigeants chinois cette recrue vaut ... de l'or.

RETROUVER ICI LES AUTRES ARTICLES SUR LIU XIANG

OPINION - L'année du « modèle chinois » - Ian Buruma

Les Echos, no. 20097 - Idées, lundi, 28 janvier 2008, p. 15

L'année 2008 sera celle de la Chine. Les jeux Olympiques - qui seront sans doute parfaitement organisés, sans un seul manifestant, clochard, dissident religieux ou autre trouble-fête en vue - rehausseront probablement le prestige global de la Chine. Alors que l'économie américaine est enlisée dans un bourbier de crédits immobiliers insolvables, l'économie chinoise poursuivra sa croissance fulgurante.

De nouveaux gratte-ciel audacieux, conçus par les plus célèbres architectes, feront de Pékin et de Shanghai des modèles de la modernité du XXIe siècle. Davantage de Chinois apparaîtront sur les listes annuelles des plus grandes fortunes mondiales. Et les oeuvres des artistes chinois atteindront, lors des ventes aux enchères internationales, des prix auxquels les autres artistes ne peuvent que rêver.

Se relever d'un dénuement presque total et d'une tyrannie sanglante en une seule génération est une prouesse pour laquelle la Chine ne peut qu'être admirée. Mais la réussite de la Chine est également le défi le plus important auquel la démocratie libérale doit faire face depuis le fascisme des années 1930.

Non que la Chine constitue une grande menace militaire : seuls quelques esprits ultranationalistes ou paranoaïaques évoquent le risque d'une guerre avec les Etats-Unis ou avec le Japon. C'est dans le domaine des idées que le modèle politico-économique de la Chine, si l'on oublie ses conséquences environnementales, remporte des victoires et se présente comme une alternative intéressante au capitalisme libéral démocratique.

Et ce modèle constitue une réelle alternative. Contrairement à ce qu'affirment certains experts, le capitalisme chinois n'est pas comparable au capitalisme européen du XIXe siècle. Il est vrai que la classe ouvrière européenne, sans parler des femmes, n'avait pas le droit de vote il y a deux cents ans. Mais, même durant les phases les plus impitoyables du capitalisme occidental, la société civile en Europe et aux Etats-Unis était composée d'immenses réseaux d'organisations indépendantes de l'Etat : églises, clubs, partis politiques, groupes et associations qui étaient accessibles à toutes les classes sociales.

En Chine aujourd'hui, les citoyens ont retrouvé un certain nombre de libertés individuelles depuis la mort du maoïsme mais ils ne sont pas libres de former une organisation qui ne soit pas contrôlée par le Parti. Malgré la déroute idéologique du communisme, la Chine n'a pas dévié d'un iota de cette position.

Le modèle chinois est aussi parfois décrit sous forme de continuité historique, comme si les politiques de la Chine moderne étaient une forme de confucianisme mise au goût du jour. Mais une société dans laquelle l'appât du gain de l'élite est placé au-dessus de toute autre entreprise humaine est très éloignée d'un quelconque confucianisme qui ait pu exister dans le passé.

S'il y a bien une idée qui a été terrassée par la prospérité croissante de la Chine, c'est la notion réconfortante que le capitalisme, et l'apparition d'une bourgeoisie prospère, se traduit inévitablement par l'avènement d'une démocratie libérale. C'est au contraire la classe moyenne, achetée par la promesse de richesses toujours plus grandes, qui souhaite le maintien de l'ordre politique actuel. Même s'il s'agit d'un contrat faustien - la prospérité en échange de l'obéissance politique -, il a fait ses preuves jusqu'à maintenant.

Le modèle chinois n'est pas seulement séduisant pour les nouvelles élites des villes côtières du pays, mais également pour le reste du monde. Les dictateurs africains, ou plutôt les dictateurs du monde entier, pour lesquels on déroule le tapis rouge à Pékin, l'adorent : parce que ce modèle n'est pas occidental et que les Chinois ne prêchent pas la démocratie aux autres. La Chine détient également des richesses phénoménales, dont une partie se retrouvera dans les poches des autocrates. En prouvant que l'autoritarisme peut avoir du succès, la Chine est un exemple pour les autocrates du monde entier, de Moscou à Dubaï, d'Islamabad à Khartoum.

L'attrait de la Chine se fait également sentir dans le monde occidental. Les hommes d'affaires, les géants des médias et les architectes s'y précipitent tous. Quel meilleur endroit où faire des affaires, construire des stades et des gratte-ciel, ou vendre les technologies de l'information et des réseaux de communication qu'un pays sans syndicat indépendant ou toute autre forme de protestation organisée, seuls capables de réguler les profits ? Dans le même temps, les préoccupations concernant les droits humains ou civiques sont présentées comme démodées ou comme l'expression arrogante de l'impérialisme occidental.

Il y a toutefois une mouche dans le pot à miel. Aucune économie ne continue à croître indéfiniment au même rythme. Des crises éclatent. Que se passera-t-il si le contrat implicite entre la classe moyenne chinoise et l'Etat à parti unique venait à se désagréger, en raison d'un ralentissement, voire d'un tassement économique ?

Cela est déjà arrivé. D'une certaine manière, la situation la plus proche du modèle chinois actuel est celle de l'Allemagne du XIXe siècle, fortement industrialisée, avec une classe moyenne cultivée, mais politiquement neutralisée, et caractérisée par une tendance nationaliste agressive. Le nationalisme est devenu fatal lorsque l'économie s'est effondrée, et que les troubles sociaux ont menacé l'ordre politique en place.

Le même phénomène pourrait se produire en Chine, où la fierté nationaliste n'hésite pas à s'exprimer sous forme de sentiments belliqueux envers le Japon, Taiwan et en définitive l'Occident. Le nationalisme chinois pourrait également se révéler fatal si l'économie venait à marquer le pas.

Mais ce scénario n'est dans l'intérêt de personne, et nous devons donc souhaiter le meilleur à la Chine en 2008, tout en pensant à tous les dissidents, démocrates et autres rebelles qui croupissent dans les camps de travail et les prisons. Nous devons espérer qu'ils vivront pour voir le jour où les Chinois seront, eux aussi, un peuple libre. C'est peut-être un rêve lointain, mais le rêve est précisément l'apanage du nouvel an.

Ian Buruma enseigne les droits de l'Homme au Bard College, à New York

D'AUTRES ARTICLES DE IAN BURUMA :

OPINION - L'handicap de la Chine n'est pas le Tibet mais le parti unique

OPINION - Pékin séduit les dictateurs - Ian Buruma

L'Inde écartelée entre Chine et Amérique - Frédéric Bobin

Le Monde - Analyses, lundi, 28 janvier 2008, p. 2

Le président français Nicolas Sarkozy devait achever samedi 26 janvier à New Delhi une visite d'Etat destinée à manifester le soutien politique de la France à l'Inde, nation émergente plus en plus courtisée dans l'arène internationale. L'intérêt de Paris pour ce nouveau géant asiatique en plein essor - bien que soufrant de multiples fractures sociales - est louable et nécessaire. L'Inde apprécie assurément l'engagement français de soutenir sa candidature au statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Mais penser que New Delhi ait les yeux rivés sur les gestes de bonne volonté émanant de Paris serait aussi présomptueux qu'illusoire. Il n'est que de constater la lenteur avec laquelle les Indiens réagissent aux offres de services françaises dans la coopération nucléaire civile - subordonnées à leurs yeux à la mise en oeuvre d'un accord autrement plus ambitieux avec les Etats-Unis - pour comprendre où se situent leurs priorités stratégiques.

Celles-ci se focalisent très clairement autour de deux acteurs du jeu asiatique : les Etats-Unis et la Chine. L'équation géopolitique dans laquelle s'inscrit désormais l'Inde est au fond assez simple : comment engranger les bienfaits d'une fraîche connivence avec Washington sans pour autant effaroucher une Chine dont le " modèle " de réussite tétanise bien des esprits à New Delhi. La diplomatie indienne est mobilisée à plein régime pour établir cette équidistance.

La lune de miel entre l'Inde et les Etats-Unis est sans nul doute l'événement majeur survenu en Asie ces dernières années. Quand on se souvient de l'axe Inde/URSS qui, à l'époque de la guerre froide, répondait au tandem rival Pakistan/Etats-Unis, on mesure le glissement de terrain. Ce sont les Américains, plus que les Indiens, qui ont été les plus empressés à sceller cette nouvelle donne. A la fin des années 1990, les stratèges américains prennent conscience de tout l'intérêt à se rapprocher d'une Inde qui, au-delà de sa fidélité à la démocratie et de son séduisant potentiel économique, partage les préoccupations de Washington à l'égard du terrorisme islamiste et de la montée en puissance de la Chine.

Signe que les Etats-Unis sont animés des meilleures intentions, ils ne tiendront pas trop rigueur à New Delhi de sa série d'essais nucléaires, qui jette un coup de froid sur les relations internationales en 1998. Mieux, ils signent en 2006 un accord de coopération nucléaire civile avec l'Inde, un geste exceptionnel puisque celle-ci n'est pas signataire du traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Bien sûr, les intérêts des deux pays sont loin de converger sur tous les dossiers. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Washington a été contraint de remettre au goût du jour sa proximité historique avec le Pakistan, Etat " ligne de front " indispensable dans la lutte antiterroriste qui se joue en Afghanistan et à proximité. Quant à l'Inde, elle cultive une relation fort amicale avec l'Iran - généreux fournisseur de pétrole - qui soulève des sourcils désapprobateurs à la Maison Blanche. Mais, fait remarquable, ces forces centrifuges ont échoué à torpiller le rapprochement en cours.

C'est qu'à New Delhi, le lobby proaméricain a gagné en influence. La libéralisation économique a enfanté une classe moyenne qui, bien que nationaliste, est pressée de s'arracher aux vieilles lunes de l'ère Nehru-Gandhi, marquée par le tiers-mondisme à coloration antiaméricaine. La diaspora indienne aux Etats-Unis joue un rôle actif dans cet aggiornamento idéologique. L'inquiétude de la poussée chinoise le conforte. Il n'est pas indifférent que les nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), au pouvoir en 1998, aient expressément cité la Chine parmi les " menaces " qui justifiaient leurs essais nucléaires.

LA " TENTATION AMÉRICAINE "

La méfiance à l'égard de Pékin reste vive en Inde, où l'on vit encore dans le souvenir de l'humiliante défaite subie lors de la guerre de 1962. Alors que le litige frontalier au coeur de l'Himalaya, là où les deux géants se touchent, n'est toujours pas réglé, l'Inde voit d'un oeil soupçonneux l'activisme diplomatique, militaire et économique de la Chine dans son voisinage immédiat (Pakistan, Birmanie, Bangladesh, Népal, Sri-Lanka). Elle s'inquiète tout particulièrement de la construction par la Chine du port pakistanais de Gwadar, en bord de mer d'Arabie, qui s'inscrit dans l'arc stratégique en " collier de perles " que la Chine cherche à édifier du golfe Persique à sa façade Pacifique afin de sécuriser ses approvisionnements énergétiques. En réaction, New Delhi renforce sa présence navale dans l'océan Indien, zone vitale à ses yeux. Et ne dédaigne pas de s'associer à des manoeuvres militaires conjointes avec des pays comme les Etats-Unis, le Japon ou l'Australie, qui tiennent depuis peu un discours sur la " diplomatie des valeurs " (sous-entendu la démocratie), soit une petite musique qui grince sévèrement aux oreilles chinoises.

La " tentation américaine " travaille donc les cercles stratégiques de New Delhi. Mais l'erreur consisterait à oublier un peu hâtivement l'héritage diplomatique indien, où le non-alignement et l'obsession de l'" autonomie stratégique " sont des articles de foi. Si la défiance à l'égard de Pékin est profonde, l'allergie à toute manipulation américaine, à toute forme d'enrôlement au service d'une stratégie d'" endiguement " antichinois, l'est tout autant. New Delhi ne veut sûrement pas être aspiré dans l'escalade d'un conflit avec Pékin par le jeu mécanique d'une nouvelle alliance avec Washington.

Cette crainte d'être instrumentalisé par une superpuissance explique l'hostilité à laquelle s'est heurté ces derniers mois l'accord de coopération nucléaire civile indo-américain qui, pourtant, accorde des faveurs dérogatoires à New Delhi. Les communistes, membres de la coalition au pouvoir dirigée par le Parti du Congrès, exploitent ce malaise et font peser la menace d'une crise politique si l'accord devait entrer en application. Le vent a comme tourné. Le sentiment prévaut que l'aggiornamento est allé trop loin. Au point que le gouvernement congressiste de New Delhi doit refroidir son inclination proaméricaine. Sonia Gandhi, présidente du Parti du Congrès, et Manmohan Singh, premier ministre, se sont rendus ces derniers mois à Pékin pour rassurer la Chine. La ligne de l'équidistance triomphe. Les " fondamentaux " sont de retour. Le rêve indien des Américains risque-t-il d'en souffrir ? Vraisemblablement.

Frédéric Bobin

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PHOTO : Gilles Sabrié

Les stars chinoises font trop d'enfants - Bruno Philip

Le Monde - International, samedi, 26 janvier 2008, p. 5

Les autorités chinoises veulent mettre un frein aux libertés prises par les stars du sport, du cinéma ou de la télévision du pays avec la politique du contrôle des naissances. Alors que les Chinoises des villes ne sont pas autorisées à faire plus d'un enfant, les riches et les célébrités dépassent les quotas en se contentant de payer une amende, bien faible au regard de leurs revenus. Selon des chiffres officiels, environ 10 % des Chinois aisés auraient trois enfants.

« Désormais, les riches devront payer des amendes beaucoup plus importantes quand ils mettent au monde plus d'un enfant ! », a déclaré, cette semaine, le responsable du planning familial de Pékin, Deng Xingzhou, qui a prévenu que le temps du laxisme en la matière était révolu.

Jusqu'à présent, cette sorte « d'impôt » de procréation abusive se chiffrait à une dizaine de milliers d'euros. Et encore, selon l'agence de presse Chine nouvelle, la plupart du temps l'amende imposée était moins « salée ». Le célèbre joueur de football Hao Haidong, qui gagne 500 000 euros par an, a été condamné à payer la modeste somme de 5 000 euros lorsque son épouse a accouché d'un deuxième enfant.

RÉPRESSION ANTIPAYSANS

Pour l'instant, le système en vigueur pour punir les contrevenants d'une politique de contrôle démographique qui a permis d'éviter 400 millions de naissance en trente ans est des plus complexes. Ceux qui mettent au monde un deuxième enfant paient une amende qui va de trois à dix fois le revenu annuel moyen perçu dans leur ville de résidence.

Parmi les stars n'ayant pas respecté les règles, Chen Kaige, le réalisateur d' Adieu ma concubine, la chanteuse Wang Lei, l'acteur Li Yapeng, une présentatrice de la télévision, Yang Lan. Et la célébrissime actrice Zhang Ziyi s'est fait tancer récemment par un quotidien chinois pour avoir « donné le mauvais exemple » en ayant publiquement annoncé son désir de fonder une famille nombreuse.

Les mesures annoncées restent cependant encore assez vagues tout en donnant la mesure des préoccupations d'un régime qui craint un nouveau « rebond » démographique. Beaucoup de Chinois, notamment dans les campagnes, bafouent, en effet, sans vergogne les réglementations du planning familial.

Les agents de cette administration relâchant leur vigilance, la situation dans les provinces reculées a tendance à échapper au contrôle des autorités. Depuis plusieurs mois, dans certaines régions, celles-ci se sont lancées dans une répression parfois violente à l'égard des paysans ayant trop d'enfants : menaces, amendes disproportionnées et rétroactives, démantèlement d'une partie des maisons des « coupables »...

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jeudi 24 janvier 2008

Big Brother se rince l'oeil à la vidéosurveillance - Pierre Haski

Rue89 - Chinatown, mercredi, 23 janvier 2008
Big Brother is watching you, certes, mais aussi Big Brother se rince l'oeil! Un scandale a éclaté en Chine, après la diffusion sur internet d'une vidéo filmée par une caméra de surveillance du métro de Shanghaï et montrant un jeune couple s'embrassant longuement avant de se séparer.




Big Brother is watching you, certes, mais aussi Big Brother se rince l'oeil! Un scandale a éclaté en Chine, après la diffusion sur internet d'une vidéo filmée par une caméra de surveillance du métro de Shanghaï et montrant un jeune couple s'embrassant longuement avant de se séparer. La vidéo était accompagnée de commentaires salaces d'hommes qui étaient sans doute en charge du système de surveillance du métro car ils avaient la possibilité de zoomer sur le couple ou de changer de caméra lorsque les jeunes gens se déplaçaient. Voici la vidéo, très soft au demeurant:

Selon le quotidien officiel China Daily, le couple a décidé de porter plainte contre le métro de Shanghaï, pour atteinte à sa vie privée. Car non contents de se marrer en regardant leurs écrans de sécurité, les employés du métro ont mis les images en ligne sur YouTube et un équivalent chinois, Ku6.com. L'impact a été immédiat: reconnu, le jeune homme embarrassé a dû quitter son travail. Il a ajouté qu'il ressentait désormais un malaise chaque fois qu'il mettait les pieds dans le métro. Une enquête officielle a été ouverte.

Cette affaire coincide avec de nouvelles restrictions imposées la semaine dernière par le gouvernement chinois sur les vidéos mises en ligne. Mais l'embarras officiel doit être grand dans la mesure où ce sont des responsables de la sécurité publique qui sont à l'origine de ce dérapage... Big Brother, parfois, peut avoir des faiblesses. Surtout quand aucune loi ou aucune réglementation n'encadre les caméras de vidéosurveillance qui prolifèrent à travers la Chine, rappelle le China Daily.

Chine: la croissance au plus haut depuis 13 ans, risque de surchauffe

AFP - jeudi, 24 janvier 2008
La croissance chinoise a été au plus haut depuis plus d'une décennie en 2007, comme l'inflation, avec un taux de 11,4% qui alimente le spectre d'une surchauffe du géant asiatique. La richesse chinoise a totalisé 24.666,9 milliards de yuans (environ 3.380 milliards de dollars, au taux de fin 2007), son plus fort niveau de progression depuis une hausse de 13,1% enregistrée en 1994. En 2006, la croissance de la Chine avait été de 11,1%.

Front diplomatique commun face au nucléaire iranien - Natalie Nougayrède

Le Monde - International, jeudi, 24 janvier 2008, p. 4
Les six puissance traitant la question du programme nucléaire iranien (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Russie, Chine) se sont mises d'accord, mardi 22 janvier, sur un texte de nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sanctionnant l'Iran pour la poursuite de ses activités nucléaires controversées.

Cet affichage d'unité est perçu comme un succès par les Occidentaux car depuis la publication, début décembre 2007, d'un rapport des agences du Renseignement américain estimant que l'Iran avait « arrêté en 2003 son programme nucléaire militaire », la Russie et la Chine se montraient encore plus réticentes à l'idée d'imposer des mesures punitives à l'Iran

Les ministres des affaires étrangères des « Six », réunis mardi à Berlin, n'ont pas rendu public le texte, ni souhaité commenter les mesures qu'il contient. Seul à s'exprimer, le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, a insisté sur l'importance de maintenir un front commun. « Nous sommes unis dans notre évaluation que l'armement nucléaire de l'Iran aurait des conséquences dramatiques pour le Moyen-Orient et même au-delà, a-t-il dit. N ous restons d'accord qu'il faut continuer de travailler pour s'assurer que cela ne se produise pas. »

L'accord résulte d'un compromis. Deux choses en atténuent la portée : d'une part, les mesures envisagées contre l'Iran semblent modestes; d'autre part, un vote n'interviendrait sur ce texte à l'ONU que dans plusieurs semaines.

Un tel délai vise notamment à essayer de dégager une unanimité au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, où l'acquiescement des membres non permanents n'est pas acquis. Il répond surtout à une priorité mise en avant par les Russes et les Chinois : accroître les chances du « plan de travail » décidé en août 2007 entre l'Iran et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

A l'issue d'un voyage à Téhéran, le directeur de l'AIEA, Mohamed ElBaradei, a annoncé, le 13 janvier, qu'une échéance de « quatre semaines » était fixée pour que l'Iran s'explique sur ses activités nucléaires passées.

L'accord dégagé entre les « Six » intervient après d'intenses tractations. La Russie et la Chine ont demandé que l'ensemble de la « stratégie » diplomatique sur le dossier nucléaire iranien soit rediscuté, insistant sur l'élément nouveau que constitue à leurs yeux le rapport du Renseignement américain.

Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a livré, tard mardi soir, sa version de l'accord. « Des négociations directes sur le règlement de toutes les questions liées au nucléaire iranien » seront lancées, « y compris avec les Etats-Unis », a-t-il dit , « si l'Iran accepte les propositions des Six » faites à l'été 2006 (coopération économique, et dans le nucléaire civil).

Une façon de mettre l'accent sur les mesures incitatives et non sur les sanctions, ni sur la question de la suspension de l'enrichissement d'uranium.

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STRATÉGIE - Réflexions militaires occidentales sur l'usage préventif de l'arme nucléaire - L. Zecchini

Le Monde - International, jeudi, 24 janvier 2008, p. 4

Les propositions de cinq anciens chefs d'état-major de pays de l'OTAN face aux menaces asymétriques.
Face à un monde moins sûr et moins prévisible, à des menaces devenues « asymétriques », caractérisées par l'émergence de multinationales de la terreur qui défient, à l'échelle mondiale, les gouvernements et les institutions internationales, les recettes militaires d'antan sont largement inopérantes.

Face à un monde moins sûr et moins prévisible, à des menaces devenues « asymétriques », caractérisées par l'émergence de multinationales de la terreur qui défient, à l'échelle mondiale, les gouvernements et les institutions internationales, les recettes militaires d'antan sont largement inopérantes.

Tel est le constat dressé par cinq anciens chefs d'état-major de pays de l'Alliance atlantique, dans un rapport de 150 pages intitulé « Vers une grande stratégie pour un monde incertain ». Ils concluent à la nécessité de lancer une stratégie globale, qui se décline par la formation d'un « directoire » occidental associant les Etats-Unis, l'Union européenne (UE) et l'OTAN.

Les auteurs sont d'anciens responsables militaires de cinq pays qui, à part la France, sont naturellement atlantistes : le général américain John Shalikashvili, ex-commandant en chef de l'OTAN en Europe, le maréchal britannique Lord Peter Inge, le général allemand Klaus Naumann, ancien président du comité militaire de l'OTAN, le général néerlandais Henk van den Breemen et l'amiral français Jacques Lanxade. Leurs recommandations devraient être examinées avec attention lors du prochain sommet de l'OTAN, en avril, à Bucarest.

Il est probable que certains alliés ne se rangeront pas facilement aux thèses qu'ils défendent s'agissant de l'utilisation, de façon préventive, des armes nucléaires. L '« emploi en premier » de telles armes doit demeurer un « instrument ultime » pour empêcher l'utilisation par un adversaire d'armes de destruction massive, estiment-ils. Si, à première vue, il peut sembler « disproportionné », il l'est moins si l'on tient compte des destructions qu'il pourrait éviter. L'« emploi en premier » est légitime, concluent-ils, puisqu'il a servi de fondement à toute la planification nucléaire de l'OTAN pendant la guerre froide.

La France, dont la doctrine de dissuasion nucléaire comporte la notion d '« ultime avertissement », estime que des frappes nucléaires préventives peuvent se justifier s'il faut signifier à un adversaire que ses « intérêts vitaux » sont en jeu. Les Etats-Unis, de leur côté, revendiquent le droit à l'action « préemptive », c'est-à-dire la possibilité de lancer des frappes avant tout signe d'agression.

A l'heure où l'OTAN connaît, en Afghanistan, un enlisement qui ressemble à celui des Etats-Unis en Irak, ces cinq anciens responsables militaires préconisent un sursaut stratégique. Le constat qu'ils dressent de l'environnement international n'est guère contestable : changements démographiques et climatiques, perte du « rationnel » dans les sociétés occidentales (le sens de l'identité nationale), complexité des menaces, prolifération des armes de destruction massive, raréfaction des ressources, montée des puissances régionales (Chine, Inde), etc.

Devant les défis d'un monde de plus en plus globalisé, insistent-ils, aucun pays, aucune organisation, ne peut espérer l'emporter seul. D'où cette idée de « directoire » occidental, qui doit s'appuyer, estiment-ils, sur les organisations existantes. De ce point de vue, leur choix est fait : c'est l'OTAN qui est l'institution « la plus appropriée » pour servir de socle à une future architecture internationale de sécurité, à condition que l'Alliance s'adapte à l'évolution des conflits, notamment en se servant des outils non militaires que, contrairement à elle, l'Union européenne possède.

A l'évidence, ce directoire occidental à trois, qui serait chargé de « coordonner toute coopération dans une sphère d'intérêt commun transatlantique », serait sous influence américaine, et son orientation idéologique semble fort éloignée de concepts tel que le « dialogue des civilisations ». Il s'agit de trois partenaires partageant « des buts, des valeurs et des intérêts communs », dont l'un serait les Etats-Unis, l'autre une alliance militaire dominée par Washington (ce qui permettrait aux Etats-Unis d'exercer une « double influence effective » au sein du directoire), et le troisième une Union européenne où les derniers entrants (les pays de l'est de l'Europe) considèrent que l'OTAN est le seul parapluie de sécurité qui vaille.

Les auteurs revendiquent ce tropisme atlantiste. L'Union, notent-ils, doit « cesser son obstruction à la coopération UE-OTAN », et doit faire tous les efforts « pour devenir le véritable et indispensable partenaire des Etats-Unis ».

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Comment Taiwan dompte le dragon chinois - Philippe Escande

Les Echos, no. 20094 - Enquête, mercredi, 23 janvier 2008, p. 13

Aux premières loges face à l'explosion économique de l'ex-empire du Milieu, Taiwan a pu craindre, au début des années 2000, de se faire tout simplement dévorer. Mais pouvoirs publics et entreprises ont su réagir. Aujourd'hui, malgré des délocalisations massives, l'île est plus florissante que jamais. Au chapitre « mondialisation », un vrai cas d'école... Fier emblème de l'île, la tour 101, inaugurée début 2004, domine Taipeh de ses 101 étages.

Stephen Wu tient entre le pouce et l'index une petite galette noire luisante comme un miroir : une cellule solaire. « Nous avons équipé de panneaux solaires la nouvelle tour de la mairie de Londres dessinée par Norman Foster », raconte le patron de E-TON Solar. A quarante-cinq ans, cet ingénieur diplômé de l'université de Stuttgart ne doute pas un instant de ses ambitions. « Aujourd'hui, nous ne sommes que 600 personnes, explique-t-il, mais en 2010 nous en emploierons plus de 10.000. Nous serons alors l'un des trois leaders mondiaux du secteur. » Multiplier par seize ses effectifs en trois ans ? On s'assure que l'on a bien compris et, benoîtement, on lui demande où il trouvera autant de personnel qualifié en si peu de temps. Il sourit et montre par la fenêtre le grand bâtiment gris qui barre l'horizon, de l'autre côté de la route. « On les prendra chez Chi Mei, le géant des écrans plats, répond-il sur le ton de l'évidence. Ils vont transférer une unité en Chine et supprimer 9.000 emplois ici ! »

Ainsi va la vie à Taiwan, toujours en mouvement, emporté dans le tourbillon de la mondialisation, comme le reste du monde, mais plus fort encore, car à quelques encablures de son épicentre : la Chine continentale. A peine sortie du sous-développement il y a moins de vingt ans, cette petite île de 23 millions d'habitants, à la densité proche de celle du Bangladesh, doit constamment se réinventer un avenir pour ne pas se faire dévorer par son turbulent voisin.

C'est au début de la décennie que les autorités ont commencé à s'inquiéter. Le pays, qui s'était taillé une réputation mondiale dans la fabrication de composants électroniques et d'ordinateurs, a vu ses usines partir par cohortes entières vers la banlieue de Shanghai ou de Canton. En 2000, la Chine a détrôné Taiwan de la place de deuxième producteur mondial de matériel informatique. L'ancienne Formose, la « belle île » des marins portugais, apparaissait alors comme la victime expiatoire offerte à l'appétit du dragon chinois.

Cinq ans plus tard, la menace ne s'est pas concrétisée. Non pas que les délocalisations se soient arrêtées en chemin - plus de 80 % de la production des informaticiens taïwanais est partie de l'autre côté du détroit -, mais elles n'ont pas provoqué la catastrophe redoutée. De près de 3,5 % en 2003, la croissance du pays est passée à plus de 4 % l'an dernier. Quant au chômage, en dépit des transferts massifs d'usines, il s'établit autour de 4 %, un point de moins qu'en 2002. « La situation économique est excellente, constate Emmanuel Ly-Batallan, chef de la mission économique française à Taipeh, le pouvoir d'achat par habitant ici est désormais supérieur à celui de la France. » Récemment, la Banque mondiale a relevé ses prévisions de croissance pour le pays à 4,6 % en 2007, contre 4,1 % au printemps, grâce à la forte croissance de la consommation en Chine et dans toute l'Asie. Et sur le troisième trimestre, la progression a même atteint les 7 %.

Comment l'île a-t-elle donc réussi à tirer son épingle du jeu alors même qu'elle était attaquée sur ses domaines d'excellence ? Trois facteurs au moins expliquent une telle performance : l'effort technologique toujours maintenu, la fusion des hommes d'affaires taïwanais avec la Chine et le développement d'une vraie politique de marque.

L'effort technologique

Stephen Wu est intarissable sur les rendements comparés du silicium monocristallin, du polycristallin et de ses différentes classes de cellules. Sa société a conclu des partenariats avec de grandes universités étrangères et ambitionne de faire jeu égal avec les Japonais et les Allemands, champions du monde du domaine. Le siège de E-TON Solar se trouve aux portes du parc scientifique du sud de l'île, près de la ville de Tainan. Il bénéficie des facilités et subventions accordées par l'Etat au titre de son plan stratégique 2002-2008. Celui-ci a sélectionné les domaines d'excellence dans lesquels le pays doit accroître son effort afin de développer des technologies de haut niveau. Deux spécialités de l'île d'abord, les semi-conducteurs et les écrans plats, et deux domaines d'avenir ensuite, la biotechnologie et les contenus numériques. Il y a peu, il a ajouté à cette liste l'électronique automobile, les nanotechnologies et les énergies renouvelables. Taiwan est le troisième producteur mondial de semi-conducteurs et le deuxième d'écrans plats de type LCD. Il détiendrait même plus de la moitié du marché des écrans de grande dimension. Sur le site de Tainan, le gouvernement a construit une zone de 247 hectares réservée uniquement aux fabricants d'écrans plats. Celle-ci représente 33.000 emplois et près de 6 milliards de dollars américains de revenus. Périodiquement, les productions banalisées, de plus petite taille par exemple, sont basculées vers la Chine et remplacées par d'autres, plus haut de gamme.

La fusion avec la Chine

Robert Tsao, le président du fabricant de semi-conducteurs UMC, est une forte tête. Partisan de longue date du rapprochement entre les deux Chine, il a été l'un des premiers à implanter des unités sur le continent. Il aurait même enfreint les règlements taïwanais qui y limitent les investissements. Sous le coup d'une enquête des autorités, il a dû démissionner de ses mandats. Cela ne l'a pas empêché de se payer des pleines pages dans la presse locale pour critiquer la politique d'indépendance et de confrontation du gouvernement actuel et prôner un renforcement des liens avec la Chine communiste. Le président de la République lui a répondu vertement.

Si les élections présidentielles, qui se dérouleront en mars, seront agitées de débats passionnés autour de cette question des relations avec Pékin - le principal point sur lequel se différencient les deux partis politiques -, les hommes d'affaires, eux, ont déjà voté avec leurs pieds. Cependant, en délocalisant massivement leur production, ils n'ont pas pour autant donné les clefs des usines à d'autres. Le premier exportateur chinois... est un taïwanais, le géant de l'électronique Hon Hai Precision (Foxconn). Le producteur des iPod d'Apple, des PlayStations de Sony ou des portables de Dell emploie des centaines de milliers de salariés dans des usines gigantesques qui fonctionnent comme de vraies villes, avec logements, écoles, hôpitaux et police. « Comparé au Japon ou à la Corée, Taiwan est beaucoup plus intégré avec la Chine, explique l'économiste Chi Shive, de l'université de Taiwan. Nous partageons la même langue et la même culture, nous n'avons pas un marché intérieur aussi important que celui du Japon et la pression sur notre avance technologique est donc considérable. »

On estime qu'entre 1 et 2 millions de Taïwanais habitent désormais en Chine continentale, où ils pilotent des usines. Mais ils ne se limitent plus à l'ex-empire du Milieu. Hon Hai vient d'annoncer un investissement de près de 1 milliard de dollars pour bâtir une usine géante près de Haiphong, au nord du Vietnam, nouvelle terre de conquête des Taïwanais.

L'offensive des marques

John Wang est fier d'exhiber son dernier bébé, un téléphone mobile qui se commande d'un simple mouvement du doigt sur l'écran, sans boutons. Cela ne vous rappelle rien ? L'iPhone d'Apple, bien sûr. Mais le patron de l'innovation de HTC, un ancien du MIT revenu au pays, tient à préciser que son modèle est sorti en juin 2007, quelques semaines avant celui de l'américain. « Cette technologie introduit une nouvelle ère, celle de la simplicité, assure-t-il. Quand on parlera de cette révolution dans l'avenir, on pensera tout de suite à Apple et à HTC. »

En 2000, seuls les ordinateurs Acer et les vélos Giant étaient connus à l'étranger. Aujourd'hui, ils sont des dizaines à viser la notoriété internationale : Asus (ordinateurs), Trend Micro (logiciels), D-Link (cartes réseau), HTC, BenQ, Johnson (matériel de sport), et les autres se sont fait un nom. D'abord parce que c'est la clef d'une meilleure rentabilité que celle traditionnelle de sous-traitant. « Une activité de sous-traitant pur dégage une marge brute moyenne de 15 %. Avec une marque pour le grand public ou les professionnels, on atteint 30 % à 70 % », détaille J.T. Liao, président de D-Link, l'un des leaders mondiaux du matériel de connexion à Internet.

Et puis, il est toujours plus séduisant de vendre sous sa propre marque plutôt que d'être totalement dépendant des majors américaines. Surtout quand les Etats-Unis plongent dans la récession. Cela demande cependant des sacrifices, par exemple d'abandonner des activités industrielles, de consacrer de gros investissements au marketing et d'importants moyens pour se développer à l'international.

Première étape, la séparation des métiers de sous-traitance et de marque propre, qui deviennent vite incompatibles. Dans la foulée d'Acer, de D-Link et de beaucoup d'autres, Asus a entamé le processus de mise en Bourse de son activité de sous-traitance, qui travaille pour HP, Dell et les autres et emploie près de 100.000 personnes en Chine continentale. « Faire les deux métiers permet de profiter de très fortes économies d'échelle, mais les clients n'aiment pas ça », reconnaît le PDG, Jonney Shih.

Du coup naissent des entreprises sans usine, à la mode occidentale. « Nous avons d'abord vécu un premier stade de «désintégration horizontale» avec les délocalisations en Chine, explique le professeur Chi Shive. Nous passons maintenant à la «désintégration verticale» du produit. »

Mais cette stratégie comporte des risques. Imposer une marque demande des années, exige de sortir des frontières et de profiter d'une rupture. HTC a commencé à vendre les premiers « smartphones » à sa marque en 2002 en Europe avec les opérateurs mobiles Orange et O2. Quant au fabricant de vélos Giant, il est arrivé sur le Vieux Continent en 1987 en lançant la mode des VTT. Depuis, il investit sans relâche près de 8 % de son chiffre d'affaires en marketing pour sponsoriser des équipes du Tour de France ou développer ses réseaux de distribution.

Et puis il y a le risque de la croissance mal maîtrisée, par exemple par une acquisition hasardeuse. C'est ce qui s'est produit pour BenQ, qui a racheté en 2005 l'activité mobiles de Siemens, croyant ainsi pouvoir accélérer sa pénétration sur le Vieux Continent. Deux ans plus tard, il a fermé toutes les activités et s'est retiré du marché européen. Mais les succès d'Acer, de HTC ou d'Asus en Europe montrent que le « made in Taiwan » n'est plus un handicap. Ce qui ne signifie pas que la course va se ralentir. Car les Chinois pointent leur nez du côté des marques, Huawei dans les équipements télécoms, Lenovo ou Haier dans le grand public. Pas le temps de se reposer. Comme le rappelle l'antique sagesse chinoise du « Yi King », « la seule chose qui ne change pas, c'est le changement ».

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Quand les caricaturistes chinois apprécient peu la caricature - Pierre Haski

Rue89 - Chinatown, lundi, 21 janvier 2008
"Nous sommes au-delà de la colère, nous nous sentons humiliés"... Fu Hongge, un caricaturiste chinois, laisse sortir sa frustration. L'objet du délit: certains des dessins de lycéens de Carquefou qui attendaient les caricaturistes venus de Chine dès leur arrivée au centre culturel de la ville, représentant la Chine en championne olympique des exécutions capitales ou plus pressée de battre des records olympiques que d'accorder la liberté à son peuple. "Allez en Chine voir de vos propres yeux", ajoutait ce dessinateur avec amertume. SUITE

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