vendredi 17 décembre 2010

Les illusions perdues des jeunes diplômés chinois - Harold Thibault


Le Monde - Economie, samedi, 18 décembre 2010, p. 20

Les perspectives d'embauche des jeunes diplômés chinois, Wang Chaohua les connaît. Les 200 chambres de " l'Hôtel des chercheurs d'emploi ", dont il est le gérant sont occupées toute l'année, par des jeunes aux CV prometteurs mais qui goûtent à la réalité du marché du travail.

Si les travailleurs peu qualifiés sont très demandés - le quotidien China Daily évoquait récemment 20 % d'offres d'emploi ne trouvant pas preneurs dans la restauration dans la région du delta du Yangzi -, ceux qui disposent d'une licence, parfois d'un master, peinent à trouver un poste répondant à leurs attentes.

En 2009, raconte M. Wang, un jeune homme spécialisé dans le développement de sites Web - il sortait de trois années d'études - est resté six mois à vingt yuans la nuit (2,3 euros) dans les dortoirs de cette auberge de jeunesse défraîchie située derrière un chantier au nord de Shanghaï. " Il se demandait si ce n'était pas son niveau d'anglais qui péchait puis, lorsqu'il a compris qu'il ne trouverait rien, il est rentré dans sa province natale ", dit M. Wang.

Ce mois-ci, l'établissement accueille 26 jeunes ingénieurs informaticiens originaires de la province centrale du Hunan et un de leurs professeurs venu les soutenir, l'institut qui les a diplômés se targuant de garantir un emploi à la sortie des études.

La promesse est alléchante car pour la génération de Chinois née dans les années 1980, un diplôme n'est plus une assurance pour trouver un travail. Les politiques de développement de l'enseignement supérieur menées en parallèle aux réformes économiques, surtout depuis le milieu des années 1990, permettent à un nombre croissant de Chinois d'accéder aux études : 6,3 millions d'entre eux ont obtenu un diplôme de premier cycle en 2010, selon le ministère de l'éducation, contre 1,8 million en 1998. Et ils seront près de 6,8 millions en moyenne chaque année jusqu'en 2015 à obtenir l'équivalent d'une licence. En janvier, 1,4 million de personnes se sont présentées à l'examen d'accès aux études de second cycle. Mais ils peinent ensuite à trouver leur place et 27,8 % des jeunes diplômés sont sans emploi, selon les statistiques officielles.

Grandes attentes

Le marché du travail et leurs envies ne sont pas en adéquation, constate Yu Hai, professeur de sociologie à l'université de Fudan : " Ils veulent s'installer à Pékin, Shanghaï ou Canton, les villes les plus attirantes; ils rêvent de travailler pour les grandes entreprises publiques qui offrent sécurité sociale et stabilité. "

D'autant que beaucoup de familles se sacrifient pour financer l'éducation de leur enfant et s'attendent à ce qu'il bénéficie en retour d'un salaire respectable. " Les attentes sont grandes, alors partir dans une petite ville travailler pour une entreprise inconnue serait perdre totalement la face ", analyse le professeur Yu.

La solution serait de contrarier cette attirance pour les métropoles des provinces côtières déjà saturées de travailleurs qualifiés. Le gouvernement a présenté en juillet un plan de réforme de l'éducation portant jusqu'en 2020 qui insiste sur le développement de compétences pratiques utiles aux entreprises. Il encourage aussi les jeunes à accepter des postes dans les régions moins développées du centre et de l'ouest du pays. La grande ville de Chongqing, pousse les jeunes diplômés à créer leur société par des incitations fiscales.

Ceux qui persistent dans le choix de Shanghaï doivent revoir leurs ambitions. Certes, les étudiants d'universités prestigieuses comme celle de Fudan - le campus est situé à quelques centaines de mètres de l'hôtel de M. Wang comme d'un établissement rival " L'Auberge des cols blancs " - n'ont pas de souci à se faire.

S'adapter

Les autres doivent s'adapter. Cherry Lu, partie pour la capitale économique avec sa licence de marketing de l'université des minorités de Wuhan en poche, a dû accepter un contrat de formatrice à 2 000 yuans par mois (230 euros) - l'équivalent du salaire offert sur les lignes d'assemblage de téléphones portables du sous-traitant en électronique Foxconn. Elle réside encore à l'Hôtel des chercheurs d'emploi, dans l'incapacité de payer un loyer. " Mais le métier est incomparable, rétorque-t-elle, toute la difficulté pour notre génération est de trouver un emploi satisfaisant et qui permet de vivre. "

Installé dans une autre chambre, Xu Hongzhou, a accepté une offre à 5 000 yuans par mois, ne trouvant pas mieux. Il estime qu'il mériterait jusqu'à 20 000 yuans au regard de son parcours : un master en ingénierie mécanique, deux années d'apprentissage de l'allemand à Dalian (Nord-Est) et deux autres années à Nagoya au Japon.

M. Wang, le patron de l'Hôtel des chercheurs d'emploi, se veut philosophe : " Ces jeunes trouveront une place mais peut-être devront-ils ravaler leur orgueil. "

Harold Thibault

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