C'est devenu une habitude : tous les dix ans, Lucien Bianco remet sur le métier Les Origines de la révolution chinoise, qui reste, quarante ans après sa sortie, la meilleure introduction à l'histoire des décennies qui précédèrent l'avènement, le 1er octobre 1949, de la République populaire de Chine. Aujourd'hui âgé de 77 ans, l'historien aurait pu se contenter, pour cette réédition, de retouches de détail. Il a préféré y adjoindre une centaine de pages, passionnantes, dans lesquelles il réévalue l'ensemble des thèses développées au fil de ses recherches à l'aune des acquis historiographiques les plus récents. Avec le recul, sur quoi insiste-t-il ?
D'abord, sur le fait que la révolution a commencé vers 1900 plutôt que vers 1915, qu'elle ne fut pas seulement intellectuelle mais s'accompagna d'une transformation profonde des moeurs et des mentalités, rendant possible une « pluralité de voies d'accès à la modernité », et pas uniquement celle proposée par les communistes. Cette remontée dans le temps conduit l'historien à mettre davantage l'accent sur la dimension nationaliste d'une révolution qui, selon lui, avait pour visée « la grandeur de la nation, et non le bien-être des masses ».
L'image presque romantique d'une « révolution agraire spontanément déclenchée par les paysans eux-mêmes » s'en trouve donc écornée. « J'ai passé ma vie à vérifier, puis infirmer cette hypothèse », confie le spécialiste des « jacqueries », pour qui c'est moins la « misère » que « l'humiliation nationale » qui a poussé nombre d'intellectuels vers la révolution. C'est ce même nationalisme, longtemps dissimulé sous un « internationalisme prolétarien de façade », qui resurgirait aujourd'hui sans complexe, comme l'analyse le sinologue au terme de ce récit lumineux dont la lecture est indispensable à quiconque s'intéresse à la Chine contemporaine.
Les Origines de la révolution chinoise (1915-1949)
de Lucien Bianco
Gallimard, « Folio Histoire », 526 p.