Cette année 2008 s'ouvre sur bien des incertitudes, des élections présidentielles américaines à l'évolution du Moyen-Orient, mais heureusement il existe aussi des certitudes que nous offre le calendrier institutionnel : avec les Jeux olympiques de Pékin, cet été, nous sommes au moins certains que la Chine occupera pendant de longs mois le centre politique et symbolique de la scène mondiale.
Malgré cette assurance, nous ne pouvons qu'être frappés par le haut degré d'incertitude que nous présente aujourd'hui la Chine dans toutes ses dimensions. Pourtant, les dernières années écoulées ont été marquées par une marche en avant presque inexorable. Succès économique : la plus forte croissance de l'histoire (sans doute 11 % encore en 2007), sur dix ans d'accroissement moyen de 10 %, un doublement (100 %) du PIB. Succès social : un tiers de la population qui se situait au-dessous du seuil de pauvreté rejoint peu à peu le premier tiers relativement prospère ; c'est donc 800 millions de Chinois qui aujourd'hui connaissent un enrichissement personnel sans précédent. Succès entrepreneurial, avec l'émergence de grandes sociétés, tels Lenovo dans l'informatique ou encore la Cnooc dans le domaine de la prospection pétrolière, lesquelles, avec l'aide des fonds souverains de l'État chinois, vont commencer à faire le marché d'entreprises petites et moyennes en Amérique ou en Europe.
Succès politique : pendant la progressive transformation de la vie intérieure du Parti communiste chinois sous Deng Xiaoping, la bataille politique faisait rage dans les organes dirigeants. De temps en temps, un dignitaire d'importance était éliminé et, dans une génération qui avait connu la révolution puis la Révolution culturelle, les préoccupations idéologiques étaient encore fortes et le débat sur l'avenir de la société chinoise, planification ou économie de marché par exemple, demeurait très intense. Avec la nouvelle génération, ce débat est enfin clos : tous adhèrent au modèle d'économie sociale de marché tiré par les exportations, en raison même de sa réussite apparemment totale. Selon le mot du comte de Saint-Simon qui plaisait tant à Marx, « le gouvernement des hommes » a très sérieusement donné la place à « l'administration de choses », les rivalités de personnes se réduisant peu à peu à des conflits d'ego, solubles dans le management quotidien.
Par son profil à la fois modeste et austère qui fait équilibre avec la prospérité parfois insolente des grandes villes, Hu Jintao a su ainsi pacifier entièrement la direction du parti et maintenir une place importante à son principal rival, Zeng Qinghong, ou encore confier des fonctions régionales importantes à des compétiteurs possibles comme Bo Xilai, devenu coordinateur de toute la Mandchourie.
Succès géopolitique enfin, quand la totalité des chefs d'État africains est venue sans état d'âme à Pékin pour baiser l'anneau impérial, comme autant de nouveaux tributaires du grand Empire chinois. Même triomphe en Russie, où Pékin a tranquillement racheté tout ce qui produit et même pense (les laboratoires de recherches d'Akademgorodok à Novossibirsk), au moins à l'est de l'Oural, faisant peu à peu de la Sibérie et bientôt de l'Asie centrale un protectorat économique. Pourtant, cette incroyable embellie connaît ses premières secousses, peut-être annonciatrices d'une crise profonde.
D'abord, l'inflation. Celle-ci a les mêmes causes qu'ailleurs, c'est-à-dire le choc pétrolier. La Chine, qui consomme à peu près le triple de notre énergie pour obtenir un point de croissance, ressent particulièrement la nouvelle donne pétrolière, ce qui l'éloigne de facto de toute alliance islamiste. Mais il y a aussi les effets pervers d'une politique mercantiliste qui a permis tout d'abord la formidable expansion actuelle : la Chine, en achetant massivement des bons du Trésor américain, est parvenue à enrayer ainsi la hausse inévitable de sa monnaie, afin de continuer à stimuler, un peu artificiellement, ses exportations en zone dollar et en zone euro. L'importation de tous ces dollars diffuse une masse monétaire découplée de toute production et pousse ainsi à une inflation qui est comme la revanche sur le cours artificiel de la monnaie nationale. Enfin, inflation et hypercroissance commencent aussi à provoquer une hausse des prix et des salaires qui finit par se ressentir à l'échelle mondiale. Shanghaï est d'ores et déjà la ville la plus chère du monde devant New York, Londres et Moscou.
Aucune de ces menaces n'est mortelle. Mais le modèle chinois doit changer rapidement : une plus forte croissance intérieure, notamment par le développement des infrastructures au centre du pays, une autre politique énergétique, pas seulement par une diversification de l'offre (programme nucléaire) mais aussi par une diminution de la demande sous l'effet d'un choc de productivité. Aucune de ces manoeuvres n'a échappé à Hu Jintao, mais celles-ci impliquent aussi une bataille politique difficile contre les grandes villes et au profit des régions de l'intérieur et contre les grands lobbys de l'industrie nationale. Hu Jintao aurait-il besoin, tout comme l'eut en son temps Gorbatchev, d'une démocratisation véritable pour parvenir au bout de cette restructuration ?
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