JACQUES MANDELBAUM 1. Tout est pardonné, de Mia Hansen-Love 2. Les Climats, de Nuri Bilge Ceylan 3. Retour en Normandie, de Nicolas Philibert 4. Still Life, de Jia Zhang Ke 5. La nuit nous appartient, de James Gray Un premier film français intimiste et bouleversant (Tout est pardonné). Une rupture amoureuse d'une beauté à couper le souffle en Turquie (Les Climats). Une enquête documentaire en forme de bilan moral et de profession de foi (Retour en Normandie). Une chronique romanesque chinoise tournée au coeur d'un monde qui disparaît (Still Life). Un film noir américain évoquant une tragédie grecque (La nuit nous appartient). A première vue, hors l'impressionnant talent de mise en scène dont ils témoignent, rien de commun entre ces cinq films. En y regardant de plus près, une évidence pourtant : celle de la quête, vitale et partant vibrante, d'une communauté, d'une famille, d'un couple atomisés par la marche du monde et du temps. Dans la tourmente des mutations technologiques et sociales qui dénouent les liens collectifs, le cinéma, dans ce qu'il a de meilleur, reste fidèle à la grandeur de sa vocation originelle : recoudre les lambeaux de la réalité, raccorder le monde à une croyance qui permette aux hommes de vivre ensemble. Signalons enfin, parmi ces cinq titres, une excellente et une attristante nouvelle. La première est la découverte du formidable talent de la jeune Mia Hansen-Love. La seconde est l'échec commercial de Retour en Normandie, qui se trouve être par une cruelle ironie le film le plus beau, le plus personnel et sans doute le plus politiquement urgent de Nicolas Philibert. JEAN-FRANÇOIS RAUGER 1. Still Life, de Jia Zhang Ke 2. Election 2, de Johnnie To 3. La Fille coupée en deux, de Claude Chabrol 4. La Vengeance dans la peau, de Paul Greengrass 5. Avant que j'oublie, de Jacques Nolot Jia Zhang Ke continue de construire l'une des oeuvres les plus importantes du cinéma contemporain. Son film enregistre quasi scientifiquement les mutations de la Chine d'aujourd'hui. Mais Still Life, au-delà de sa force documentaire, est aussi un oeuvre abstraite et mélodramatique, cérébrale et sensuelle. Le film de gangsters aussi peut devenir traité politique. Dans Election 2, de Johnnie To, la violence est sans cesse renvoyée à une signification économique. Quel est le visage du néocapitalisme contemporain ? Les truands mis en scène par le cinéaste d'Hongkong proposent une réponse. Et l'auteur du non moins formidable Exilé, sorti aussi en 2007, signe sans doute son film le plus grave et le plus brutal. Avec La Fille coupée en deux, Chabrol prolonge sa vision du comportement et de l'esprit bourgeois en l'enrichissant. En trois morceaux de bravoure spectaculaires, La Vengeance dans la peau, troisième volet des aventures de Jason Bourne, célèbre la victoire de l'individu sur un monde de la surveillance généralisée. Comment rester caché au coeur d'un univers où tout est transparent ? C'est le défi du cinéma d'action aujourd'hui. Enfin, nourri d'éléments que l'on devine autobiographiques, Avant que j'oublie, de Jacques Nolot, est une splendide et culottée méditation sur la solitude, l'argent et le souvenir. Une émotion inattendue et forte s'en dégage progressivement. ISABELLE REGNIER 1. Boulevard de la mort, de Quentin Tarantino 2. Still Life, de Jia Zhang Ke 3. La Graine et le Mulet, d'Abdellatif Kechiche 4. Tout est pardonné, de Mia Hansen-Love 5. Les Amours d'Astrée et Céladon, d'Eric Rohmer Parmi les fils possibles qui uniraient une sélection forcément arbitraire, celui de l'identité féminine redessine une stimulante cartographie des rapports entre les sexes. Déroulons-le donc, pour placer en tête le jubilatoire Boulevard de la mort, de Quentin Tarantino, confrontation entre un cascadeur psychopathe et deux régiments de filles aux corps de déesses, au verbe torrentiel, qui conçoivent leur vie à fond la caisse. La femme chinoise de Still Life part de plus loin, et le parcours que lui fait suivre Jia Zhang Ke jusqu'au barrage des Trois-Gorges est celui d'une radieuse émancipation. Dans La Graine et le Mulet, d'Abdellatif Kechiche, le bouleversant numéro de danse du ventre final tiendrait plutôt de la régression assumée : en offrant son corps en sacrifice, Rym ne se pose pas en femme-objet mais en sujet conquérant, preneuse en otage du regard concupiscent de la bourgeoisie blanche. Tout est pardonné, de Mia Hansen-Love, se situe, de son côté, dans un monde d'après la bataille, où la jeune Pamela peut simplement être douce, sensible, intelligente, libre, sans que cela soulève de questions particulières. Dernière étape de l'itinéraire, le pôle " queer " des Amours d'Astrée et Céladon, d'Eric Rohmer, où, pour regagner le coeur de son aimée, Celadon n'a d'autre choix que de se travestir en fille. THOMAS SOTINEL 1. Still Life, de Jia Zhang Ke 2. Ratatouille, de Brad Bird 3. Les Promesses de l'ombre, de David Cronenberg 4. Ex aequo. Zodiac, de David Fincher/I'm not There, de Todd Haynes Deux films numériques d'abord, chacun campé à son extrémité du spectre : côté art contemporain, Still Life à la fois capture d'un moment d'histoire (l'édification du barrage des Trois-Gorges, en CHINE, et les destructions qui l'ont permise) et construction esthétique gracieuse et complexe ; côté industrie, Ratatouille, oeuvre collective hollywoodienne (Brad Bird a pris le film en cours de route) et pourtant homogène, tirant le meilleur parti des images générées par ordinateur pour célébrer les plaisirs de la chère et se demander, l'air de rien, ce qui fait un grand créateur (en l'occurrence un cuisinier). L'appartenance au genre humain ? David Cronenberg est un vétéran du brouillage des identités. Pour la deuxième fois consécutive, il a habillé ses interrogations des atours du film noir. Après History of Violence, Les Promesses de l'ombre est le plus bel exemple d'un genre dont la floraison a été particulièrement riche cette année (La nuit nous appartient, de James Gray, American Gangster, de Ridley Scott). Zodiac,I'm not There. de David Fincher, est aussi un film noir, c'est surtout une tentative de voyage dans le temps (le scénario évoque une affaire criminelle vieille de quarante ans) qui bute sur les effacements de la mémoire. Ce n'est pas une coïncidence si Todd Haynes s'est aussi retourné pour se pencher sur les doutes et les indéterminations du plus cryptique des poètes, Bob Dylan, dans son très déconcertant et tout à fait magnifique Pour paraphraser Ballad of a Thin Man, de Dylan, encore une année passée à se dire que quelque chose est arrivé, sans savoir vraiment ce que c'est. © 2008 SA Le Monde. Tous droits réservés.
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