mercredi 2 avril 2008

JO, hypocrisies et postures - Alain Duhamel

Libération, no. 8369 - Rebonds, mercredi, 2 avril 2008, p. 37

La Chine communiste est une dictature depuis l'instant de sa fondation et n'a jamais cessé de l'être. Elle l'était lorsqu'elle a purement et simplement annexé et englouti le Tibet. Elle l'était lorsque le général de Gaulle l'a officiellement reconnue, la France étant alors le premier pays occidental à prendre pareille initiative. Elle l'était toujours quand, en mai 1968, une fraction des militants étudiants français se réclamait de la Révolution culturelle, cette terreur maoïste.

Elle l'est toujours aujourd'hui, alors que les Jeux olympiques vont se dérouler à Pékin. Personne ne l'ignorait quand la capitale de la Chine a été choisie pour organiser la plus prestigieuse manifestation sportive, pacifique et (théoriquement) fraternelle au monde. Ce qui se passe aujourd'hui au Tibet - la répression implacable, la tentative de normalisation culturelle et religieuse, l'oppression absolue - était donc prévisible et même inéluctable. De toute sa longue histoire, la Chine n'a jamais connu la moindre expérience démocratique. Les droits de l'Homme, les libertés individuelles n'existent simplement pas dans sa culture politique. Tout le monde le sait. Devant les persécutions dont sont victimes les Tibétains, c'est donc, chez les Occidentaux, à un festival d'hypocrisies et de postures auquel nous assistons.

A tout seigneur, tout honneur : c'est au Comité international olympique (CIO) que revient, haut la main, la médaille d'or de l'hypocrisie. Dans cette discipline, il n'a pas de rival. C'est lui qui porte entièrement la responsabilité du choix de Pékin pour la plus belle récompense dont puisse rêver une ville. C'est à lui que les autorités communistes chinoises ont publiquement offert la garantie que l'organisation des Jeux olympiques permettrait de desserrer les contraintes qui menacent tout individu au sein de la nation la plus peuplée du monde. C'est donc vis-à-vis de lui que la Chine communiste manque cruellement à sa parole. C'est lui dont on attend en vain la moindre protestation, la moindre condamnation publique, le moindre regret. Le CIO se comporte comme l'auxiliaire, comme le vassal des autorités chinoises.

Médaille d'argent, les pays occidentaux en général, les européens en particulier : sans les votes de leurs représentants, sans l'autorité du président européen du CIO, l'Espagnol Samaranch, Pékin n'aurait jamais été choisi. Devant la répression chinoise au Tibet, c'est ostensiblement de leur côté confusion, lâcheté et débandade. Protestations gênées, interpellations prudentes, discorde générale. La Chine est un sujet trop sérieux pour le confier aux normes démocratiques. On ne sanctionne pas une puissance telle que la Chine. On commerce avec elle, on investit joyeusement sur son territoire, on négocie avidement des contrats, on tisse des alliances fructueuses. Quand la Chine s'éveille et frappe ses citoyens, tue des Tibétains, condamne toute minorité culturelle ou religieuse, on ferme pieusement les yeux. Un regret ici, un appel téléphonique courtois là, et c'est tout. La Grande-Bretagne, attentive aux JO de Londres, participera à la cérémonie d'ouverture des Jeux de Pékin, c'est officiel. Les Vingt-Sept, toujours héroïques, recevront le dalaï-lama mais sont bien résolus à ne pas opposer de front uni à l'arrogance chinoise. Pas de boycottage collectif des cérémonies d'ouverture.

Médaille de bronze, les bons apôtres qui appellent éloquemment au boycottage pur et simple des JO de Pékin, qui demandent donc à nos athlètes de renoncer à toute participation. C'est ce qui se nomme une posture : on sait très bien que les Jeux olympiques de Pékin auront lieu. L'énorme machine olympique, au budget faramineux, tourne déjà à plein régime avec ses sponsors, ses apparatchiks et la plus grande concentration de médias et de journalistes jamais rassemblée. Appeler les athlètes français au boycottage, cela revient à les sacrifier inutilement, comme l'ont été dans le passé tous ceux qui ont tenté pareille manoeuvre contre les JO de Berlin (des Jeux dont les démocraties voulaient faire cadeau à la République de Weimar, ce qui a bénéficié à Hitler), de Moscou et d'ailleurs. L'Europe n'est même pas capable de faire plier le Liechtenstein, comment pourrait-elle émouvoir la Chine ?

En fait, il ne reste que deux armes possibles, très symboliques, devant la répression chinoise. La première est nationale, franco-française. Si le président du pays des droits de l'homme refuse de se rendre à Pékin pour l'ouverture des Jeux, alors même qu'il présidera à ce moment-là le Conseil européen, cela s'appellera un camouflet pour la Chine. Quant aux athlètes, un simple geste de leur part devant les caméras, au moment de la remise des médailles, fera plus pour la cause tibétaine que tous les discours de ceux qui, comme les vieillards de La guerre de Troie n'aura pas lieu, prêchent l'héroïsme et le sacrifice aux autres.

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