Un mois après le passage du typhon Nargis, qui a dévasté le delta de l'Irrawaddy, en Birmanie, les 2 et 3 mai, fait 133 600 morts ou disparus, selon les autorités, et laissé 2,4 millions de Birmans sans abri, l'ONU reconnaît qu'un travail " urgent " reste à faire et que 60 % des sinistrés n'ont reçu aucune aide. Les réfugiés sont, selon les ONG, chassés des camps par la police anti-émeute pour réintégrer des logis détruits.
Ce constat, dévastateur pour les dirigeants du pays, est aussi celui de l'impuissance de la communauté internationale face à une junte militaire irrémédiablement fermée. Impuissance de l'Occident qui, ayant choisi d'isoler le régime, n'a plus aucun moyen de pression sur ce pays. Impuissance de l'ONU, même si l'intervention sur place du secrétaire général, Ban Ki-moon, a permis d'entrouvrir la porte. Impuissance de l'Asie du Sud-Est, dont l'approche conciliatrice et " familiale " se solde aussi par un échec.
Ces frustrations ont éclaté, les 31 mai et 1er juin, au cours d'une conférence sur la sécurité en Asie organisée par l'Institut international d'études stratégiques (IISS) de Londres, à Singapour, en présence de responsables de la défense, dont le vice-ministre birman de la défense, Aye Myint. Le chef du Pentagone, l'Américain Robert Gates, a accusé la junte birmane de " négligence criminelle " ; son refus d'une aide internationale massive a coûté, a-t-il dit, " des dizaines de milliers de vies ". A un participant asiatique qui critiquait l'approche " dure " des Etats-Unis, il a rétorqué, évoquant des généraux " sourds et stupides " : " Chaque fois que nous leur avons tendu la main, ils ont gardé les leurs dans leur poche. " Le député français Pierre Lellouche a proposé que les dirigeants qui refusent l'aide " par caprice " soient jugés par la Cour pénale internationale.
Des responsables asiatiques ont eux aussi exprimé leur exaspération à l'égard de la junte birmane. Le vice-premier ministre et ministre de la défense de Malaisie, Najib Razak, qui siégeait à la même tribune que le général Aye Myint, a averti que " si l'aide n'atteint pas les sinistrés, l'ampleur du désastre dépassera celle du tsunami de 2004 ". " Au risque d'offenser mon collègue, a-t-il poursuivi en se tournant vers le Birman, oui, nous voulons jouer un plus grand rôle dans la tragédie du Myanmar - Birmanie - . " " Nous ", c'est l'Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean), qui s'est engagée, le 19 mai, à mettre en oeuvre un " mécanisme " permettant de distribuer l'aide internationale en Birmanie. Ce mécanisme ne s'est guère concrétisé.
L'obstruction de la Birmanie, Etat membre de l'Asean, est de plus en plus embarrassante pour les gouvernements voisins, dont la presse et la société civile sont plus offensives sur la tragédie birmane. Au déjeuner à huis clos qui a réuni les ministres présents au forum de l'IISS, les participants ont pris à partie, les uns après les autres, selon un participant, leur collègue birman. Celui-ci est resté imperturbable, accroché à un discours de déni, assurant que les autorités birmanes maîtrisaient la situation et en étaient déjà à la phase de reconstruction, pour laquelle l'aide internationale est la bienvenue, " pourvu qu'elle soit sans conditions ".
Deux participants ont cependant réussi à se tenir à l'écart de la mêlée : le plus haut représentant chinois, le général Ma Xiaotian, chef d'état-major adjoint de l'Armée populaire de libération (APL), et Pallam Raju, vice-ministre indien de la défense. La Chine et l'Inde passent pour les deux seuls pays capables de peser sur la junte. Au cours du forum, le concept de " responsabilité de fournir " de l'aide a émergé, pour tenter de sortir de l'impasse dans laquelle le rejet très majoritaire d'une intervention militaire en Birmanie a placé celui de " responsabilité de protéger ". Mais, devant le silence de la Chine et de l'Inde, ces débats restent vains.
Sylvie Kauffmann
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