Jeudi 8 mai 2008
Humiliations, arrestations, envoi en camp de rééducation par le travail : Colères chinoises s’attache aux pas de Zhang Guiqing, de sa fille Zhuo et d’autres victimes de la révolution économique que connaît la Chine. Zhang Guiqing avait décidé de tout quitter pour venir à Pékin dénoncer la spoliation de ses terres et la corruption des cadres de son village comme le lui permet la tradition des pétitions. Ces pétitions représentent ce droit ancestral qui autorise les Chinois à contester des décisions qu’ils jugent arbitraires. Elle pensait exercer un droit ; elle s’est heurtée de plein fouet à la machine répressive chinoise. Comme Liu Jie, devenue symbole pour ces pétitionnaires. En 2005, elle organisait une pétition collective demandant au gouvernement chinois le respect de ses propres lois. Mais fin 2007, Liu Jie est envoyée en camp de travail pour 18 mois pour trouble de l’ordre social. Tourné à l’occasion de plusieurs séjours en Chine, ces 3 dernières années, Colères chinoises illustre la violence d’un système, mais aussi l’éveil de la notion des droits de l’homme chez des Chinois de plus en plus nombreux à les revendiquer.
Interview d’Anne LOUSSOUARN
1. Comment s’est déroulée la préparation de votre tournage en Chine ?
J’ai préparé le reportage depuis la Chine, où j’ai bénéficié de l’aide d’un réseau de connaissances. J’ai ainsi pu retrouver très vite la trace des personnes que j’avais rencontrées en 2005. Depuis la France, j’étais restée en contact par email avec Zhuo, la fille de Zhang et plusieurs autres personnes. Grâce à cela, la préparation a pu rester relativement discrète vis-à-vis des autorités.
2. Comment avez-vous rencontré ces chinois pétitionnaires ?
Il y a trois ans, j’avais passé plusieurs semaines à récolter les témoignages de personnes que je rencontrais au village des pétitionnaires. Au début, mon contact au quartier me guidait vers les chambrées « sûres », c’est-à-dire celles dont les propriétaires n’étaient pas de mèche avec les policiers. Puis j’ai réalisé que mon numéro de téléphone circulait dans les chambrées. J’ai même commencé à recevoir des appels de paysans qui me contactaient depuis leur village en province pour m’inviter à venir « révéler la vérité » sur ce qui se passait chez eux, notamment sur les expropriations de terres ou la corruption. Au fil des semaines, je suis beaucoup revenue dans la chambrée de Zhang Guiqing, avec qui j’avais sympathisé. L’été suivant, quand j’ai appris pour son mari, je suis partie la voir à Jilin, où elle le veillait à l’hôpital. Elle semblait soulagée de pouvoir se confier sans être rudoyée. C’est vraiment Zhang que j’ai voulu retrouver trois ans plus tard.
3. Quand avez-vous tourné ce reportage ?
Je suis retournée en février à Pékin avec le caméraman Richard Montrobert. Les dates ont été choisies entre le Nouvel an chinois, plutôt calme, et l’Assemblée Nationale populaire début mars. C’est une période tendue, pendant laquelle la répression s’accroît envers les pétitionnaires qui tentent de se mobiliser. Nous sommes rentrés juste avant le début des événements au Tibet et « la crise de la flamme olympique », qui ont dû rendre les conditions de travail beaucoup plus difficiles depuis.
4. Dans quelles conditions s’est déroulé le tournage ? Avez-vous dû faire face à des pressions des autorités chinoises ?
Le tournage s’est déroulé dans de bonnes conditions. Paradoxalement, nous avons obtenu des visas très rapidement grâce aux JO. Nous avons aussi grandement profité des nouvelles régulations qui permettent de travailler sans guide officiel, comme avant 2007. Une fois sur place, nous sommes restés discrets grâce à l’expérience acquise lors de mon enquête en 2005. Nous avons commencé par retrouver les personnes individuellement, puis vers la fin du tournage, à tourner les séquences en extérieur, dans les ruelles où se trouvent les bureaux de pétition. Nous n’avons été contrôlés qu’une seule fois car nous avions sorti la caméra à l’entrée du bureau national des pétitions.
5. Avez-vous rencontré des difficultés, des imprévus dans le tournage ?
En Chine, il est paradoxalement devenu plus facile de rencontrer des gens mécontents ou des militants que d’obtenir un entretien officiel sur un sujet sensible. Les pétitionnaires sont très demandeurs de contacts avec la presse étrangère. Le tout est d’éviter les policiers. J’ai toujours eu peur de l’impact que pouvait avoir pour eux la décision de parler aux médias étrangers, ce qui est loin d’être anodin dans un pays comme la Chine. Pouvaient-ils être arrêtés, internés, une fois de plus ? En général, nous abordions toujours ce thème en préambule des interviews. La plupart voulaient parler quelles que soient les conséquences. Ils sont acculés à une telle situation de désespoir qu’ils n’ont plus rien à perdre.
6. Que retiendrez-vous de ce reportage ?
J’ai été complètement subjuguée par la détermination qui habite les pétitionnaires. Malgré les humiliations et les tabassages, ils ne baissent pas les bras et ne pensent pas recommencer une autre vie à zéro, ailleurs, ou à oublier… Non, il faut qu’ils obtiennent justice. C’est une grande leçon de courage.
7. Avez-vous des nouvelles des personnages que vous avez suivis au cours de votre reportage ?
Je suis en contact avec plusieurs d’entre eux, qui sont presque devenus des amis. J’ai appris que Zhang avait –enfin !-obtenu une indemnisation de 300 000 yuans (27 000€) et une maison, qui est en cours de construction. J’espère lui rendre visite à Jilin lors d’un de mes prochains voyages en Chine !
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