lundi 20 octobre 2008

Les Jeux olympiques, et après ?

Le Soir - SPORTS, samedi, 18 octobre 2008, p. 26
PHILIPPE VANDE WEYER

Mardi soir, un peu plus de huit semaines après la fin des JO de Pékin, le Comité olympique et interfédéral belge (COIB) célébrera la fin de la XXIXe olympiade lors d'un petit raout auquel ont été conviés, parmi d'autres, les 96 athlètes belges présents cet été en Chine. Mais tous, assurément, ne seront pas là. Certains, pour des raisons de manque de disponibilité. D'autres, parce que ces retrouvailles arrivent trop tôt après un sommet sportif qu'ils n'ont pas encore tout à fait digéré.

Le phénomène n'est pas neuf. Des années passées à préparer un événement majeur, à souffrir, souvent seul, mentalement, physiquement et émotionnellement, cela laisse forcément des traces une fois qu'il a eu lieu. Et en sport comme ailleurs, la possibilité de ne pas « passer outre » existe. Quel que soit le résultat obtenu, qui plus est.

« Après un investissement aussi énorme et parce que le projet sportif se dégonfle comme une baudruche, le risque de "blues" est réel, confirme ainsi Philippe Godin, professeur de psychologie du sport à l'UCL. On peut tout à fait assimiler cela à la dépression post-partum dont souffrent certaines femmes après un accouchement. Pour ceux qui ont échoué, il y a la question du " Tout ça pour ça ?" ; pour ceux qui ont réussi, il peut y avoir le "Et quoi maintenant ? ". »

Ces symptômes peuvent survenir d'autant plus facilement qu'une fois la compétition terminée, en raison de son désinvestissement - même temporaire - l'athlète subit une chute de production hormonale. Celle-ci peut déboucher sur des sautes d'humeur, des troubles du sommeil et de l'alimentation, voire des problèmes relationnels.

« L'excitation est passée. Tout devient plat, poursuit Godin. Et souvent, dans ces cas-là, l'environnement humain autour du sportif se retrouve démuni. Pour autant qu'il en ait un, car certains le délaissent complètement. D'où la nécessité de se faire aider professionnellement. Il y a une sorte de deuil qui doit se faire. »

Négliger cela peut parfois déboucher sur de véritables catastrophes. Ainsi, le coureur cycliste britannique Bradley Wiggins, triple médaillé sur piste aux Jeux d'Athènes, a sombré pendant six mois dans l'alcoolisme une fois rentré au pays... avant de se reprendre et de remporter deux autres médailles aux Jeux de Pékin. Wil van Bladel, le coach néerlandais d'Evi Van Acker, lui-même sélectionné en voile aux Jeux de Los Angeles et Séoul, évoque le suicide de l'un de ses équipiers de l'époque après une prestation décevante. « Nous n'étions pas du tout encadrés comme on l'est maintenant », regrette-t-il.

Retraitée des tatamis depuis 2002, Ulla Werbrouck, qui a pris part à trois Jeux olympiques, en y réussissant trois résultats fondamentalement différents - une blessure en 1992, une médaille d'or en 1996, une 5e place en 2000 - convient de la particularité des JO, « dont j'ai toujours eu plus de mal à me remettre que des championnats d'Europe ou du monde », en raison du miroir grossissant dont ils font l'objet et de l'investissement plus grand qu'ils nécessitent.

« Le break que j'ai dû faire après les Jeux a chaque fois été important, explique-t-elle. Sans cela, j'aurais sans doute craqué. »

Et la reprise des entraînements a toujours constitué pour la judokate un supplice, surtout en 1996, trois mois après son triomphe d'Atlanta, au terme d'une période où elle avait fort logiquement plus couru les réceptions que fréquenté les salles d'entraînement.

« S'il y a un moment, durant ma carrière, où j'ai failli arrêter prématurément, c'est là, dit-elle aujourd'hui. Je repartais quasiment de zéro mais comme j'étais championne olympique, je ne pouvais pas utiliser ça comme excuse. Tout le monde m'attendait au tournant, je n'avais pas droit au moindre faux pas. Je l'ai assez mal vécu les premières semaines. Je suis brutalement retombée sur terre. Heureusement, j'ai remis les choses au point aux championnats d'Europe 1997 (à Ostende) en décrochant l'or. »

Au COIB, la question de l'encadrement et du soutien immédiats est, selon Eddy De Smedt, le directeur sportif, prise très au sérieux en période de Jeux pour les athlètes qui en ont besoin. Car la dépression post-olympique ne se produit pas nécessairement au retour au pays ; elle peut frapper tout de suite, après un résultat décevant.

« Lorsque nous sentons une vraie détresse après un échec, nous actionnons plusieurs outils, dit-il. D'abord, nous essayons de ne jamais laisser l'athlète seul. Nous l'emmenons voir les compétitions des autres membres de l'équipe belge. Nous lui parlons beaucoup aussi, mais sans chercher à aller tout de suite au coeur du problème ; nous ne sommes pas des psychologues. »

Leur aide, selon lui, doit être sollicitée en aval si l'athlète ne parvient pas à récupérer mentalement après une période de repos plus ou moins longue. « Certains prennent trop sur eux, explique encore De Smedt. Ils s'en veulent d'avoir déçu leurs proches. Or, si une analyse en profondeur est nécessaire pour établir les fautes qui ont été commises ou non, il faut avant tout veiller à déculpabiliser. »

Déterminer rapidement de nouveaux objectifs, s'accrocher directement à quelque chose de concret doit aussi aider un athlète à se relancer et à contrer les inévitables coups de « blues ».

« C'est toujours difficile, admet De Smedt, surtout pour les sportifs de "vraies" disciplines olympiques dont l'échéance majeure n'arrive qu'une fois tous les quatre ans. Evoquer les prochains Jeux n'a donc pas de sens. Il faut miser sur le court terme, ce qui est relativement facile car il y a de plus en plus de championnats du monde ou de championnats d'Europe. Avant d'arriver au rêve, il faut des étapes plus réalistes... »

© Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2008

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