ARCHITECTURE Le quatrième Forum urbain mondial s'est ouvert à Nankin sous l'égide des Nations unies
On ne pouvait rêver décor plus approprié. C'est à Nankin, dans une Chine qui illustre plus que tout autre pays la folle urbanisation du monde, que se tient le quatrième Forum urbain mondial, sous l'égide du Programme des Nations unies pour les établissements humains (ONU-Habitat), du lundi 3 au jeudi 6 novembre. Mais, alors que les villes chinoises font souvent figure de cauchemar, monstres gris noyés dans la pollution, hérissés de tours anonymes et sillonnés par les autoroutes, l'ONU et la Banque mondiale viennent, chacune de son côté, d'ériger la Chine en élève modèle de l'urbanisation.
Le Forum urbain mondial, réuni tous les deux ans, s'est imposé comme un des grands rendez-vous des acteurs des villes de toute la planète. De 1 200 participants au premier forum de Nairobi (siège de l'ONU-Habitat) en 2002, le public a grimpé à 4 400 visiteurs à Barcelone en 2004 et 11 400 à Vancouver en 2006. Traditionnellement, l'ONU y récompense des initiatives et des politiques exemplaires en matière d'habitat. Cette année, pas moins de trois villes chinoises - Nankin, Shaoxing et Zhangjiagang - se voient remettre une médaille.
Diplomatie ? Pas du tout, selon la directrice de l'ONU-Habitat, Anna Tibaijuka (PHOTO) : " Les autorités chinoises ont déployé une énergie rare pour équilibrer le rapport entre villes et campagnes ; combattre la pauvreté en permettant à 500 millions de personnes en vingt-cinq ans de passer au-dessus d'un dollar de revenu par jour ; bâtir des logements bon marché... Vous pouvez comparer avec l'Inde : en Chine, on ne voit personne dormir dans la rue. "
Pour Mme Tibaijuka, " nous pouvons tirer des enseignements des grands progrès accomplis par toutes ces villes chinoises, particulièrement en ces temps de crise financière globale. Tous les lauréats récompensés par l'ONU démontrent que ce sont les gouvernements qui doivent prendre la direction des opérations en matière de logement. "
Le thème retenu pour ce quatrième Forum urbain mondial, " Urbanisation harmonieuse ", fait écho à la vision d'une " société harmonieuse ", paradigme politique du Parti communiste chinois (PCC). " Ce thème comprend non seulement le développement social, économique et environnemental, mais aussi l'harmonie générale entre rural et urbain, nouveau et ancien ", détaille Jiang Weixin, ministre du logement et du développement urbain et rural. Même si l'intitulé peut faire sourire, dans un pays qui bâtit ses villes à marche forcée en faisant table rase de son patrimoine et en déplaçant de force des millions d'habitants.
650 MILLIONS DE CITADINS
L'échelle démographique chinoise rend le phénomène vertigineux. Sous l'effet d'un exode rural massif, les villes du pays sont passées de 77 millions d'habitants en 1953 à 190 millions en 1980, puis à 470 millions en 2000, pour atteindre quelque 650 millions aujourd'hui, si l'on inclut la " population flottante " de 150 millions de travailleurs migrants.
Pas moins de 246 villes nouvelles ont été construites depuis 1990, 400 autres doivent sortir de terre d'ici à 2020 pour faire face à l'afflux de paysans. Des bourgades comme Shenzhen ou Chongqing sont devenues des mégapoles tentaculaires dépassant les 10 millions d'habitants. Le pays compte 89 villes de plus d'un million d'habitants - dont 49 créées il y a moins de vingt ans. Si son taux de population urbaine n'est encore que de 45 %, il devrait atteindre 60 % d'ici à 2020, après que les villes auront absorbé 300 millions d'habitants supplémentaires.
Ces bonnes notes attribuées à la Chine tiennent beaucoup au fait qu'elle ait su éviter la création de ces abcès que sont les bidonvilles. " La Chine est parvenue à contrôler le flux de population et à modérer son urbanisation, juge Shahid Yusuf. Cet économiste de la Banque mondiale vient de publier un épais rapport sur l'urbanisation de la Chine (China Urbanizes, World Bank Publications). Grâce à la croissance rapide de l'économie, la pauvreté urbaine a été contenue entre 4 % et 6 %, une fraction de ce qu'on observe ailleurs. "
Pour M. Yusuf, le fait que l'urbanisme chinois manque de charme est secondaire : " C'est vrai que ces villes manquent encore beaucoup d'espaces publics et d'espaces verts. Mais plus de 10 % du PIB est investi dans la construction d'équipements publics, d'infrastructures urbaines et de logements. Pour cette raison, il y a exceptionnellement peu de bidonvilles. "
L'enjeu économique est à la mesure... de cette démesure : les zones urbaines représentent d'ores et déjà plus de 60 % du PIB et 80 % de la croissance économique du pays. Et, d'après la Banque mondiale, le transfert de main-d'oeuvre de la campagne vers des industries urbaines plus productives explique 10 % de la croissance économique de la Chine des deux dernières décennies. La prédominance de l'industrie sur les services a aussi favorisé l'égalité sociale - les villes chinoises sont parmi les plus égalitaires, selon le rapport de l'ONU " L'état des villes du monde 2008-2009 ".
Bémols à ce concert de louanges : ces industries lourdes s'ajoutent à la multiplication des voitures et à l'allongement démentiel des trajets domicile-travail, à une production électrique issue à 70 % de centrales à charbon et à des déchets urbains et des eaux usées pour moitié non traités. Un cocktail qui permet au pays de compter vingt des trente villes du monde les plus polluées.
Grégoire Allix
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