dimanche 23 novembre 2008

A Dharamsala, la diaspora débat de son avenir face à la Chine - Frédéric Bobin

Le Monde - International, lundi, 24 novembre 2008, p. 7

Lobsang Sangay a beau porter la chuba, la robe traditionnelle tibétaine, son accent américain le trahit vite. Quadragénaire à l'allure élancée, il réside d'ordinaire dans le Massachusetts où il enseigne à la Harvard School of Law. " C'est un moment historique pour les Tibétains ", clame-t-il avant de décortiquer, en bon universitaire, les dimensions " politique ", " stratégique " et " symbolique " de l'événement.

Lobsang Sangay est l'un des 550 délégués de la diaspora tibétaine qui se sont réunis en conclave exceptionnel du 17 au 22 novembre à Dharamsala, " capitale " depuis 1959 du gouvernement tibétain en exil, agrippée aux contreforts himalayens dans le nord de l'Inde. Ces états généraux de la communauté ont été convoqués par le dalaï-lama à la suite du récent échec du cycle des pourparlers avec la Chine ouvert après les violents troubles du printemps au Tibet. Le chef politique et spirituel tibétain est en quête d'idées nouvelles et se retourne vers son peuple pour quérir son avis. Ce type de consultation est sans précédent dans l'histoire du mouvement tibétain.

Vendredi 21 novembre, Lobsang Sangay faisait une pause thé entre deux sessions tenues dans l'auditorium du Tibet Children Village, un complexe scolaire noyé dans une forêt de sapins près de Dharamsala. C'est l'heure de la sortie des cours. Les écoliers en survêtement bleu se mêlent aux délégués devisant gravement de l'avenir du Tibet autour d'un gobelet de thé brûlant. Puis ils traversent le terrain de foot pour regagner leurs internats.

" Mettre les autres avant soi-même ", proclame un slogan peint sur la façade de pierre entourant le stade. Un pic glacé, diaphane sous le soleil, surplombe la petite colonie en pleine introspection. Les massifs de l'Himalaya rappellent que le " Toit du monde " n'est pas loin. Lobsang Sangay a une formule pour résumer l'enjeu " historique " de l'événement : " C'est un moment de transition entre un mouvement tibétain dirigé par le dalaï-lama et un mouvement dirigé par son peuple. "

En somme, une démocratisation des institutions régissant la diaspora (140 000 Tibétains en tout) jusque-là monopolisées par " Sa Sainteté " (le dalaï-lama), un gouvernement et un Parlement en exil, tous basés à Dharamsala. Les 550 délégués du conclave sont issus des organes officiels de Dharamsala mais aussi des camps de réfugiés d'Inde, du Népal et du Bhoutan, des différentes écoles du bouddhisme tibétain, d'institutions culturelles, d'une noria d'associations, de cercles intellectuels à travers le monde.

Samedi, ce congrès de la diaspora devait rendre publique une synthèse de " recommandations " sur l'avenir du dialogue avec la Chine. Ce catalogue ne scelle pas en soi une nouvelle stratégie. Il offre plutôt une boîte à idées dont s'inspireront le Parlement en exil et le dalaï-lama. A en juger par les indications qui ont filtré des débats, l'option de la " voie moyenne " - c'est-à-dire le dialogue avec Pékin pour revendiquer une " autonomie réelle " du Tibet dans le cadre de la République populaire de Chine - devrait rester de mise. Les partisans de l'indépendance, minoritaires dans le conclave, n'ont pas réussi à s'imposer : ils ne se faisaient d'ailleurs aucune illusion. Mais la frustration à l'égard de Pékin, qui vient d'opposer une sèche rebuffade au projet d'autonomie défendu par les envoyés du dalaï-lama, va inévitablement se traduire par un raidissement des Tibétains, y compris chez les modérés partisans de la " voie moyenne ".

De nombreux délégués se sont ainsi prononcés pour une suspension du dialogue tant que Pékin ne se départ pas de son inflexibilité. " Cela ne sert à rien de parler pour le simple plaisir de parler ", confirme Lobsang Sangay.

Dans une rue de Dharamsala, venelle bigarrée où se croisent lamas en robe pourpre, hippies drapés de laine chaude et vaches sacrées, un petit homme est penché sur ses livres. Lhasang Tsering tient une librairie exiguë. Quinquagénaire noueux, il a le regard ardent et la barbiche argentée. Au début des années 1970, il était un guérillero antichinois, basé à Mustang, au Népal. Il est resté un homme en colère. Il qualifie de " vains bavardages " les débats du conclave car, selon lui, " le peuple tibétain est en train de mourir ". Face à l'impasse du dialogue, il prêche la révolte radicale. Il parle de porter des coups au coeur même de l'" empire colonial chinois ". La voix de Lhasang Tsering est aujourd'hui plutôt marginale. Mais demain ?

Frédéric Bobin

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