Quelques jours après avoir remis ses prix aux lauréats 2008, la prestigieuse institution suédoise Nobel voit son image ternie. La justice suédoise a confirmé, jeudi 18 décembre, des informations de la Sverigen Radio (SR) selon laquelle elle enquêtait sur deux affaires de conflits d'intérêts.
Une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur Nils-Erik Schultz de l'Unité de lutte contre la corruption. Elle concerne deux voyages effectués en Chine par des représentants du comité Nobel. Le premier voyage date de mars 2006. Le second, en janvier, a duré une semaine et concernait Sven Lidin, du comité Nobel de chimie, et Brje Johansson, du comité Nobel de physique. Au total cinq personnes sont concernées.
Le coût de ces déplacements ainsi que tous les frais avaient été pris en charge par les autorités chinoises. L'objectif officiel était, selon la SR, d'informer les responsables chinois sur la manière dont sont sélectionnés les candidats et dont sont attribués les prix. Selon Bertil Fredholm, président du comité Nobel de médecine, qui a participé à l'un de ces voyages, il s'agit certes d'un cas «limite». Mais son principe et ses modalités avaient été discutés auparavant au sein de l'institution.
Nils-Erik Schultz va procéder à l'examen du coût de ces déplacements tout comme à l'identité des participants et à leurs fonctions. L'enquête cherchera aussi à déterminer les raisons pour lesquelles les autorités chinoises ont souhaité inviter des responsables de l'institution suédoise. La question centrale à laquelle la justice suédoise devra répondre est celle de savoir si ce type de pratique visait à favoriser l'attribution du prix à des candidats chinois.
Liens avec l'industrie
La deuxième affaire est, potentiellement, d'une tout autre ampleur. Le procureur suédois va enquêter sur la nature des différents liens existant entre le groupe pharmaceutique anglo-suédois Astra Zeneca et deux entreprises étroitement liées à la Fondation Nobel. Il cherche à déterminer si ces liens ont pesé sur la décision d'accorder l'un des Prix Nobel de médecine 2008 à l'Allemand Harald zur Hausen pour ses travaux sur les origines virales du cancer du col de l'utérus. Bertil Fredholm, président du comité Nobel de l'Institut Karolinska, qui décerne le Prix de médecine, a en effet travaillé en tant que consultant pour Astra Zeneca. Alors que Bo Angelin, un autre membre du même comité, siège au conseil d'administration depuis mai 2007.
D'autre part, le laboratoire pharmaceutique Astra Zeneca sponsorise deux des entreprises de la Fondation Nobel: Nobel Media AB et Nobel Web AB. Ce qui n'a rien de secret puisque le contrat de sponsoring a été publiquement annoncé, le 6 novembre, lorsque le laboratoire a lancé la «Astra Zeneca Nobel Medecine Initiative», une opération destinée à attirer l'attention du grand public sur le Prix Nobel de médecine ou de physiologie. Le contrat porte notamment sur la réalisation de conférences, de matériel interactif et de vulgarisation.
La situation est d'autant plus problématique qu'Astra Zeneca, via sa filiale américaine MedImmune, tire des bénéfices croissants, sous forme de royalties, de la vente de Gardasil (Sanofi Pasteur MSD) et Cervarix (GlaxoSmithKline), deux vaccins visant à protéger contre le cancer du col de l'utérus, commercialisés depuis peu à l'échelon planétaire; des vaccins directement issus des recherches qui ont valu à Harald zur Hausen de recevoir le Prix Nobel de médecine 2008.
Jean-Yves Nau et Olivier Truc, Stockholm
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