vendredi 16 janvier 2009

CINÉMA - Warlords par Peter Chan - Raphael Stainville

Le Figaro, no. 20052 - Le Figaro Magazine, samedi, 17 janvier 2009, p. MAG207

Les derniers feux de l'Empire mandchou. Avec sa fiction inspirée de faits réels, Peter Chan dresse un tableau vivant de la Chine impériale. Un travail d'orfèvre-historien.

A cette époque, mourir était facile. Vivre, plus difficile. » C'est par cette antienne d'un autre temps, presque un proverbe - qui ne doit pourtant rien à la sagesse confucéenne -, que s'ouvrent et s'achèvent Les Seigneurs de la guerre. Rien de plus historiquement correct. Entre 1851 et le début des années 1870, près de 50 millions d'hommes et de femmes, de guerriers et d'enfants vont périr. Par les armes, victimes de la guerre, des combats et des exactions qui les accompagnent, des pillages, des rapines et des viols. De la faim, aussi.

Ce chiffre est à la démesure de la Chine. Pour ses habitants, la seconde moitié du XIXe siècle fut à peine moins tragique que la Révolution culturelle. L'explosion de la démographie de l'Empire et une succession de catastrophes naturelles (crues du Yangzi Jiang, le fleuve Bleu, et du Fleuve jaune) précipitèrent le soulèvement des campagnes et accélérèrent le déclin de la dynastie des Qing, dont le pouvoir, déjà affaibli par de sérieux revers militaires lors de la première guerre de l'Opium contre les puissances occidentales, allait connaître bientôt ses derniers soubresauts.

Dans ce contexte prend naissance la révolte de Taiping, une secte syncrétique d'inspiration vaguement chrétienne, en opposition ouverte au pouvoir mandchou. Emmenés par Hong Xiuquan, leur gourou, 500 000 hommes prennent une partie de la vallée du Yangzi en 1851. En 1853, c'est au tour de Nankin, la plus grande ville de Chine après Pékin, de tomber. Hong Xiuquan y fonde son royaume céleste de la grande paix et en fait sa capitale. C'est ce moment précis de l'histoire où tout bascule, vacille, faseye, que Peter Chan a choisi de raconter dans Les Seigneurs de la guerre, filmant avec une rare puissance la lente et difficile reconquête de ces villes perdues.

A travers le destin de trois frères d'armes, le réalisateur décrit le dernier salut d'un Empire finissant, la dernière respiration d'une dynastie qui doit affronter le chaos d'une guerre civile et voit ses provinces lointaines se disloquer en un brasier de contestation, tout en maintenant les apparences de son pouvoir grâce à une liturgie fastueuse et millénaire. Il faut voir le tableau admirable de ces hommes (le général Pang, admirablement incarné par Jet Li, et ses compagnons Zhao Er-Hu et Jiang Wu-Yang), auréolés de gloire, de conquêtes, de victoires improbables et quasi miraculeuses courber le dos et s'incliner jusqu'au sol devant les mandarins corrompus de l'impératrice douairière Cixi, attendant des heures, sous une pluie battante et glacée, les derniers ordres de ces princes bientôt déchus. Il faut voir, admirer le soin apporté aux détails, la beauté de ces décors naturels, de ces palais où veillent les dragons sur les toits, de ces vêtements flamboyants qu'il aura fallu coudre par milliers pour les besoins de tous les figurants.

Les Seigneurs de la guerre n'est pas seulement un somptueux film de sabre, une aventure haletante qui nous fait traverser les plus beaux paysages steppiques de la Chine, c'est aussi une peinture toute de sueur et de sang des derniers feux de l'Empire mandchou.

PHOTO - L'actrice Xu Jinglei / Le réalisateur Peter Chan / Takeshi Kaneshiro / Jet Li et Andy Lau

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