lundi 12 janvier 2009

INTERVIEW - «Pékin possède un important levier de pouvoir face à la crise»

Le Temps, no. 3363 - Economie, lundi, 5 janvier 2009

RELANCE. Basé à Shanghai, Andy Rothman est stratège macroéconomique de la société financière CLSA. Il minimise les conséquences sociales que produira le ralentissement de la conjoncture.

Le Temps: Vous suivez l'économie chinoise de Shanghai, Les statistiques s'avèrent de plus en plus négatives. Cette tendance devrait-elle se poursuivre en 2009?

Andy Rothman: Les statistiques macroéconomiques chinoises continueront à être très mauvaises pour les mois à venir. Lors du premier trimestre 2009, la croissance du produit intérieur brut (PIB) devrait ainsi descendre à 7%, puis se stabiliser à ce niveau au second trimestre avant de repartir en forte hausse au cours du second semestre. Sur l'ensemble de l'année 2009, la croissance chinoise se situera donc aux alentours de 8%.

- Quel est le principal motif de cette forte baisse de la croissance?

- Pékin devra faire face à l'arrêt de la demande aux Etats-Unis et en Europe et donc à une baisse de ces exportations. C'est d'ailleurs ce qui me fait penser que le gouvernement chinois ne dépréciera pas sa monnaie. Une telle décision n'influerait pas sur la demande américaine et n'aiderait donc que faiblement ses exportations. En revanche, elle provoquerait de fortes tensions avec ses partenaires commerciaux.

- Cette baisse des exportations est-elle très préjudiciable pour le pays?

- Non, car, contrairement à ce qui est souvent dit, la Chine n'est pas une économie fortement dépendante de ses exportations. Si les exportations comptent pour environ 36% du PIB, il est incorrect d'utiliser ce chiffre car plus de 50% des exportations chinoises sont réalisées grâce à des matières premières importées en Chine.

Il faut donc plutôt prendre en compte les exportations nettes, c'est-à-dire les exportations moins les importations. Dès lors, même si l'industrie de transformation ou d'assemblage destinée à l'exportation crée des emplois, la contribution réelle des exportations se situe plus aux alentours des 16% du PIB chinois.

- Quelle est donc la conséquence de la chute des exportations pour la croissance chinoise?

- L'apport des exportations nettes au PIB sera nul mais pas négatif. Cela signifie néanmoins que la croissance chinoise ne pourra compter que sur ses investissements et sa consommation intérieure. Cette dernière se maintient en bonne forme. Il n'existe en effet pas les mêmes problèmes qu'aux Etats-Unis: pas de surendettement des ménages, un taux d'épargne très élevé et une hausse importante des salaires depuis de nombreuses années.

- Comment les investissements vont-ils réagir de leur côté?

- Ils vont baisser mais pas chuter. Entre 10% et 12% d'entre eux sont liés aux exportations, ce qui signifie qu'au moins 88% d'entre eux sont liés à la consommation intérieure. Ils seront d'autant plus stimulés qu'il n'existe pas en Chine de problème de crédit car le système bancaire chinois est plein de liquidité. Toutes les banques sont publiques, elles prêteront donc lorsque le gouvernement le leur imposera, ce qui est déjà le cas depuis quelques semaines. Enfin, et cela n'est pas le moins important, il n'y a aucune crise de confiance puisque le système financier est intact.

- Vous paraissez plutôt optimiste sur les capacités de rebond de la Chine.

- Oui, car il faut tout d'abord rappeler qu'une bonne partie du ralentissement actuel est due à la politique menée par le gouvernement chinois. Depuis plusieurs années, il craignait une surchauffe de l'économie. Il avait donc restreint les possibilités de crédit, l'explosion de l'immobilier, les projets d'infrastructure, la hausse des exportations. La crise commençant à toucher la Chine, il fait marche arrière toute. Il possède donc un pouvoir de levier important.

- Faut-il s'attendre à des risques d'instabilité sociale en Chine?

- J'ai passé ces dernières semaines de longs moments dans le sud de la Chine. J'y ai vu des problèmes individuels, d'employés manifestant et même parfois cassant des usines en raison de salaires impayés. Globalement pourtant, les gens retrouvent ensuite vite du travail.

Si le chômage augmente, le niveau de vie de la population a largement progressé et l'endettement demeure très limité. La clé de la stabilité sociale se situe ailleurs: dans la capacité des autorités centrales à faire sentir aux gens qu'elles s'occupent d'eux. Et en ce sens, on m'a dit que 50% du plan de relance gouvernemental servirait à améliorer les services sociaux comme la couverture santé, les hôpitaux, l'éducation, etc.

ENCADRÉ - Troisième mois de contraction

La production industrielle chinoise a connu un troisième mois de contraction. L'indice des directeurs d'achats de l'industrie manufacturière publié dimanche s'est certes redressé à 41,2 en décembre, contre 38,8 en novembre. Mais un chiffre en dessous de 50 indique un recul de la production, rappelle l'agence Xinhua.

Toutefois, «le chiffre de décembre montre aussi que la fin du déclin de l'activité pourrait être proche», estime Zhang Liqun, économiste au Conseil des affaires de l'Etat, cité par Bloomberg. Selon lui, au fur et à mesure que les mesures de soutien à la conjoncture déploieront leurs effets, le rythme du ralentissement se stabilisera.

Wang Qian, économiste chez JPMorgan à Hongkong, relève pour sa part que la baisse des exportations vient de débuter. Il pense que la situation va empirer et que le plan de relance du gouvernement n'aura pas d'effet avant le deuxième trimestre.

Tristan de Bourbon, Pékin

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