Premiers pas de Mme Clinton au département d'Etat
Il arrive parfois à Hillary Clinton d'oublier elle-même qu'elle a été candidate à la présidence des Etats-Unis. " C'est passé tellement vite. C'est comme un brouillard ", expliquait-elle, mercredi 4 février, au personnel du département d'Etat, réuni dans le grand auditorium. L'amphi était comble, les employés sensibles au fait qu'elle soit venue les rencontrer si rapidement après son entrée en fonctions en janvier. Si Condoleezza Rice, son prédécesseur, était plutôt une technocrate, Hillary Clinton est avant tout une " politique ". Elle a travaillé soigneusement son arrivée au département d'Etat. Même ceux qui avaient mal accueilli sa nomination - " on a voté pour Barack Obama et on se retrouve avec Hillary ! " - se disent rassurés.
En moins de trois semaines, Hillary Clinton semble s'être coulée dans le moule diplomatique. Quel que soit l'interlocuteur, le même mot revient : " professionnalisme ". Elle est " souriante mais assez carrée sur les dossiers ", dit un diplomate. " D'une grande prudence ", ajoute un Européen. Même son allure s'est ajustée. Au Congrès, elle était vêtue des tailleurs pastels qu'affectionnent les sénatrices. Sur les chemins de campagne, elle avait adopté des tenues passe-partout. Dans le décor élégant du Treaty Room, au 7e étage du département d'Etat, elle porte du noir, une broche au revers de la veste. Sa voix s'est adoucie. Le soir, elle dîne avec des experts. Elle écoute " énormément ", dit un de ceux qui se sont entretenus avec elle. " Avec ténacité ", ajoute le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui l'a rencontrée à Washington le 5 février.
Sur le fond, rien n'est encore défini. Au département d'Etat comme à la Maison Blanche, l'expression du moment est policy review (" révision politique "). Que ce soit sur les relations avec Moscou, sujet qui " intéresse beaucoup " Mme Clinton, selon le porte-parole du département d'Etat Robert Wood, ou sur l'Iran, la politique est en redéfinition, sous l'égide du Conseil national de sécurité, l'unique organe à être déjà pourvu de son équipe, qui n'a pas besoin de confirmation au Sénat. Nul ne semble en mesure de préciser la durée de ces révisions.
Barack Obama et Hillary Clinton ont nommé deux émissaires, pour le Proche-Orient et l'Afghanistan-Pakistan. Pour le reste, ils se donnent le temps de consulter, même si les échéances budgétaires (fin février) ou internationales (le sommet de l'OTAN début avril) vont contraindre l'administration à se déterminer, notamment sur les effectifs - et l'objectif - de la mission en Afghanistan. En tout état de cause, affirme M. Kouchner, " on sent une volonté d'aller vers la paix, pas une volonté de puissance ". " C'est un espoir formidable, a-t-il souligné. Evidemment, ce n'est pas pour cela que la question de l'Iran est réglée. "
Devant le Sénat, Mme Clinton avait décrit sa politique comme un " mariage de principes et de pragmatisme ". Elle s'est entourée de réalistes, et on trouve peu de " faucons humanitaires " (les partisans des interventions " morales "), même si Madeleine Albright, qui représente cette tendance, est une conseillère et amie. Comme Barack Obama, elle insiste autant sur les gens que sur les mécanismes et les concepts. Au ministère, elle envisage de créer une direction " femmes ". " De nombreuses études nous ont montré une corrélation directe entre le rôle des femmes et la démocratie ", a-t-elle expliqué. La direction qui s'occupe de promotion de la démocratie, particulièrement en pointe pendant les années Bush, doit voir son importance diminuer, de même que l'Europe de l'Est.
Pour son premier voyage, Mme Clinton a choisi l'Asie, où elle se rend à partir du 15 février, un choix que le porte-parole a décrit comme " très significatif ". Généralement, les premiers déplacements étaient plutôt réservés à l'Europe ou au Proche-Orient. Mme Clinton a probablement aussi entendu l'appel des experts qui avaient regretté que l'administration Bush ait délaissé ses alliés en Asie, en particulier le Japon.
C'est surtout à Pékin qu'elle est attendue. En 1995, alors qu'elle était Première Dame, elle s'était distinguée par un discours sur les droits de l'homme à la Conférence de l'ONU sur les femmes. Depuis sa nomination, elle a signalé un intérêt marqué pour la Chine et un désir certain de voir le département d'Etat reprendre le dossier. De son point de vue, l'administration Bush a eu le tort de ne plus considérer les relations avec Pékin que sous l'angle économique. Dès sa première semaine en fonctions, Mme Clinton a déjeuné avec le secrétaire au trésor, Tim Geithner. Nombre d'observateurs estiment qu'elle espère installer la maîtrise de son département sur la politique avec Pékin, autrement dit la relation qui est la plus importante pour les Etats-Unis.
Reste, pour " Madame Secretary ", à gérer les égos des super-diplomates de son cabinet, tel que Richard Holbrooke, le représentant pour l'Afghanistan. D'ores et déjà, il a réclamé une équipe de 25 personnes. Il est censé n'en avoir que 10. " Et il en aura 40 ", plaisante un de ceux qui le connaissent bien.
Corine Lesnes
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