Homme d'affaires à Hongkong et président de la Chambre internationale de commerce, Victor Fung affirme que les échanges sont la clé pour faire redémarrer la croissance mondiale
Le Temps: Le Fonds monétaire international vient de réviser ses prévisions de croissance pour 2009 à 2,6% pour l'Asie. La conjoncture est-elle vraiment mauvaise chez vous?
Victor Fung: La crise économique a pris corps au quatrième trimestre 2008. Durant les trois précédents trimestres, il y avait certes beaucoup de craintes. La crise financière était là, mais l'économie réelle n'était pas atteinte. Elle l'est aujourd'hui. Je pense que le fond sera touché vers la fin de l'année. Et nous prendrons le chemin de la reprise en 2010. De toute évidence, la situation est préoccupante, mais les mesures prises par les Etats donnent de l'espoir.
Cela dit, permettez-moi de souligner que le mot «crise se» traduit en langue chinoise par «danger» et «opportunité». Nous connaissons le danger, et nous avons maintenant l'opportunité de revoir les règles fondamentales qui gouvernent l'économie, de moderniser le secteur financier et de reconstruire un nouvel ordre mondial.
- Quelle est l'ampleur des dégâts en Asie?
- Si vous me demandez de comparer l'Asie avec les Etats-Unis et l'Europe, je dirais que l'Asie est la moins touchée. La Chine et l'Inde, les deux moteurs de croissance en Asie, vont sans doute ralentir, mais je ne les vois pas sombrer dans la récession. Les pays asiatiques disposent de grandes réserves, aujourd'hui mises à contribution. Par ailleurs, la demande intérieure en Asie augmente et compense graduellement la perte des marchés américain et européen.
- Comment appréhendez-vous les conséquences sociales de cette crise? La Chine vient d'annoncer le licenciement de 20 millions d'ouvriers.
- Il faut mettre les 20 millions de nouveaux chômeurs en perspective avec le 1,3 milliard de Chinois. La Chine peut gérer ce problème. Celui-ci sera toutefois plus aigu dans les régions côtières où les entreprises, orientées vers l'exportation, subissent la baisse de la demande mondiale de plein fouet. Par contre, les travailleurs migrants seront absorbés dans l'agriculture. La Chine est toujours une grande économie agricole qui fait vivre plusieurs millions de travailleurs. La demande intérieure pour toutes sortes de produits est accentuée par les investissements dans les infrastructures faits dans le cadre du plan de relance. La situation est identique dans le reste de l'Asie, sauf au Japon où il n'y a pas d'économie agricole forte. Les chômeurs japonais ne pourront dont pas se recycler dans l'agriculture.
- Ne craignez-vous pas des tensions sociales?
- Non. En tout cas, pas pour le moment. Je pense que les Etats sont conscients des risques et maîtrisent la situation.
- Que fait l'Asie précisément pour sortir de la crise?
- C'est tout le monde qui doit fixer les problèmes de la crise financière. C'est un préalable pour remettre l'économie réelle sur les rails. L'élément moteur de la croissance est le commerce. Lorsque l'économie mondiale ira mieux, les exportations asiatiques reprendront. Mais attention, je ne suis pas en train de dire que l'Asie s'en sortira grâce aux marchés américain et européen. Non, je pense que tous les pays doivent créer les conditions nécessaires pour donner une forte impulsion au commerce. Dans mon esprit, c'est la seule chose qui peut créer la croissance et les emplois partout.
- L'Asie est-elle mieux équipée en 2009 que lors de la crise financière en 1997?
- En 1997, il était relativement facile pour l'Asie dévastée de s'accrocher aux autres moteurs - Etats-Unis et Europe - pour sortir de la crise. Aujourd'hui, il n'y a pas de remorque. Depuis 1997, l'Asie a fait beaucoup de chemin. Elle a notamment développé un grand marché intérieur. Si l'Asie s'en sort avant les autres pays, elle pourra aider en créant une demande pour les exportations américaines et européennes. L'Asie dispose aussi de grandes réserves financières qui lui permettent d'éviter le pire. Encore une chose et non la moindre: les responsables politiques et économiques d'Asie sont plus ouverts à la concertation et aux actions communes qu'il y a dix ans.
- L'an dernier, les Asiatiques ont fait croire que la crise n'était pas leur affaire. Avez-vous aussi cru à la théorie du découplage entre l'Occident et les pays émergents?
- Je n'ai jamais souscrit à cette idée. Regardez la façon donc les produits sont fabriqués aujourd'hui. Il y a dix ans, ils étaient faits dans un pays, selon le modèle ricardien. De nos jours, la production est partagée entre de multiples pays. Les avocats du découplage ont été induits en erreur par la forte croissance de la production industrielle en Asie. En réalité, il faut savoir que même si un produit porte le label «Made in China», il contient des composants venant de diverses origines. Le découplage est un mythe dans la mesure où une bonne partie de produits asiatiques est écoulée en Europe et aux Etats-Unis.
Propos recueillis par Ram Etwareea
Victor Fing, président de la Chambre internationale du commerce se veut optimiste
Ancien professeur à Harvard, à présent homme d'affaires à Hongkong et président de la Chambre internationale du commerce (CCI), Victor K. Fung ne cache pas son optimisme sur les perspectives économiques mondiales comme pour celles de l'Asie. «Beaucoup d'observateurs diront que les mesures prises à ce jour sont insuffisantes, dit-il. Pour ma part, je pense qu'elles donneront une bonne impulsion.» Victor Fung constate que le monde a pris acte à temps de l'ampleur de la crise, mais aussi des risques qu'elle représente. Dès lors, les Etats (Etats-Unis, Europe et Japon) ont réagi en sauvant des banques malades. Ils ont ensuite baissé les taux d'intérêt pour donner du souffle au marché du crédit et enfin, adopté des plans keynésiens de relance. Le président de la CCI, organisation faîtière fondée en 1919 et qui regroupe plusieurs milliers d'entreprises dans 130 pays, sent le vent tourner et prédit la fin du tunnel pour la fin de l'année et le début de la reprise pour 2010. Victor Fung met en garde contre la tentation protectionnisme en cette période de crise. Il fait aussi appel aux Etats, plus particulièrement au G20, groupe de 20 pays industrialisés et émergents, qui se réunit le 2 avril à Londres, d'assurer que le robinet du crédit, nerf du commerce international, ne soit pas fermé. L'optimisme de Victor Fung trouve un écho dans divers indicateurs économiques chinois pour janvier: fort rebond du crédit et atténuation de la dégradation de l'activité manufacturière, ce qui représente 40% de l'économie. Les analystes notent aussi que les entreprises arrivent à la fin du déstockage, ce qui augure la remise en marche de la machine industrielle. PHOTO - L'ancien président Clinton est entouré de la présidente des Philippines Gloria Macapagal Arroyo et de Victor Fung lors du Clinton Global Initiative Asia Meeting à Hong Kong, le 2 décembre 2008 /Reuters
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1 commentaires:
Moi j'ai l'impression qu'on entre seulement dans la crise !
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