La ville de Zhucheng, dans le nord-est de l'empire du Milieu, vient de livrer une nouvelle moisson de fossiles. La spécialité de la région ? Les dinosaures à bec de canard. Les fouilles ne sont pas achevées, mais déjà les autorités préparent un « Jurassic Park » pour en tirer profit.
Zhucheng, petite ville industrielle de la province du Shandong, a une spécialité : les yazuilong, ou dinosaures à bec de canard, à cause de la partie avant de leur crâne, aplatie et élargie en forme de bec. Les premières découvertes datent des années 1960. En 1989, on déterra les os fossilisés d'un hadrosauridé qui, une fois recomposé, s'est révélé être le plus grand de sa catégorie : 16,6 mètres de long sur 9,1 de haut. Baptisé Zhuchengosaure maximus, il trône au musée des dinosaures que la ville a construit, en 1997, pour abriter ses trésors et tenter d'attirer les touristes qui, en été, envahissent Qingdao, la plus célèbre station balnéaire de Chine, à une heure d'autoroute.
Mais voilà, alors que de nouvelles découvertes sur l'immense territoire chinois défrayent régulièrement la chronique, et que des expositions d'os de dinosaures de Chine voyagent dans les musées du monde entier (aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, ou encore en Italie ces dernières années), Zhucheng n'était plus dans le coup. A l'automne 2008, la chance a de nouveau souri à la capitale du dinosaure : on a découvert de nouveaux gisements d'os sur une quinzaine de sites, dont l'un s'étend sur 300 mètres de longueur et 10 mètres de large.
« Il y a des chances que ce soit le plus grand gisement fossilifère du monde », explique Zhao Xijin, le paléontologue qui supervise les recherches. En six mois, près de 3 000 fossiles y ont été trouvés, et 2 600 dans une poche adjacente. Ce petit monsieur de 73 ans, retraité de l'Institut de paléontologie des vertébrés de l'Académie des sciences de Pékin, a sillonné la Chine à la recherche de fossiles pendant quarante ans après son retour de l'université Lomonossov à Moscou, en 1962.
Il a effectué des fouilles au Xinjiang, au Tibet, où il identifia un nouveau genre de sauropode, le Megacervixosaurus, ou « lézard au gros cou ». Dans le Liaoning, où l'un de ses anciens élèves travaille sur les poches d'os de dinosaures à plumes, ou encore le Heilongjiang, le Yunnan et le Henan. Le professeur Zhao a nommé une quinzaine de genres de dinosaures. Il est originaire de Yantai, une ville toute proche de Zhucheng; on lui a donc confié comme à un enfant du pays la direction des fouilles.
Transportés dans des gangues de plâtre, les fossiles sont entreposés dans les immenses hangars d'anciennes usines agricoles à proximité. Ceux des os dont on a trouvé l'emplacement dans le squelette reposent sur des monticules de terre et dessinent déjà, sur le ciment, les formes aplaties de trois dinosaures à bec de canard, avec les imposants fémurs des pattes arrière. Le plus grand des sauriens, estime Zhao Xijin, fait près de 20 mètres de long et correspond à une bête de plus de 10 mètres de haut.
Herbivores, évoluant dans des eaux peu profondes et pondant sur les rivages de lacs ou de rivières, les hadrosauridés vivaient au crétacé supérieur, peu avant la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d'années. La quantité de fossiles trouvés dans cette région du Shandong s'expliquerait par des crues qui ont drainé les cadavres dans les plaines marécageuses.
De nouveaux éléments pourraient, selon Zhao, contribuer aux recherches sur l'extinction des dinosaures entre le crétacé et le tertiaire, soit en raison d'irruptions volcaniques intenses qui ont modifié le climat, soit de l'impact d'un astéroïde, ou d'évolutions biologiques induites. Un os de bassin déterré à Zhucheng présente une protubérance qui, d'après M. Zhao, est une tumeur : les crues auraient pu conduire à des maladies des os, avance-t-il.
D'autres ossements ont été trouvés : une dent de tyrannosaure, le prédateur des hadrosauridés, et les cervicales d'un cératopsidé qui n'avait jamais été localisé en Chine. Quatre autres fossiles d'os appartiennent à des espèces encore non identifiées. Les fossiles de Zhucheng concernent toutefois, pour les paléontologues, une faune connue. En revanche, une série de découvertes chinoises récentes ont permis d'affiner les hypothèses autour de l'évolution dinosaure-oiseau qui, déjà, avait connu plusieurs avancées avec les nombreux fossiles de dinosaures à plume mis au jour dans le Liaoning dans les années 1990-2000 : toutes sortes de questions demeurent quant à la transition entre dinosaures et oiseaux, ou à l'apparition du vol, et de celle des plumes, pas forcément concomitantes.
Ainsi, la découverte, en Mongolie intérieure, du Gigantoraptor erlianensis, qui a fait l'objet, en 2008, d'un article dans Nature signé par l'équipe du paléontologue chinois Xing Xu, remet en question la théorie voulant que les dinosaures carnivores eussent été de plus en plus petits avant de devenir des oiseaux. Cette créature de 8 mètres de long et 1,4 tonne, qui vivait il y a 85 millions d'années, était dotée d'un bec, et son corps devait bien être couvert de plumes, à en juger par sa ressemblance avec les autres spécimens de la famille des oviraptoridés, les dinosaures préaviens. Or ceux que l'on connaît dépassaient rarement les 40 kg.
Quelle que soit la concurrence, à Zhucheng, la mairie de la ville ne s'en laissera pas conter en matière de « dinosaur business » : l'accès aux collines de sédiments gréseux où se trouve « le plus grand gisement au monde » a été aménagé, et d'immenses pancartes accueilleront les futurs visiteurs. « Exposition des fossiles des plus grands dinosaures du monde », peut-on y lire. L'ouverture du nouveau parc de dinosaures chinois de Zhucheng devrait avoir lieu au printemps.
Les touristes suivront un sentier surplombant les fouilles. Le parc sera aussi doté d'un centre de recherche. « On réfléchit à la manière de se faire connaître », dit Wang Kebai, le chef du bureau du tourisme de la ville, avant de s'enquérir sur la manière d'inscrire le Zhuchengosaurus maximus dans le livre, des records. « On prévoit de dépenser 1,5 milliard de yuans (150 millions d'euros) pour le parc, et de trouver des investisseurs étrangers », poursuit-il.
De quoi remettre Zhucheng au centre du tourisme paléontologique pour quelques années encore.
PHOTO - Chuxiong, Yunnan / REUTERS
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