Face aux tensions croissantes, le Parti envoie des troupes et déploie sa propagande.
Tapez «Tibet, nouvel an» sur Internet en Chine. Vous obtiendrez le reportage de Chine Nouvelle du jour : «Degyi Drolkar déambule joyeusement dans son nouvel appartement de 198 m² à Gongka, près de Lhassa, qu'elle a décoré pour le nouvel an tibétain. Elle a accroché les portraits d'anciens et actuels dirigeants chinois, dont celui, en évidence, du président Mao.» De son côté, le Quotidien du Peuple annonce que le gouvernement a offert des bons de 800 yuans (90 euros) à 68 000 familles pauvres «pour passer un nouvel an heureux». Une soirée de gala de quatre heures était annoncée à la télévision hier soir, veille du Losar, le nouvel an tibétain.
«Ils voudraient nous obliger à nous amuser comme d'habitude, pour montrer que tout va bien», explique Tsewang, commerçant tibétain de 27 ans. A Kangding, une petite ville du Kham, dans le Tibet oriental, où était Libération la semaine dernière, la police armée veille aux festivités. Un nouveau camp a été installé ces derniers jours, et la police patrouille dans les rues jour et nuit à l'approche du Losar. Ce nouvel an tibétain marque le premier anniversaire des émeutes de mars 2008, qui avaient fait 200 morts selon le gouvernement tibétain en exil, et une vingtaine, tous Chinois, selon Pékin.
Matraques. De nombreux Tibétains, comme Tsewang ont décidé de le boycotter : «Je vais rester à la maison, prier les victimes de mars, tous ces gens morts pour 6 millions de Tibétains.» Tsewang n'a pas participé aux émeutes du printemps. Il désapprouve la violence mais suit le mot d'ordre «pas de Losar». Parti fin janvier de Dharamsala, la ville indienne où réside la direction tibétaine en exil, dont le dalaï-lama, il court la région depuis des semaines. «Les Tibétains carriéristes ou fonctionnaires fêteront peut-être le Losar, dit Tsewang. Mais pas moi, ni mes amis.» Cet acte de «désobéissance civile», qui semble largement suivi dans toute la région, a mis Pékin sur les dents.
Ce printemps 2009 n'est pas seulement l'anniversaire des émeutes pré-olympiques. Il commémore également les cinquante-neuf ans de l'insurrection qui avait entraîné la fuite en Inde du dalaï-lama, en 1950. Les autorités redoutent des troubles, dont le boycott du nouvel an serait un avant-goût. De nombreux témoins racontent l'arrivée de troupes fraîches et des parades martiales en armes. Les interrogatoires sont menés jusque dans les villages. A Lithang, ville du Kham transformée en camp militaire sur la route de Lhassa, les troupes s'entraînent dans les cours d'école, boucliers et matraques au poing. C'est là que 24 personnes ont été arrêtées lundi 16 février. Tous Tibétains, ils auraient manifesté pour un Losar sans festivités.
La région autonome du Tibet, qui forme avec le Kham et l'Amdo, l'immense zone d'influence tibétaine, est sous contrôle renforcé. Plusieurs villes sont interdites aux étrangers jusqu'au 1er avril, et en certains endroits, les connexions Internet sont coupées depuis hier. Des caméras surveillent les monastères et les rues. Partout des banderoles rouges annoncent : «Non au séparatisme, maintenir la stabilité.» Cela ne suffit pas : selon l'agence Reuters, la police aurait récemment découvert plusieurs kilos d'explosifs dissimulés sous un pont à Qamdo (Chengdu en mandarin). A Pékin, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères déclarait hier : «Le Tibet est calme, l'ordre social est bon. Les Tibétains s'apprêtent à célébrer leur nouvel an.» Il a ajouté : «Les tentatives de la clique du dalaï-lama de répandre des rumeurs pour détruire la stabilité du Tibet vont échouer.»
«A la vie à la mort». Mi-février, le Quotidien du Tibet y allait de sa propre mise en garde : «Notre combat contre la clique et les forces occidentales qui le soutiennent est une lutte des classes à la vie à la mort... Une bataille entre séparatistes et antiséparatistes, qui est liée aux fondements politiques du Parti communiste, à l'unité de la mère patrie et au maintien de la stabilité sociale.» Quelques jours plus tôt, en voyage en Allemagne, le dalaï-lama avait parlé d'«une situation très tendue» et de «débordements qui peuvent arriver à tout moment». «Il y a trop de colère», prévenait-il.
© 2009 SA Libération. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire