Du goudron, du ciment et encore du goudron. C'est pour l'instant la seule réponse des autorités chinoises à la crise économique mondiale qui a fait chuter les exportations de marchandises « made in China », et repousser la croissance du pays à son plus bas niveau des vingt dernières années. Sûr de lui, le gouvernement vient d'assurer devant le Parlement qu'il allait réussir à maintenir l'activité et à générer une hausse du PIB de 8 % sur l'ensemble de 2009 en investissant massivement dans la construction d'infrastructures. De nouveaux aéroports vont être inaugurés. Des autoroutes vont être doublées et des lignes de chemins de fer électrifiées. Les cadres du Parti communiste, qui craignent qu'une poussée de la grogne sociale ne remette en cause la légitimité de leur pouvoir absolu, applaudissent. La recette est forcément la bonne. Ils l'appliquent avec succès depuis maintenant trente ans. En 1998, elle leur avait déjà permis de sortir de la crise financière asiatique. Dans le plan de relance - marqueté à 4.000 milliards de yuans mais dont seulement 1.180 semblent réellement budgétés -, 45 % des dépenses sont naturellement promis aux grands travaux quand seulement 1 % des financements devraient être attribués à des programmes sociaux.
Au sein même du parti, beaucoup d'experts expliquent pourtant que la Chine doit revoir d'urgence la structure de son développement économique si elle veut maintenir une croissance durable. La crise actuelle a prouvé que le pays était encore beaucoup trop dépendant de ses exportations et ne disposait pas d'un marché domestique suffisamment puissant pour contrebalancer les trous d'air de la conjoncture internationale.
La Chine est bien la troisième puissance économique de la planète mais ses habitants sont toujours pétrifiés à l'idée de consommer. Les ménages épargnent près du tiers de leurs revenus pour prévenir les accidents de la vie qu'ils doivent affronter seuls. La moitié de la population n'a toujours pas les moyens de se payer des soins médicaux décents dans les hôpitaux « publics » aux factures astronomiques. Les allocations chômage sont quasi inexistantes. Obsédées par la réussite de leur enfant unique, les familles se ruinent en frais de scolarité, cours de soutien ou autre matériel scolaire. Faute de structures appropriées, elles doivent aussi pouvoir prendre soin de leurs personnes âgées. Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux. Ils ont souvent été dénoncés par les plus hauts responsables du pays.
Depuis qu'ils sont au pouvoir, le président Hu Jintao et son Premier ministre Wen Jiabao affirment, eux-mêmes, vouloir réformer l'Etat providence pour faire émerger une « société harmonieuse ». Ils ont fait voter des hausses régulières des budgets de l'éducation, de la santé ou des aides aux chômeurs. Mais ces progressions restent limitées et les budgets sociaux chinois sont toujours très inférieurs à ceux débloqués dans d'autres grands pays en développement. En 2007, les dépenses de santé de l'Etat chinois ne représentaient, ainsi, que 1 % du PIB de la nation quand elles équivalaient à 3,4 % du PIB au Brésil et à 2 % du PIB en Thaïlande.
Si le gouvernement central a bien diagnostiqué son mal, il ne parvient pas à imposer ses vues aux baronnies locales qui ont d'autres priorités. S'estimant lésés par la très confuse organisation décentralisée du pays, les pouvoirs locaux - les 31 provinces, 333 municipalités, 2.859 comtés et 611.234 villages ruraux - qui sont théoriquement responsables de l'essentiel des programmes sociaux préfèrent encourager le développement industriel de leur territoire pour générer des recettes fiscales plutôt que de financer de coûteuses politiques sociales. Ils freinent donc tous les généreuses réformes rêvées en vain à Pékin.
Dans un système politique ne connaissant pas la pression démocratique, les plus hauts dirigeants du pays ne sont pas responsables devant le peuple mais seulement devant les autres caciques du régime. C'est eux qu'il faut séduire jusqu'au prochain congrès du parti. Paniqué par la soudaineté de la crise, le gouvernement central vient ainsi de céder une nouvelle fois aux pressions des grandes provinces industrielles en acceptant un gel des salaires minimums et en freinant l'application d'une récente loi sur le contrat de travail, qui devait pourtant renforcer la protection sociale de tous les salariés et encourager efficacement la consommation intérieure. Toujours sacrifié, le consommateur chinois va avoir du mal à sauver l'économie nationale et la croissance mondiale.
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2 commentaires:
J'aime ce genre de chroniques : courtes et qui résument bien l'essentiel !
cordialement
alainB
Bravo Alain !
Je partage votre enthousiasme. Les analyse de Yann Rousseau sont toujours très instructifs et celui-là est l'un des meilleurs articles de cette semaine.
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