mardi 10 mars 2009

Crise économique, le mirage chinois - Guy Taillefer

Le Devoir - ÉDITORIAL, lundi, 9 mars 2009, p. a6

Si l'Occident libéral comptait sur la Chine pour qu'elle lui soit une bouée de sauvetage, le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a douché ces attentes la semaine dernière en déclarant que le pays affrontait une année «de défis et de difficultés sans précédent». À défaut de voir son économie croître - ambitieusement - de 8 % en 2009, la Chine s'expose à une vague d'agitation sociale, a prévenu le premier ministre devant les 3000 délégués du Congrès national du Peuple, cette instance que le pouvoir réunit deux semaines par année pour faire entériner ses orientations et faire croire à la consultation démocratique.

Rien n'obsède davantage Pékin, faut-il croire, que les risques d'instabilité sociale. C'est que le «miracle» chinois n'a pas fait que des miraculés au cours des dix dernières années: les grèves, les émeutes et les manifestations se comptent annuellement par dizaines de milliers depuis le milieu des années 2000 et sont le plus souvent réprimées, affirme le China Labor Bulletin, une organisation fiable de défense des droits des travailleurs basée à Hong Kong.

L'impact de la grande récession occidentale n'arrange rien. Vingt millions de Chinois ont perdu leur emploi, pour l'essentiel des travailleurs migrants pauvres qui avaient quitté leur campagne pour aller gagner leur croûte dans les villes manufacturières. On s'attend à ce que la situation empire dans les prochains mois, alors que six millions de nouveaux diplômés universitaires entreront par ailleurs sur le marché du travail. Or, la cible affichée de 8 % est le taux de croissance qu'il faudra que l'économie chinoise atteigne, au bas mot, pour combler les besoins en emploi...

Encore que la nature policière du régime chinois et la corruption endémique font en sorte que les revendications sociales sont demeurées jusqu'à maintenant atomisées, rivées à des conflits locaux. En l'absence d'un mouvement syndical indépendant, la contestation débouche rarement sur la critique du système politique comme tel. Dans les faits, le spectre de l'instabilité que le régime n'a de cesse d'agiter ne le menace guère.

Aura lieu, début juin, le 20e anniversaire des massacres de la place Tiananmen. Qui voudra en Chine le rappeler se fera couper la parole. Incombe dans ce contexte aux gouvernements occidentaux le rôle de défendre les droits humains avec plus de militance. Ce qui est apparemment trop demandé. Ils se sont tus l'an dernier, voyant venir les Jeux olympiques de Pékin, alors qu'il aurait fallu dénoncer sans dérobade la répression au Tibet et le musellement des cyberdissidents. Un prétexte en chassant un autre, c'est aujourd'hui la crise économique qui leur fournit une échappatoire.

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