jeudi 12 mars 2009

Et si Pechiney devenait chinois... - Elsa Bembaron

Le Figaro, no. 20098 - Le Figaro Économie, jeudi, 12 mars 2009, p. 18
En moins de dix ans, le fleuron français de l'aluminium est devenu canadien, puis australien. Aujourd'hui, son savoir-faire intéresse beaucoup la Chine.

LES MENACES qui pèsent sur l'avenir des 14 000 salariés français de Rio Tinto Alcan et l'avenir de la filière française de l'aluminium sont étrangement oubliées, tandis que le gouvernement met en oeuvre tous les moyens dont il dispose pour tenter de maintenir en France les emplois industriels. Il s'agirait pourtant de défendre un héritage industriel vieux d'un siècle et demi, celui de Pechiney.

En 2003, le groupe était encore indépendant et pointait à la troisième place des producteurs mondiaux d'aluminium. Il disposait d'une technologie de pointe, connue sous le nom d'AP 50, enviée par tous ses concurrents. Son rachat par le canadien Alcan cette année-là avait provoqué une vive émotion. « Le gouvernement sera particulièrement attentif à la préservation des intérêts économiques, technologiques et sociaux en jeu », avait alors fait savoir Bercy.

Six ans plus tard, l'entreprise est démantelée, la recherche et développement en France se réduit comme une peau de chagrin au profit du Canada. Près de 10 000 salariés français sont dans l'incertitude depuis que l'actuel propriétaire, le groupe minier anglo-australien Rio Tinto, a mis en vente, en 2007, les branches emballage et produits usinés qui n'ont toujours pas trouvé preneur. En attendant, faute d'investissements, les sites français perdent leur compétitivité. La situation est d'autant plus préoccupante que des usines stratégiques sont touchées. À commencer par celle d'Issoire, dans le Puy-de-Dôme, qui est l'un des grands fournisseurs de tôle pour Airbus et notamment pour l'A 380.

Pour comprendre comment la France en est venue à perdre un tel savoir-faire, il faut remonter à l'an 2000. Cette année-là, le canadien Alcan, le suisse Algroup et Pechiney sont alors en passe de réussir un mariage à trois pour donner naissance à APA, futur numéro deux mondial de l'aluminium derrière le géant américain Alcoa. L'opération échoue car la Commission européenne impose des conditions. Elle demande notamment qu'Alcan vende sa participation dans une usine allemande. Ce que le groupe canadien refuse. « Les réticences de certains membres de l'état-major français de Pechiney ont contribué à l'échec de la tractation », raconte au Figaro un proche du dossier. En fait, une partie de la direction française de Pechiney n'a pas voulu courir le risque que son influence au sein du nouveau groupe soit réduite.

En 2003, l'histoire se répète. Alcan, qui entre-temps a absorbé Algroup, revient à la charge. Cette fois, le canadien lance une OPA qualifiée d'hostile, puis de non sollicitée. Le groupe de Montréal propose d'abord 3,4 milliards d'euros pour Pechiney, puis 4 milliards. Le conseil d'administration de Pechiney finit par accepter. Pour Jean-Pierre Rodier, président du groupe français, l'affaire se termine bien : il quitte le navire avec 10,5 millions d'euros et obtient des postes clés pour des cadres de sa garde rapprochée.

À contre-pied

Qu'est-ce qui a changé en trois ans ? Un point important : cette fois, Travis Engen, alors patron d'Alcan, a retenu la leçon de Bruxelles. Il se plie aux conditions de la Commission européenne et accepte de se défaire d'autant d'usines que nécessaire. La direction d'Alcan prendra cependant tout le monde à contre-pied : plutôt que de vendre certains actifs, Travis Engen décide de créer une nouvelle entreprise, Novelis. Elle recueillera tous les actifs dont Bruxelles exige la vente.

Dans un premier temps, les salariés français sont relativement épargnés. Alcan semble tenir ses promesses. Le siège social de deux des quatre divisions du groupe sont maintenues à Paris. À peine un an plus tard, pourtant, la direction d'Alcan a littéralement effacé Pechiney. Il ne reste plus rien de cent cinquante ans d'histoire industrielle, même pas un petit logo. Les décisions stratégiques sont désormais prises à Montréal et une grande partie de la recherche-développement du groupe est transférée au Canada, à commencer par les technologies phares de Pechiney en matière d'électrolyse.

Or, un des atouts des usines françaises d'aluminium, et particulièrement de celle de Dunkerque, est de disposer d'une technologie qui limite sa consommation d'électricité, un point clé de cette industrie. La perte de cet avantage concurrentiel pourrait être dramatique alors que des pays producteurs de pétrole, comme l'Arabie saoudite, qui disposent d'électricité bon marché, se dotent d'usines d'aluminium.

Pacman planétaire

Les déboires des ex-Pechiney ne sont pas pour autant terminés. En 2007, le groupe américain Alcoa lance une OPA sur Alcan. À 28,6 milliards de dollars, le groupe canadien, dirigé désormais par Dick Evens, estime que l'offre n'est pas assez intéressante. Il se met en quête d'un chevalier blanc. Ce sera Rio Tinto, numéro trois mondial des industries minières. Il est prêt à débourser 38,1 milliards de dollars en numéraire pour faire main basse sur l'entreprise. Alcan (alors valorisé 10,6 milliards) n'avait payé que 4 milliards d'euros pour Pechiney. Il est vrai qu'en un peu plus de trois ans le marché de l'aluminium s'est envolé, entraîné par le boom des matières premières. Les salariés français se sentent de plus en plus floués.

Quant à Dick Evens, il devient président de Rio Tinto Alcan, autrement dit, de la branche aluminium du nouveau géant. Il efface au passage les promesses alors faites au gouvernement français pour obtenir son aval à la fusion. Les deux sièges sociaux parisiens disparaissent et la France est désormais gouvernée du Canada. Autre coup dur : Rio Tinto décide de se recentrer sur ses activités minières et métallurgiques. Il va donc se séparer des divisions emballage et produits usinés d'Alcan. Deux divisions qui représentent la majeure partie des actifs hérités de Pechiney. La décision de Rio Tinto est motivée par son criant besoin d'argent frais, car sa dette frise les 40 milliards de dollars.

Cette partie de Pacman planétaire n'est pas terminée. À la fin de 2007, Rio Tinto devient la proie de son rival BHP Billiton. Leur mariage donnerait naissance un mastodonte, valorisé en Bourse entre 300 et 400 milliards de dollars. L'heure est à la surenchère. Les marchés financiers s'emballent et les prix matières premières caracolent à des plus hauts historiques.

Il ne fait pas mystère de ses intentions

Pour échapper à son prédateur, Rio Tinto se tourne vers la Chine. Le groupe public Chinalco devient actionnaire à hauteur de 9 %. Il ne fait pas mystère de ses intentions : il s'agit avant tout de sécuriser les approvisionnements en matières premières de l'empire du Milieu. Dans le même temps, son entrée dans Rio Tinto lui donne un accès aux technologies d'électrolyse de Pechiney, bref tout un savoir-faire précieux, indispensable même à la production d'aluminium.

À cause de la crise, BHP Billiton a finalement jeté l'éponge. Pour la même raison, Rio Tinto doit s'appuyer plus encore sur son allié chinois. À la mi-février, Chinalco a déboursé 19,5 milliards de dollars pour porter sa participation à 18 % dans Rio Tinto. Peu à peu, l'ancien Pechiney aura donc glissé hors de France.

Vu de Pékin, les considérations françaises sur la préservation de l'outil et de l'emploi industriel national, de la recherche ne pèseraient pas lourd. Le danger qui peut menacer les usines françaises d'aluminium est leur éventuelle délocalisation au cours des prochaines décennies.

Anciens Pechiney ou salariés de Rio Tinto Alcan, ils sont encore nombreux à exprimer aujourd'hui leur amertume face à une situation qui risque encore de se dégrader.

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