Rôle du dollar : " Une question géostratégique et monétaire "
Ancien économiste à la division new-yorkaise de la Réserve fédérale américaine (Fed), Adam Posen, spécialiste des questions monétaires, est directeur adjoint du Peterson Institute for International Economics, à Washington. Il revient sur la proposition chinoise d'instaurer une devise unique pour le commerce international, fondée sur un panier de devises-clés.
Pourquoi cette proposition chinoise d'une devise unique à la veille du G20 ?
Les Chinois ont voulu exprimer une vraie préoccupation sur le risque de déstabilisation des cours de change, qui les préoccupe beaucoup. Par ailleurs, faire cette proposition est un moyen de manifester leur impatience pour une réforme sérieuse du Fonds monétaire international (FMI), qui est l'un de leurs principaux objectifs au G20. Ils ont voulu faire passer un message : voilà ce qui pourrait advenir au dollar si les Etats-Unis ne tiennent pas suffisamment compte de nos exigences.
C'est une menace ?
Le terme est trop fort. Ce n'est pas une menace, parce que la proposition n'est pas crédible : personne ne considère sérieusement l'instauration d'une devise commune au commerce international comme une perspective réaliste. Mais c'est un signal, une façon de dire à Washington : " A l'issue du G20, vous ne pourrez pas dire "tout va bien", si vous ne nous avez pas écoutés, nous et les autres économies émergentes. "
Le secrétaire américain au Trésor, Tim Geithner, a jugé que la proposition chinoise " méritait considération ", puis il s'est ravisé : le dollar " restera encore très longtemps la devise de référence mondiale ". Entre-temps, le président Obama avait vigoureusement réagi par la négative. Pourquoi Washington refuse-t-il même de discuter la proposition chinoise ?
Le gouvernement américain a toutes les raisons de croire que le dollar doit rester la devise de référence du commerce international. C'est une question géostratégique autant que monétaire. Il offre la meilleure sécurité possible aux Etats-Unis dans l'économie mondiale. La réaction américaine tient au fait que l'administration a perçu l'idée chinoise comme une attaque contre le dollar. Je regrette la forme qu'elle a prise.
Pourquoi ?
Il y a aussi des aspects positifs dans cette proposition. Dans une période de baisse de la demande mondiale, se préoccuper de limiter les fluctuations monétaires est légitime, surtout lorsqu'on prétend que Pékin " manipule " sa devise et doit la réévaluer. Que la Chine pousse à la réforme du FMI devrait être perçu comme positif. Cela signifie que les Chinois sont disposés à jouer un rôle accru dans la stabilisation de l'économie mondiale. C'est constructif.
Bien entendu, la contrepartie consiste à leur donner plus de pouvoir au FMI. Avec la crise, et les réserves en dollars dont dispose Pékin, Américains et Européens ont tort de ne pas comprendre qu'une montée en puissance de la Chine y est inéluctable et qu'il faut lui donner sa place. Modifier les règles du FMI est dans l'intérêt de l'économie mondiale, donc de l'économie américaine.
Beaucoup d'économistes américains jugent qu'un " Bretton Woods-III ", une refonte du système monétaire international, est devenu une urgence. Or ce sujet est exclu de l'ordre du jour du G20. Pourquoi ?
Avec tout le respect que j'ai pour Joseph Stiglitz - Prix Nobel d'économie, partisan d'une refonte du système monétaire - , ni lui ni personne ne présente une alternative claire au système actuel. Pour débattre, il faudrait un projet réaliste. Il y a une autre raison, plus prosaïque : ni les Américains ni les Européens ne sont disposés à abandonner une part quelconque du contrôle qu'ils ont sur les institutions financières internationales.
Propos recueillis par Sylvain Cypel
PHOTO - US Federal Reserve / Getty Images
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