Il y a un an, au tout début de l'année 2008, l'euphorie la plus totale régnait dans le monde de la mine et de l'énergie. Les cours mondiaux du pétrole et des métaux flambaient, et avec eux les bénéfices des entreprises pétrolières et minières ainsi que leur capitalisation boursière. Gazprom (Russie) et PetroChina (Chine) se voyaient déjà dans le rôle de premières entreprises mondiales, en termes - un peu théoriques certes - de valeur de marché. L'anglo-australien BHP Billiton, le premier groupe minier mondial, lançait de son côté une offre publique d'achat (OPA) hostile sur son grand concurrent et compatriote Rio Tinto, qui se trouvait alors valorisé à hauteur de 140 milliards de dollars (100 milliards d'euros, selon les taux de change de l'époque). Au même moment, le groupe minier brésilien Vale cherchait à acheter le conglomérat helvétique Xstrata pour quelque 40 milliards de dollars.
Dans ce grand jeu, la Chine ne parvenait guère à s'imposer. La Russie refusait obstinément toute entrée de capitaux chinois dans ses sociétés minières et, pour contrer la menace que représenterait pour son approvisionnement en minerai de fer la concentration de BHP Billiton et de Rio Tinto, le holding public chinois Chinalco dut payer le prix fort pour acquérir, en février 2008, 9,3 % de Rio Tinto.
Mais, en une année, les choses ont bien changé. Après un pic, en juillet 2008, les prix se sont effondrés et avec eux les bénéfices des producteurs. Le grand jeu minier s'est arrêté. BHP Billiton a abandonné son offre publique d'achat hostile sur Rio Tinto, qui ne vaut plus que 40 milliards de dollars. Chacun panse ses plaies et cherche désespérément à gérer les dettes contractées en des temps meilleurs pour réaliser de la croissance externe par d'onéreuses acquisitions, aujourd'hui bien difficiles à digérer.
De fait, le pouvoir a changé de mains : c'est désormais la Chine qui est aux manettes. Le Kremlin a ainsi dû accepter l'investissement de 25 milliards de dollars de deux groupes pétroliers chinois dans la construction d'oléoducs destinés à fournir la Chine en pétrole.
Mais c'est dans les mines australiennes que les Chinois ont réalisé leurs plus beaux coups : Rio Tinto, aux abois, a accepté la montée de Chinalco dans son capital à hauteur de 20 %, ainsi que des investissements directs de la société chinoise dans plusieurs de ses actifs miniers pour un total de 19,5 milliards de dollars. OZ Minerals (cuivre et zinc), le troisième groupe minier australien, a quant à lui fait l'objet d'une OPA de 1,6 milliard de dollars de la part d'un autre groupe public, China Minmetals. Enfin, le métallurgiste chinois Hunan Valin Iron a acheté 16,5 % de Fortescue Metals (minerai de fer).
Ces dernières années, l'angoisse de la Chine était de manquer. Chaque fois que le président chinois partait en voyage en Afrique ou en Amérique latine, il emmenait avec lui des industriels pour... acheter. Derniers arrivés, les Chinois n'obtenaient que les " restes " que les compagnies occidentales tendaient à dédaigner : du minerai de cuivre dans la République démocratique du Congo secouée par la guerre, du pétrole au Soudan boycotté par la communauté internationale, ou dans les zones les moins sécurisées du Nigeria. C'est maintenant un tapis rouge qui accueille les groupes chinois ! Même en Australie, la nécessité de sauver Rio Tinto est passée avant toute considération d'indépendance nationale. Il est probable que le tour du Brésil viendra dans quelques mois.
Pour l'instant, les groupes chinois ont plutôt mauvaise réputation : celle de prédateurs qui piétinent les forêts primaires africaines ou birmanes, qui exploitent la main-d'oeuvre locale et importent souvent leurs propres " coolies " (les travailleurs). Mais ils n'en deviennent pas moins incontournables. Le monde est ainsi en train de découvrir que l'arme des matières premières change peu à peu de mains. C'est désormais Pékin qui la détient !
Philippe Chalmin
Professeur à l'université Paris-Dauphine
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