Un voyage vers le Toit du Monde au rythme des contrôles
Les montagnes abruptes de la province du Sichuan se détachent sur le fond bleu du ciel. La route entre Chengdu, la capitale, et la province autonome du Tibet voisine poursuit son sinueux chemin sur leurs flancs, grimpant du bord de la rivière à des cols situés à plus de 4.000 mètres d'altitude. Des paysans labourent leur terre, d'autres entament la récolte du colza.
Mais pour les automobilistes comme pour les résidents, le spectacle se situe ailleurs : dans l'imposant dispositif de sécurité déployé le long de la voie. Tous les vingt kilomètres environ, des barrages interceptent les véhicules dans les deux sens. Membres de la police armée vêtus d'un gilet pare-balles ou simples policiers, mitraillette ou matraque à la main, véhicules blindés ou fourgonnettes, un large attirail est prévu pour parer au moindre incident. Cette zone occidentale du Sichuan a été la plus secouée l'an dernier, en dehors du Tibet, par les manifestations. Le gouvernement a donc décidé de mettre les moyens pour ne pas se laisser dépasser une seconde fois.
Le contrôle des véhicules en direction du Tibet ne vise que les étrangers. Personne n'est d'ailleurs dupe. Une fois le bus arrêté et rangé sur le côté après que le chauffeur a annoncé aux policiers qu'un étranger est présent dans son véhicule, l'un d'entre eux, visage sévère et vêtu d'une combinaison noire pare-balles, effectue son entrée. Le passeport est demandé très agressivement. Il est (mal) épluché, la mention « journaliste », pourtant placée très en évidence par les autorités pour rendre son porteur très repérable, n'est pas vue. Le membre des forces de l'ordre quitte alors le bus après un « ça va » déçu.
Dès le bus reparti, les passagers chuchotent, certains ricanent. Leur volubilité et leur bravoure ont pourtant une limite. Les réponses aux questions : « Pourquoi ai-je été contrôlé et pas vous ? Pourquoi y a-t-il un déploiement policier ? » n'apportent que deux sortes de réponses : « Il ne se passe rien, tout va bien, il ne faut pas s'en faire » ou « Je ne sais pas. » Tous cherchent à éviter la discussion, inquiets de ce que pourraient entendre leurs voisins. Assurément, parler publiquement du sujet Tibet n'est pas sans risque.
Les arrêts se répètent aux barrages et les policiers se multiplient au fur et à mesure que la route s'enfonce vers l'ouest. Des colonnes de soldats courent désormais le long de la route. Après dix heures de route, les 270 km qui séparent Chengdu de Kangding, la principale localité avant Litang et Ganzi, où des mouvements de protestation ont eu lieu ces derniers jours, sont enfin couverts. A la sortie du bus, la vision d'un étranger semble stupéfier tout le monde. La crainte se lit ensuite sur le visage de la gérante d'un des seuls hôtels de la ville.
Tour à tour, le chef de la police locale puis la responsable du département des Affaires étrangères rendront visite au voyageur dans sa chambre pour lui annoncer l'obligation de rebrousser chemin dès le lendemain pour sa « sécurité ». « Il se passe des événements difficiles en ce moment dans la région, ce n'est pas vraiment un moment propice pour y faire du tourisme », explique gentiment mais fermement l'employée du gouvernement. « Nous vous demandons donc de prendre un bus pour Chengdu dès demain. Mais vous serez le bienvenu ici dès cet été ! »
La nervosité ne touche pas uniquement les Chinois. Dans le monastère bouddhiste de Dorjedra, situé aux abords de l'ancienne vieille ville tibétaine, les moines semblent peu à l'aise. S'ils finissent d'effectuer leurs ablutions avant leur prière matinale, rares sont ceux qui acceptent d'échanger plus d'un « bonjour ». Peut-être est-ce dû à la présence à trois mètres des murs du monastère d'une caserne policière ? En revanche, dans le monastère voisin de Namo, les religieux sont tout sourire. Rattaché au Panchen Lama depuis 1986 (il était auparavant fidèle au clan rival du dalaï-lama), il est devenu par la même occasion officiel. L'histoire du lieu, rédigée en tibétain, est traduite en anglais et en chinois, comme tous les panneaux à l'intérieur du bâtiment, alors que ceux de Dorjedra n'étaient écrits qu'en tibétain. Sans grande surprise, un groupe de touristes chinois se promène dans la cour.
Après cette double visite en solitaire, le départ de Kangding est effectué sous escorte. Les mêmes barrages sont retraversés, les passeports de nouveau vérifiés et parfois photographiés. Une différence de taille apparaît avec la veille : les Tibétains sont aussi recherchés par les policiers. « Depuis notre départ de Lhassa il y a 4 jours, nos bagages sont régulièrement fouillés, nos papiers inspectés sous toutes les coutures par des policiers particulièrement désagréables, » explique une Tibétaine. De fait, le numéro des cartes d'identité de chaque Tibétain est noté plusieurs fois, notamment par un soldat, mitraillette en bandoulière. Sûrement un message de bienvenue dans ce pays qui se dit officiellement le leur.
TRISTAN DE BOURBON
REPORTAGE
SICHUAN, TIBET
© Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2009
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