mardi 14 avril 2009

CINÉMA - "Katanga Business" par Thierry Michel

Le Monde - Culture, mercredi, 15 avril 2009, p. 18

Pour le réalisateur Thierry Michel, " le Katanga est un grand Monopoly "

LE KATANGA comme une image de la mondialisation. C'est ainsi qu'il faut voir le film Katanga Business, dit son réalisateur, Thierry Michel. " Le Katanga, c'est un grand Monopoly, dit-il. La région détient des richesses minières scandaleuses. Chacun essaie d'en tirer profit. On croise donc sur place des entrepreneurs étrangers sans foi ni loi qui ne respectent ni les travailleurs ni l'environnement. Ils sont là pour gagner le maximum d'argent, et vite. On croise aussi des multinationales cotées en Bourse à Londres, Toronto ou New York. " Elles aussi, ajoute le réalisateur, sont venues pour faire de l'argent, mais " elles ont une image à soigner et elles ne peuvent pas se permettre n'importe quoi. Elles redoutent la presse et les organisations non gouvernementales ".

Le Katanga, c'est aussi l'armée des " creuseurs " clandestins, ceux que l'on appelait naguère les " mangeurs de cuivre ". " Ils sont les grands perdants, les sacrifiés du système. Ils sont condamnés à disparaître par la modernité. Le droit de propriété joue contre eux. Ils en sont conscients et tâchent de négocier leur déclin. " Le grand absent, c'est l'Etat. " Il devrait récupérer une partie des profits et être l'arbitre. Sa grande faiblesse l'empêche de jouer ce rôle. La frontière entre le Congo et la Zambie est une passoire, raconte Thierry Michel, et une partie du minerai est exportée en fraude. Ce sont des milliards de dollars qui s'envolent. "

Katanga Business offre une seconde grille de lecture du capitalisme mondial. C'est celle qui voit s'affronter les firmes occidentales à la nouvelle étoile du capitalisme : la Chine, dévoreuse de cuivre, de cobalt, de zinc pour ses usines. La lutte est féroce. Les Occidentaux ont l'avantage de mieux connaître le terrain, mais Pékin débarque un carnet de chèques à la main dans un pays qui manque de tout. " Il y a bel et bien un combat des Blancs contre les Jaunes avec les Africains qui essaient de récupérer les miettes ", dit Thierry Michel.



IMAGE DÉVASTATRICE

Ce concentré de mondialisation qu'il observe au Katanga, le réalisateur se garde d'en donner une vision manichéenne. Katanga Business n'est pas Le Cauchemar de Darwin. " Chez moi, explique Thierry Michel, il n'y a pas les bons d'un côté et les méchants de l'autre. Faire du politiquement correct ne m'intéresse pas. Je me suis posté dans les coulisses d'un théâtre d'où j'observe une situation complexe. Mon travail consiste à en rendre compte de façon subtile. "

L'objectif est atteint. A un moment, le film montre des financiers occidentaux venus évaluer l'intérêt d'investir les dollars de leurs clients au fin fond de l'Afrique. Ils donnent d'eux, sans le savoir, une image dévastatrice qui a tout pour réjouir les militants altermondialistes. Mais Thierry Michel prend soin de la contrebalancer par d'autres scènes qui témoignent qu'il vaut mieux travailler pour une multinationale que pour l'entreprise publique locale. " Dire que les sociétés multinationales doivent partir, c'est une aberration ", lâche-t-il.

De même dresse-t-il du personnage central du film, le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, un portrait nuancé : " C'est un démagogue à la façon d'un Berlusconi ou d'un Chavez. Il est très riche et a les largesses d'un chef comme sous Mobutu, mais il a aussi un projet, une vision pour le Katanga. C'est un homme qui peut réconcilier le capital et le travail. "

Du Katanga qu'il arpente depuis des années caméra sur l'épaule, le réalisateur belge propose une vision optimiste. " On assiste là-bas à l'émergence du capitalisme et, en parallèle, à la constitution d'un esprit de classe à travers les luttes sociales. Tout ça se construit petit à petit. La démocratie existe, et le Katanga ne doit pas rater le rendez-vous avec l'histoire. " Même la chute vertigineuse des cours du cuivre sur le marché international ne l'émeut pas outre mesure. " La crise a permis d'assainir le secteur minier. Et elle favorise le recours à des cadres locaux. Les Blancs sont devenus trop chers. "

Jean-Pierre Tuquoi

L'Intégrale Zaïre-Congo,

de Thierry Michel. 1 coffret de 5 DVD, éd. Les Films de la Passerelle. Site Internet du film www.katanga-lefilm.com

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