Les matières premières ont été les vedettes de l'activité économique estivale. Certes, on est resté loin des niveaux record de juillet 2008, mais le rebond des cours, par rapport au début de l'année, est spectaculaire. De nombreux produits ont vu leur valeur doubler à l'image du pétrole (à plus de 70 dollars le baril), du cuivre (6 200 dollars la tonne), du nickel (au-delà de 20 000 dollars la tonne) ou de l'aluminium. Et on a assisté au réveil de marchés passés au travers de la folie de 2008 comme le cacao et surtout le sucre, qui a retrouvé des niveaux inédits depuis le début des années 1980. Même le fret maritime a retrouvé quelques couleurs comme les grands indices sur lesquels les fonds d'investissement aiment à se placer.
Curieusement, cette hausse a donné lieu à deux types d'interprétation presque opposés : certains y ont vu la preuve de la robustesse de la reprise économique mondiale, validant les scénarios les plus optimistes portés aussi par les marchés de valeur. D'autres, à l'image du grand Cassandre de New York, Nouriel Roubini, dont le fond de commerce est le pessimisme le plus noir, font de cette progression du prix des matières premières un nouvel obstacle à une hypothétique reprise et, en tout cas, un facteur supplémentaire conduisant à un scénario en " W " - une succession de reprises avortées. Les uns et les autres ont tort à la seule lumière qui compte, celle des fondamentaux.
Les prix ont augmenté pour deux raisons : du côté de l'offre, les producteurs pétroliers et miniers et les industriels de la sidérurgie ont réduit drastiquement leurs productions - 4 millions de barils par jour de moins pour l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP); des capacités sidérurgiques réduites de moitié pour l'acier. Il y a eu aussi quelques accidents climatiques affectant le sucre en Inde ou le cacao en Côte d'Ivoire. En revanche, les récoltes de grains s'annoncent bonnes, ce qui explique la relative morosité des cours de céréales, le soja faisant exception. Ce produit a en effet bénéficié de la dynamique des achats chinois. De manière générale, la Chine fut à la source de l'ambiance euphorique des marchés : jamais Pékin n'a autant importé ni consommé de pétrole, de minerais et métaux; en juillet, pour la première fois, ce pays a produit plus de 50 millions de tonnes d'acier, presque la moitié de la production mondiale !
Les besoins de la Chine, les restrictions des producteurs, quelques accidents climatiques, un dollar affaibli et un gros zeste de spéculation, voilà les ingrédients de la hausse des marchés durant l'été. Est-ce une preuve de reprise économique mondiale ? Pour la Chine, c'est probable, même si l'importance des achats chinois peut paraître surprenante; pour les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), c'est moins évident : en fait, on peut considérer que la période de déstockage des sociétés étant terminée, il fallait se remettre aux achats, mais avec modération. Disons simplement que la hausse du prix des matières premières confirme que le point le plus bas du grand marasme économique de 2008-2009 est derrière nous.
Quant à nous précipiter dans une nouvelle crise, l'hypothèse n'est guère sérieuse. Cela fait longtemps que les cours des matières premières ne déterminent plus les cycles économiques. Leur impact direct sur les prix et donc sur l'inflation est négligeable. A la limite, leur hausse conforte même des économies dépendantes et fragiles, de la Russie au Golfe arabo-persique et même au Brésil. A trop vouloir jouer les Cassandre, même M. Roubini finira par se tromper !
Philippe Chalmin, professeur à Paris-Dauphine
PHOTO - Nouriel Roubini, professeur d'économie et de commerce international de l'Université de New York / Getty Images
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