C'est un artiste chinois qui a réalisé le bloc de béton qui achevait la course des dominos de la liberté pour les 20 ans de la chute du Mur. Un simple hasard ou faut-il y voir le puissant symbole d'une dictature qui a survécu à 1989?
C'était le clou du spectacle, lundi soir à Berlin, pour célébrer la chute du Mur et la liberté retrouvée. Un gigantesque jeu de dominos de 1000 pièces passant sur l'ancien tracé de la frontière symbolisait la réaction en chaîne qui a entraîné l'effondrement du communisme. Tout le monde avait les yeux rivés sur Lech Walesa - l'ex-syndicaliste qui s'attribue dans une interview la plus grande part du mérite de la chute du Mur après Dieu («50% grâce au pape, 30% grâce à Solidarité et 20% pour le reste du monde»...) - qui a mis en branle la première pièce.
Mais qui a remarqué le domino final? Contrairement aux 999 autres blocs de polystyrène de 20 kilos et de 2,5 mètres de haut, celui-là était d'un béton brut bien plus pesant: 2 tonnes. Il n'a pas bougé lorsque l'avant-dernier domino est venu se casser le nez sur sa masse inerte, stoppant net cette folle course vers la liberté. Ce domino-là n'était pas non plus coloré comme les autres. Sur sa surface grisâtre, on ne pouvait deviner - sur les images de télévision - que quelques caractères d'apparence chinoise.
La force des symboles. N'était-ce pas le sens de cette fête? La Chine communiste, en 1989, n'était-elle pas le seul pays qui a stoppé les revendications de sa jeunesse assoiffée de réformes en écrasant les manifestations de Tiananmen dans un bain de sang, le jour même où les Polonais allaient voter pour la première fois? La Chine de 2009 ne demeure-t-elle pas cette dictature qui fait obstacle à la démocratie et à la liberté d'expression? Difficile de ne pas voir une allusion politique dans cette mise en scène.
A Berlin, l'organisateur de l'événement nuance toutefois le propos. «Nous n'avions pas spécialement pensé à la Chine pour le dernier domino, explique Michael Jeismann de l'Institut Goethe chargé par la mairie de gérer les «dominos internationaux». Mais seul l'artiste chinois a demandé une pièce de béton. On s'est finalement dit que cela étonnerait le monde et qu'il symboliserait parfaitement les murs, anciens ou nouveaux, qui existent toujours. Si cela avait été un artiste du Yémen, on l'aurait également pris comme dernier domino.»
L'artiste en question, Xu Bing, est vice-directeur de l'Académie centrale des arts de Pékin et vit aux Etats-Unis. Auteur conceptuel, il travaille à l'invention de caractères qui associent idéogrammes chinois et lettres latines. Sur «son» domino, à la façon traditionnelle d'un poème calligraphié sur une stèle, il a reproduit un texte du poète Lu You, de la dynastie des Song (960-1279), sur le thème de la séparation. Sabine Kästner, de l'agence Compactteam, qui a participé au projet, explique ainsi le message de l'artiste: «Il a voulu montrer qu'il est difficile de faire tomber les murs, que des gens sont toujours séparés par des murs physiques ou mentaux.»
Sur son site internet, l'Institut Goethe explique que la signification des murs diffère entre la Chine et l'Allemagne. La Grande Muraille est ainsi un symbole d'unité nationale et de protection. Michael Jeismann précise par ailleurs qu'il n'est «pas sûr» que la Chine soit encore un régime «communiste» et qu'il ne faut pas faire une lecture politique de ce dernier domino. Voilà pour la version officielle. En aparté, il doit bien reconnaître que chacun y verra le symbole qu'il voudra bien y projeter. La mairie de Berlin pourra difficilement évacuer la puissance symbolique et politique de ce domino chinois qui finira, comme les autres, dans un musée.
A l'origine, c'est le maire de Berlin, Klaus Wowereit, qui a défendu ce projet de dominos pour «abattre une nouvelle fois le mur» entre la Porte de Brandebourg et Potsdamer Platz. Les centaines de pièces ont été pour la plupart peintes par des écoliers de Berlin, certaines sous le patronage de grandes figures de la liberté comme Nelson Mandela ou Vaclav Havel, ou de pays. Seule une vingtaine de dominos a été expédiée vers des pays où subsistent des murs de séparation: Yémen, Israël, Chypre, Corée du Sud ou encore Mexique.
La Chine n'a pour l'heure fait aucun commentaire sur «son» domino de béton. Au contraire d'Israël qui a exprimé son «irritation» en voyant son mur de «protection» associé aux murs de la Guerre froide.
Pékin a par contre récemment bloqué un site internet allemand de commémoration de la chute du mur de Berlin pris d'assaut par des internautes chinois venus y dénoncer la censure de leurs autorités, qualifiée de «grand mur de feu». Quant au dernier buzz de Twitter en Chine, il appelle Barack Obama à faire pression sur le président Hu Jintao pour abattre la censure comme ses prédécesseurs le firent pour faire chuter le Mur de Berlin.
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1 commentaires:
Merci pour cet article que je me permet de citer sur le blog :
http://blog.lemurdeberlin.toulouse.fr/index.php?pages/1000-dominos-pour-symboliser-la-chute-du-mur
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