Le 8 novembre, le dalaï-lama a débuté une visite de cinq jours dans l'Etat indien de l'Arunachal Pradesh, à la frontière chinoise. Il s'est déjà rendu à cinq reprises dans cette région. Pourquoi la Chine y voit-elle un problème ? Les gesticulations de Pékin sur cette question vont sans doute au-delà des revendications chinoises sur la ville de Tawang [la Chine conteste le découpage frontalier de 1914, connu sous le nom de ligne McMahon, qui fait passer la région de Tawang sur le territoire indien, dans l'Arunachal Pradesh]. L'opposition des autorités chinoises à la visite du dalaï-lama à Tawang a sans doute beaucoup plus à voir avec la controverse en cours autour de son successeur. Le leader en exil a aujourd'hui 74 ans et sa santé commence à se déteriorer.
Mais depuis le 1er septembre 2007, la réincarnation d'un bouddha vivant qui n'a pas obtenu l'approbation du département chinois des Affaires religieuses a été déclarée illégale par Pékin. En novembre 1995, les autorités chinoises ont désigné une onzième réincarnation supposée du Panchen Lama (le deuxième plus haut chef spirituel après le dalaï-lama), qui vit en Chine. Le dalaï-lama, exilé en Inde à Dharamsala, avait désigné en mai 1995 un autre Panchen Lama [il est détenu par les autorités chinoises dans un lieu inconnu depuis le 17 mai 1995]. Une double désignation qui a provoqué une confrontation sur l'exercice du pouvoir au Tibet, situé en territoire chinois, selon des frontières définies par la Chine et non reconnues par le gouvernement tibétain en exil. Contrôler l'ordre religieux est aussi un moyen de contenir le sécessionnisme tibétain, estime Pékin. Conscient de ce petit jeu, le dalaï-lama a déjà déclaré que la prochaine réincarnation ne serait pas un natif du "Tibet occupé". " Il est hors de question que la Chine se charge pour nous de la désignation de la réincarnation de Sa Sainteté. Elle peut le faire, mais la personne ainsi désignée n'aura aucune crédibilité", précise Tenzin Taklha, porte-parole du dalaï-lama.
La ville de Tawang, où est né le sixième dalaï-lama [qui aurait été victime des jeux de pouvoir sino-mongols au début du XVIIIe siècle], a une dimension symbolique pour les bouddhistes tibétains : "Des rumeurs indiquent depuis un an déjà que le prochain dalaï-lama pourrait être originaire de Tawang. La Chine fait donc pression sur l'Inde à l'avance", explique T. P. Sreenivasan, ancien représentant de l'Inde aux Nations unies. Cependant, suggère-t-il, l'Inde pourrait insister pour que le prochain dalaï-lama soit natif d'une autre région du monde.
La Chine s'est toujours méfiée de la position de l'Inde sur la question tibétaine. La meilleure option pour New Delhi consisterait à réunir discrètement des soutiens aux Tibétains dans la communauté internationale. Les événements de mars 2008, au cours desquels des indépendantistes tibétains qui refusent de suivre la "voie médiane" du dalaï-lama [avec, parmi eux, des émeutiers aux motivations inconnues] se sont heurtés aux forces de l'ordre chinoises dans des affrontements violents, ont par ailleurs donné à la Chine l'occasion de discréditer le mouvement tibétain. Pékin assure ainsi que les violences furent approuvées tacitement par le dalaï-lama, qui aurait attisé les troubles depuis Dharamsala, via Internet. Les diplomates indiens sentent bien que leur pays est observé par Pékin, et l'Inde pourrait préférer faire tout ce qu'il faut pour apaiser le mécontentement de la Chine, comme l'année dernière déjà. "Dans une phase post-dalaï-lama, en l'absence d'un chef aussi prestigieux que Sa Sainteté, l'Inde pourrait prendre des mesures de répression contre les militants politiques", estime l'Indien Shibayan Raha, un militant connu de l'organisation Students for Free Tibet.
Pour certains intellectuels, le seul moyen d'éviter une bataille de succession est de mettre fin au protocole ancestral de recherche de la réincarnation du Bouddha vivant. L'actuel dalaï-lama a d'ailleurs lui-même fait cette suggestion, précisant toutefois que c'est au peuple tibétain de déterminer s'il a besoin ou non de cette institution et s'il souhaite organiser un référendum sur la question. L'idée a été totalement ignorée par la Chine, qui préférerait voir en place le dalaï-lama qu'elle aura désigné. D'autres options sont envisageables, estime le chef spirituel tibétain actuel : l'organisation d'une élection par un collège d'anciens, sur un modèle semblable à l'élection du pape catholique, ou bien la désignation de la prochaine réincarnation par le dalaï-lama lui-même [alors qu'il faut traditionnellement attendre sa mort pour rechercher sa réincarnation]. Mais le temps commence à manquer et les Tibétains craignent de ne pas être prêts lorsque disparaîtra le dalaï-lama. La diplomatie indienne devra être prête, elle aussi. Depuis cinquante ans, et le soulèvement de Lhassa en 1959, l'Inde avait choisi la voie médiane, c'est-à-dire l'obtention de l'autonomie du Tibet, au sein de la Chine. En négligeant la question, elle pourrait se trouver obligée de fléchir sa position - ce qui serait loin d'être une bonne chose.
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