mercredi 30 décembre 2009

ANALYSE - En politique extérieure, Washington veut faire plus avec moins

Le Monde diplomatique - Janvier 2010, p. 8 9

Michael T. Klare

Bilan d'étape pour M. Obama.

Rarement un président des Etats-Unis est arrivé au pouvoir avec des objectifs de politique étrangère aussi ambitieux que ceux de M. Barack Obama. Entré en fonction en janvier 2009, à un moment où la réputation internationale des Etats-Unis était sérieusement écornée, il entendait restaurer le prestige de son pays en s'attaquant à une vaste palette de problèmes : le désarmement nucléaire, la paix entre Israël et les Palestiniens, l'amélioration des relations avec la Russie, la réconciliation entre l'" Occident " et le monde musulman. Comme si cela n'était pas suffisant, il souhaitait aussi porter son attention sur des problèmes largement ignorés par le gouvernement de M. George W. Bush, comme la pauvreté dans le monde et le changement climatique.

Nombre de ceux qui ont soutenu M. Obama croyaient qu'il parviendrait à réaliser d'importants progrès sur ces questions durant la première année de son mandat. Ils ont été largement déçus. Cela reflète les attentes - peut-être un peu excessives - qu'ils nourrissaient à son égard, mais également une mauvaise appréciation de son tempérament et de l'environnement dans lequel il est contraint d'agir (lire " Peut-on réformer les Etats-Unis ? "). C'est un dirigeant méthodique, pragmatique, peu enclin aux actions spectaculaires. Bien conscient des limites du pouvoir américain - plus importantes que celles rencontrées par tous les présidents des Etats-Unis de la période récente -, il évite de prendre des initiatives qui mettraient davantage à l'épreuve les moyens d'un pays aux déficits déjà abyssaux.

Si l'on fait un bilan de sa première année de gouvernement, il est important de rappeler qu'aucun chef d'Etat américain n'a d'emblée été confronté à un tel déclin. Il y a huit ans, lorsque M. Bush est devenu président, les Etats-Unis disposaient d'une économie solide, d'une armée apparemment toute-puissante et n'avaient pas d'adversaires sérieux.

Ces conditions enviables ont disparu. L'invasion de l'Afghanistan puis de l'Irak par M. Bush ont dissipé l'élan de sympathie dont avait bénéficié le pays après les attentats du 11 septembre 2001. La prolongation de ces interventions les a de surcroît transformées en fiascos très coûteux, qui sapent le moral de l'armée américaine. Pendant ce temps, l'administration s'est affranchie des contraintes financières pour octroyer des prêts de manière inconséquente, ce qui a finalement conduit à un effondrement économique.

Tenter d'enrayer le déclin constitue le maître mot de la politique extérieure de l'administration Obama. Comme le répètent le président et son équipe, il s'agit d'" accomplir plus avec moins ". Pour y parvenir, ils croient à la persuasion plutôt qu'à la contrainte, à la discussion plutôt qu'à l'antagonisme, au compromis plutôt qu'à la rigidité, aux petits pas plutôt qu'aux grandes échappées.

On le voit, par exemple, dans les efforts faits pour gagner le soutien de Moscou dans la réduction des stocks d'armes nucléaires aux Etats-Unis et en Russie, et à l'expression d'une position plus radicale sur les activités d'enrichissement nucléaire de l'Iran. Sachant qu'il ne pouvait obtenir l'approbation du Kremlin par la colère et l'intimidation - l'approche développée par M. Bush -, le président Obama a accepté d'annuler les plans de déploiement d'intercepteurs antimissiles en Pologne, un geste longtemps demandé par Moscou. Tout aussi révélatrice a été sa campagne pour revigorer les liens diplomatiques avec la Syrie, dans l'espoir d'affaiblir l'alliance Damas-Téhéran et de permettre l'ouverture de pourparlers de paix régionaux avec Israël.

Néanmoins, M. Obama a clairement laissé entendre à Oslo, dans son discours d'acceptation du prix Nobel de la paix, qu'il est - comme tous les présidents américains récents - tout à fait prêt à employer la force militaire lorsqu'il pense que les intérêts fondamentaux des Etats-Unis sont en jeu. Cela apparaît très nettement dans sa décision d'envoyer - temporairement, dit-il - plus de soldats en Afghanistan, comme dans l'extension de l'usage des drones pour localiser et tuer des dirigeants talibans au Pakistan.

Simultanément, M. Obama précise : " Nous ne pouvons pas compter exclusivement sur la force militaire. L'Amérique devra montrer sa force à travers sa capacité à mettre un terme à un conflit, à l'empêcher - et pas seulement à déclarer la guerre. " Cette perspective reflète une démarche prudente de planification stratégique entamée avant son arrivée à la Maison Blanche et poursuivie durant les premiers mois de son administration. Pour suivre ce processus et pour le conseiller sur les questions de politique extérieure, M. Obama a sélectionné des personnalités plus connues pour leur " pragmatisme " et leur " souplesse " que pour leurs positionnements idéologiques (1). En retour, ces conseillers ont soutenu le président en mettant au point des stratégies qui reflètent les limites de la puissance américaine tout en visant l'optimisation de ses avantages naturels.

Les grandes lignes de cette approche ont été pleinement développées en avril dernier à Washington lors d'un symposium extraordinaire de deux jours sur les nouvelles perspectives stratégiques des Etats-Unis. Organisée par l'Institut d'études stratégiques nationales (INSS) de l'Université de défense nationale, cette rencontre a vu les interventions de personnalités telles que Mme Michèle Flournoy, sous-secrétaire à la défense, M. James Steinberg, secrétaire d'Etat adjoint, et Mme Anne-Marie Slaughter, directrice de la planification politique au département d'Etat (2).

Une idée fondamentale en est ressortie : les Etats-Unis doivent s'adapter à un monde dans lequel ils ne jouissent plus d'une suprématie incontestée. " Etant donné les changements radicaux en cours, nous devons distinguer les choses sur lesquelles nous pouvons agir et celles auxquelles nous devons nous adapter ", a expliqué un fonctionnaire expérimenté. A propos de l'ascension de la Chine et de l'Inde, par exemple, il a confié : " Nous ne pouvons pas changer le cours des choses - il n'existe aucune recette plausible permettant de retarder [leur] croissance. " Au lieu de cela, Washington doit chercher à réunir ces pays dans la lutte contre des problèmes mondiaux tels que le sous-développement, le changement climatique et le désordre économique.

Inutile de dire que cela implique d'abandonner tout ce qui ressemble à de l'arrogance ou à du paternalisme. " Nous devons apprendre à diriger dans un monde horizontal et non hiérarchisé, a estimé un fonctionnaire du département d'Etat. Nous ne pouvons dicter leur conduite à d'autres pays, nous devons user de persuasion. " Cela pourrait signifier, dans quelques cas, travailler en dehors des sentiers battus diplomatiques, afin d'atteindre la population de certains Etats grâce à des moyens informels de communication.

Pour la ministre des affaires étrangères, Mme Hillary Clinton, cette approche peut être décrite comme le " pouvoir intelligent ", c'est-à-dire " l'utilisation avisée de tous les moyens dont nous disposons, y compris (...) notre puissance économique et militaire, notre aptitude à entreprendre et à innover, ainsi que les capacités et la crédibilité de notre nouveau président et de son équipe (3) ".

M. Obama est cependant trop pragmatique pour croire que les avancées dans les domaines qui le préoccupent - désarmement nucléaire, paix au Proche-Orient, éradication de la pauvreté, etc. - peuvent se produire s'il néglige les " intérêts nationaux " essentiels des Etats-Unis ou s'il s'aliène des électorats-clés.

A un moment donné, il aurait été possible d'évoquer la restauration de la démocratie en Afghanistan et l'amélioration des conditions de vie de ses habitants. Cela ne semble plus à la portée de Washington - en tout cas pas à un prix que l'Amérique puisse supporter. Le choix - M. Obama doit l'avoir perçu - se situait donc entre une possible victoire des talibans et une opération destinée à donner au président Hamid Karzaï une chance de se racheter. Un autre sujet de préoccupation était de voir la victoire des talibans en Afghanistan enhardir les forces talibanes au Pakistan.

La situation en Iran représente un défi tout aussi épineux. Les préférences de M. Obama sont claires : concevoir une issue négociée au conflit sur l'enrichissement nucléaire, qui confirmerait sa foi en l'efficacité de la discussion en lieu et place de la confrontation. Pour y parvenir, il a tenté d'amener les Iraniens à la table des négociations tout en convainquant les Russes de la nécessité de sanctions en cas d'échec. Tout aussi important, il a persuadé les Israéliens de s'abstenir de toute action militaire tant que les pourparlers semblent progresser. Cependant, une épreuve de force paraît probable (4). Et, comme il est peu vraisemblable que de nouvelles sanctions vont faire plier les Iraniens, M. Obama devra de nouveau envisager l'éventualité d'un recours à la force militaire.

Concernant la Russie, le président cherche à établir des relations favorables au désarmement nucléaire et à la confrontation avec l'Iran. Pour atteindre ses objectifs, il s'est efforcé de gagner la confiance du président Dmitri Medvedev et l'a félicité d'avoir rompu avec les habitudes de la guerre froide, tout en condamnant son prédécesseur Vladimir Poutine, adepte de la " manière ancienne de gérer les affaires (5) ". Lors d'une série d'entretiens en tête à tête, M. Obama a obtenu le soutien de M. Medvedev pour une réduction importante, des deux côtés, des stocks d'armes nucléaires, et une promesse d'appliquer des sanctions contre l'Iran si elles se révélaient nécessaires. Toutefois, la dégradation des relations entre Moscou et l'Ukraine (lire " Fantômes russes dans l'isoloir ukrainien ") ou avec d'autres républiques ex-soviétiques pourrait mener à des frictions avec Washington.

Enfin, s'agissant de Pékin, M. Obama a cherché à établir un nouveau cadre de relations qui prenne en compte le statut de superpuissance naissante de la Chine, tout en préservant la liberté d'action des Etats-Unis. Un tel cadre est nécessaire, selon lui, si on veut éviter une crise au sujet de Taïwan et s'assurer la coopération de Pékin sur des questions comme le réchauffement climatique et la prolifération nucléaire en Iran et en Corée du Nord. Mais il s'agit d'un projet ambitieux, compte tenu de l'inquiétude - assez répandue aux Etats-Unis - que suscite le poids économique croissant de la Chine.

Cette approche de M. Obama a été particulièrement claire lors de sa visite à Pékin en novembre 2009. De nombreux Américains ont regretté qu'il ne se soit pas prononcé sur les violations des droits humains au Tibet et sur la dépréciation artificielle de la monnaie chinoise. Cependant, le président Hu Jintao et lui ont signé, le 17 novembre, une déclaration de principe sur les futures relations entre leurs deux pays qui pourrait servir de cadre à la coopération à long terme souhaitée par M. Obama : " Les Etats-Unis et la Chine ont une base de coopération de plus en plus large et partagent des responsabilités communes de plus en plus importantes sur de nombreuses questions essentielles portant sur la stabilité et la prospérité mondiales. "

Partout où c'était possible, M. Obama a tenté de faire partager sa vision des relations internationales, mais il n'a pas hésité à renoncer à un projet lorsque celle-ci suscitait une forte opposition à l'étranger ou dans son pays. En Amérique latine, sa politique ne s'écarte guère de celle de M. Bush. Et, lorsque sa volonté de contraindre Israël à stopper les constructions de nouvelles colonies en Cisjordanie s'est heurtée à une résistance inflexible, il a tout simplement abandonné cette approche.

" En Floride, l'éternel espoir du rebond ", par Olivier Cyran

(août 2009). " Premier test pour la présidence Obama ", par Peter Custers

(mai 2009). " Le coeur de l'automobile américaine a cessé de battre ", par Laurent Carroué

(février 2009). " M. Obama, prisonnier des "faucons" en Irak ? ", par Gareth Porter

(janvier 2009). " A Chicago, la lutte syndicale a payé ", par Peter Dreier

(janvier 2009). " Le parti démocrate au pouvoir pour vingt ans ", par Jérôme Karabel

(décembre 2009).

Note(s) :

(1) Toutefois, Mme Hillary Clinton a pour conseiller " Amérique latine " M. John Negroponte, ambassadeur au Honduras au moment de la guerre d'agression contre le Nicaragua, en Irak après la mort de Saddam Hussein, puis directeur du renseignement national (DNI) après le 11 septembre 2001 ; il a joué un rôle dans le récent coup d'Etat au Honduras, puis dans la reconnaissance du gouvernement illégitime issu des élections qui ont suivi (lire " Au Honduras, comment blanchir un coup d'Etat ").
(2) Le symposium, qui s'est tenu les 7 et 8 avril, était destiné à faire connaître la publication par l'INSS du rapport " Global strategic assessment 2009 ".
(3) Hillary Clinton, " Foreign policy address at the Council on foreign relations ", Washington, DC, 15 juillet 2009 .
(4) Lire Gareth Porter, " Les dessous des négociations avec l'Iran ", Le Monde diplomatique, décembre 2009.
(5) The New York Times, 3 juillet 2009.
Nos précédents articles
" En Floride, l'éternel espoir du rebond ", par (août 2009). " Premier test pour la présidence Obama ", par (mai 2009). " Le coeur de l'automobile américaine a cessé de battre ", par (février 2009). " M. Obama, prisonnier des "faucons" en Irak ? ", par (janvier 2009). " A Chicago, la lutte syndicale a payé ", par (janvier 2009). " Le parti démocrate au pouvoir pour vingt ans ", par (décembre 2009).

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