mercredi 13 janvier 2010

ANALYSE - La Chine entre croissance et malentendus - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20589 - Idées, vendredi, 8 janvier 2010, p. 16

Les maîtres de Feng Shui se trompent souvent. Les analystes aussi. Beaucoup avaient prédit, il y a tout juste un an, à l'aube de l'entrée du pays dans l'année du Buffle, l'enclenchement d'une séquence périlleuse pour la Chine qui allait devoir vivre, en quelques mois, un écroulement de ses exportations faisant vivre des dizaines de millions de travailleurs, un ralentissement brutal de sa croissance et le difficile vingtième anniversaire de la répression des émeutes de la Place Tiananmen. Douze mois plus tard, le pays est sur le point de confirmer une croissance 2009 proche de 8,5 %, supérieure aux objectifs définis par le Parti communiste, et a déjà proclamé qu'il était devenu, devant l'Allemagne, la première puissance exportatrice de la planète.

Les dizaines de millions d'ouvriers migrants, sèchement licenciés avant le printemps, ont, sans bruit, survécu à la crise et souvent retrouvé une place dans les industries soutenues par le colossal plan de relance à 4.000 milliards de yuans (400 milliards d'euros) mis en place par le gouvernement. Les jeunes diplômés n'ayant pas trouvé d'emploi sont restés sagement chez leurs parents. Déjà, 2010, et l'année du Tigre, qui débutera le 14 février prochain, est présenté comme un nouveau cycle de succès et d'enthousiasme.

La Chine devrait, cette année, doubler le Japon pour s'imposer comme la seconde plus grande puissance économique de la planète, derrière les Etats-Unis. Les think-tanks gouvernementaux, comme les experts étrangers, prédissent une croissance supérieure à 9 % sur l'ensemble de l'année.

Tous les moteurs de croissance, allumés dans l'urgence l'an dernier par le gouvernement pour répondre à la crise, tournent encore à plein régime. Estimant que la reprise reste « fragile », les autorités vont continuer à stimuler l'investissement en poursuivant le déroulement de leur plan de relance. Malgré un léger ralentissement, les dépenses d'infrastructures vont rester soutenues et les banques d'Etat vont continuer leur généreuse politique de crédit aux collectivités locales et aux entreprises publiques. Après avoir prêté près de 10.000 milliards (1.000 milliards d'euros) de yuans l'an dernier, elles pourraient débloquer encore 8.000 milliards de yuans cette année. Le secteur immobilier, perçu comme clef dans la stratégie de relance, sera lui aussi choyé.

Pour soutenir la demande intérieure, le gouvernement a déjà annoncé qu'il allait maintenir plusieurs des programmes d'aide à la consommation mis en place au début de 2009. Dans les campagnes, les subventions à l'équipement en électroménager vont ainsi être conservées et, dans tout le pays, une légère baisse de la taxe d'achat sur les véhicules de cylindrée inférieure ou égale à 1,6 litre sera toujours proposée. Passée l'an dernier de 10 % à 5 %, elle sera cette année fixée à 7,5 %.

Ces mesures devraient permettre de compenser la convalescence du commerce extérieur. Après une chute de près de 20 % en volume, les exportations vont de manière mathématique repartir à la hausse en 2010, mais ne pourront bénéficier que d'une reprise souffreteuse de la demande étrangère. Dans le Guangdong, beaucoup d'entrepreneurs privés restent déprimés malgré la célébration publique des performances nationales. Après avoir pesé négativement sur la progression du PIB en 2009, les exportations contribueront néanmoins positivement à la croissance du pays cette année.

Dans ce tableau, Pékin ne retient que peu de risques de court terme. L'inflation, contenue par les surcapacités et le maintien à un faible niveau de la plupart des prix agroalimentaires, n'apparaît pas comme une préoccupation. La menace de formation d'une bulle immobilière reste aussi limitée. Les prix ont certes flambé dans certaines villes mais les statistiques montrent que l'essentiel des acheteurs chinois continuent d'acquérir des logements pour y habiter ou pour placer leur argent sur des années, pas pour réaliser des opérations spéculatives. Sans menace majeure, le gouvernement affirme vouloir se concentrer en 2010 sur la résolution de contradictions plus profondes qui hantent toujours la nation : l'accroissement des inégalités, la mise en place d'un système de Sécurité sociale pour débloquer la consommation.

Face à cette Chine, en apparente pleine santé, les grands pays développés ne vont pas manquer d'appeler Pékin à se montrer plus responsable et solidaire pour aider la communauté internationale à générer une reprise mondiale durable. Les appels à une ouverture plus large de son marché et les demandes de réévaluation du yuan vont se multiplier en Occident. Mais ces suppliques ne seront pas entendues.

Exacerbant les discours protectionnistes, les refus chinois vont générer une poussée des différends commerciaux, en particulier avec les Etats-Unis où le maintien d'un fort taux de chômage, à quelques mois des élections de mi-mandat du Congrès américain (novembre), va inciter les politiciens à durcir le ton contre Pékin.

Si la Chine orchestrera bien une légère réévaluation de son yuan dans les prochains mois, elle ne le fera que selon un calendrier choisi et pour répondre aux seules exigences de son économie. Malgré les discours conciliants de Washington, Paris ou Canberra qui louent la « responsabilité » croissante de la grande puissance chinoise dans les affaires du monde, le régime communiste n'a jamais caché que ses politiques économiques mais également diplomatiques ne répondaient qu'à la seule défense de ses intérêts propres et jamais à l'adhésion à des valeurs dites « globales ». Le sabordage du sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique et le peu de progrès des dossiers nord-coréen et iranien l'ont confirmé.

Le Parti a pour seul objectif le maintien de son monopole du pouvoir et doit garantir un minimum de « retour sur croissance » à une population globalement pauvre qui ne conteste pas son règne tant qu'elle jouit d'une amélioration de son niveau de vie et constate avec fierté la renaissance de sa nation. Toute pression étrangère ou domestique perçue comme contraire à ces objectifs sera snobée ou réprimée. Les « conseils d'amis » des partenaires américain, français ou allemand n'ont aucune prise et les derniers dissidents, encore en liberté, sont traqués. En accélérant son développement, la Chine ne deviendra pas une puissance « à l'occidentale » et le fossé des malentendus avec l'étranger ne va cesser de se creuser.

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