jeudi 11 février 2010

INTERVIEW - « La Chine ne se considère pas mise en péril... » - F. Godement

La Croix, no. 38585 - Evénement, mercredi, 10 février 2010, p. 3

François Godement, directeur d'Asia Centre et professeur à Sciences-Po : « La Chine ne se considère pas mise en péril par une extension de l'arme nucléaire ». Pour François Godement, l'opposition de la Chine à de nouvelles sanctions contre l'Iran n'est pas seulement motivée par des intérêts économiques.

Comment expliquez-vous l'opposition de la Chine à de nouvelles sanctions contre l'Iran ?

François Godement : D'une façon générale, la Chine s'oppose aux sanctions contraignantes dans le cadre de l'ONU. Pékin a parfois accepté, du bout des lèvres, des sanctions contraignantes quand elles visaient des dirigeants ou des individus impliqués dans l'effort nucléaire. Mais jamais plus. Les dirigeants chinois acceptent, à la rigueur, des sanctions non contraignantes que les différents États membres de l'ONU ne sont pas tenus d'observer, comme dans le cas de la Corée du Nord.

En outre, la Chine défend systématiquement une position favorable à la négociation en soulignant le côté inapplicable et peu efficace des sanctions. Enfin, elle se déclare hostile au recours à la force armée.

À cela s'ajoute une grande ambiguïté chinoise sur la question nucléaire. La Chine fait partie des pays favorables à l'usage pacifique du nucléaire et à la non-prolifération des armes nucléaires. Pour autant, l'acquisition démontrée de l'arme nucléaire par la Corée du Nord voisine ne l'a pas fait changer de position.

La position chinoise n'est donc pas seulement motivée par des préoccupations économiques, notamment le souci de préserver ses importations de pétrole...

Non, c'est trop simple. Certes, la Chine profite des sanctions occidentales - pas seulement en Iran - pour accroître presque mécaniquement son influence et ses échanges commerciaux. La Chine a simplement une attitude différente sur le rôle de l'ordre international et des organisations internationales.

En tant que grosse consommatrice d'hydrocarbures du Moyen-Orient, la Chine n'a-t-elle pas intérêt à la stabilité de la région ?

Si, bien sûr. Si les Chinois pensent qu'une action militaire américaine ou israélienne est imminente, ils vont certainement user de leur influence auprès de l'Iran pour que celui-ci fasse des gestes de nature à la retarder ou en écarter l'hypothèse. Mais cela ne les fera pas participer à un régime de sanctions contraignant.

La Chine pourrait-elle s'abstenir, en cas de vote du Conseil de sécurité sur de nouvelles sanctions ?

L'abstention est une option parce que la Chine est partagée entre la contrainte stratégique des relations avec les États-Unis et sa position générale sur les dossiers d'intervention internationale. La Chine pourrait s'abstenir sur des sanctions ciblées contre des individus ou des entités. Ce qui est sûr, c'est que les États-Unis ne sont pas actuellement en position très favorable pour obtenir des concessions chinoises. Les Chinois ont fait monter les enchères avec la querelle sur les ventes d'armes américaines à Taïwan. Plus les États-Unis et les pays européens sont empêtrés en Irak et en Afghanistan, plus les États-Unis ont un cahier des charges à respecter sur la Corée du Nord et Taïwan, plus les Chinois sont en mesure de choisir les dossiers sur lesquels ils mettent l'accent pour obtenir des concessions, en échange de leur coopération. Le front occidental des demandes à la Chine ne cesse de s'élargir. La Chine est en position de force dans la négociation.

Quelles concessions occidentales peuvent amener Pékin à s'abstenir ?

En pratique, s'abstenir veut dire approuver, et c'est ce qu'avait fait la Chine en n'utilisant pas son droit de veto dans le cas de l'Irak en 2003. Les États-Unis sont en position délicate et il n'est pas exclu qu'on arrive à la nucléarisation de l'Iran comme on est arrivé à la nucléarisation de la Corée du Nord. La Chine s'est très peu exprimée officiellement sur cette hypothèse. Elle ne se considère pas principalement mise en péril par une extension de l'arme nucléaire. Il est même probable que Pékin pense que cette extension contribue à empêtrer les Occidentaux dans leur politique de lutte contre la prolifération et à leur créer des problèmes de sécurité supplémentaires. En revanche, le terrorisme et la prolifération de matériaux fissiles entre les mains d'acteurs non étatiques préoccupent la Chine. On peut imaginer que dans la gamme des pressions possibles de Téhéran sur Pékin, il y a les influences iraniennes éventuelles sur le Xinjiang, la région autonome de l'ouest du pays, majoritairement musulmane.

Recueilli par François d'ALANCON

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