mercredi 24 février 2010

Peine de mort, l'abolition progresse -Sylvain Dulac


La Croix, no. 38597
Evénement, mercredi, 24 février 2010, p. 2


En Chine, le consensus se fissure lentement.
Le pays dont la justice prononce le plus de condamnations à mort montre des signes de changement, malgré les travers du système . Pékin, de notre correspondant

«Je me souviens d'une femme qui avait assassiné son mari parce qu'il la battait et la violait. Elle avait été condamnée à mort et voyait son enfant pour la dernière fois. Lorsqu'ils se sont dit adieu en s'embrassant, ce fut comme si mes entrailles se déchiraient... » De telles scènes, Shuqi Zhang en a trop connu lorsqu'elle était employée de prison. Aussi, en 1996, elle a fondé le premier « Village du soleil », un centre d'accueil pour enfants de condamnés à mort ou de prisonniers aux longues peines.

Depuis, cette « seconde famille » a aidé « 4 000 jeunes profondément marqués par la disparition ou l'enfermement de leurs parents », assure Shuqi Zhang. Cette grand-mère de 60 ans, confrontée directement à l'aspect « inhumain de la peine de mort », déclare pourtant ne pas y être opposée. « Parce qu'elle peut dissuader beaucoup de gens de commettre des crimes. »

Pour le gouvernement, cette fonction dissuasive « sert avant tout un dessein politique », affirme Aurélie Plaçais, chargée des campagnes de la Coalition mondiale contre la peine de mort à Paris. Si le Parti communiste chinois maintient les exécutions massives, c'est pour « rappeler à tous ceux qu'il considère comme une menace : "C'est nous qui avons les fusils" », renchérit la sinologue Marie Holzman en rappelant que « la terreur est consubstantielle à la dictature ».

Ancien agent de la police criminelle devenu avocat, il y a dix ans, pour aider les accusés qui risquent la peine de mort, « parce que, dans cette situation, ils sont impuissants et que presque personne n'accepte de les défendre », le pénaliste Sun Zhongwei souligne pour sa part l'usage cathartique de la peine de mort en Chine : « Elle est employée pour canaliser la haine publique. » Ce fut le cas dans le procès des émeutiers des affrontements interethniques de juillet dernier au Xinjiang, après lesquels la population exigeait des sanctions sévères.

Il dépeint un système judiciaire sous influence. « Les familles de victimes exercent parfois une forte pression sur le juge pour qu'il prononce la peine capitale. » Outre sa plaidoirie, Sun Zhongwei doit donc négocier un « accord » avec l'accusation. Il mentionne le cas d'une dame très pauvre dont la fille avait été assassinée. « Son seul objectif était l'exécution de mon client. Au second appel, j'ai payé ses frais d'avocat et je lui ai proposé des dommages et intérêts pour qu'elle cesse de réclamer la peine de mort. Elle a finalement accepté, et le juge a commué la première condamnation en peine de prison. »

Ce singulier fonctionnement de la justice cacherait des dérives autrement plus néfastes. « Le système de révision du procès permet aux juges de toucher des pots-de-vin versés par les accusés assez riches pour acheter leur propre survie », rapporte Marie Holzman en s'appuyant sur les témoignages concordants de plusieurs avocats.

Dans l'exercice de son métier, Sun Zhongwei subit « une forte pression. Notamment pendant les appels, parce qu'alors mon adversaire, c'est le système lui-même. Et ce système bafoue souvent les droits de la défense. » Encore plus difficile à supporter : l'opinion de sa propre famille, qui « ne comprend pas pourquoi (il) défend des criminels. C'est que, pour beaucoup de Chinois, la peine de mort est une sanction tout à fait raisonnable. Si quelqu'un a tué un innocent, il doit le payer de sa vie », explique-t-il. Aurélie Plaçais confirme : l'opinion publique chinoise est « très majoritairement favorable à la peine capitale ».

Pourtant, la situation commence à évoluer. Marie Holzman relève que « depuis dix ans, plusieurs affaires judiciaires ont profondément ébranlé le consensus en faveur de la peine de mort » : des exécutions très médiatisées de personnes qui avaient été victimes de graves injustices sociales et qui, en réaction, avaient commis des assassinats. « Les opprimés de Chine se sont alors identifiés à eux, et ont compris que la peine de mort était un outil dans les mains des plus mauvais. » Et même si « la censure tend à neutraliser ces sursauts, la conscience qu'ont les Chinois de leurs droits progresse ».

Les statistiques prouvent une moins grande sévérité des tribunaux. Selon les évaluations établies par les ONG internationales, le nombre d'exécutions baisserait sensiblement depuis quelques années. « Alors qu'il y avait environ 10 000 exécutions par an au début des années 2000, on les évalue à 5 000 ou 6 000 aujourd'hui », indique Aurélie Plaçais.

Par ailleurs, le système judiciaire a été amendé sur plusieurs points. Par exemple, depuis 2007, le second jugement en appel est prononcé par la Cour suprême de Pékin, de manière à éviter que les décisions rendues ne soient trop influencées par les enjeux locaux. À cette occasion, le gouvernement a affirmé que « les droits de la défense doivent être respectés » et que la peine de mort ne « devrait être appliquée que dans les cas les plus graves ».

Pourtant, selon Aurélie Plaçais, ces déclarations servent surtout à « donner une image positive au niveau international ». Marie Holzman est encore plus virulente : « On entend les chiffres de - 10 % ou - 15 %. Mais par rapport à quoi ? Comptabilise-t-on les bavures, ou les prisonniers qu'on laisse mourir dans une cellule ? De fait, on assiste à une mafiaïsation du système, qui tolère davantage d'exécutions extrajudiciaires afin de réduire la partie visible. »

Quoi qu'il en soit, la réflexion sur la peine de mort, lancée depuis longtemps par les intellectuels chinois, fait lentement son chemin, « même au sein de certaines mouvances du Parti », s'accordent à dire Sun Zhongwei et Marie Holzman. Et la sinologue de conclure : même si cette évolution est freinée par « certains ultranationalistes qui s'arc-boutent sur un modèle rigide qui, selon eux, a fait ses preuves, nous arrivons à un moment charnière de l'histoire ».

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