Dans le monde du luxe et de la mode, Robert Polet, PDG de Gucci Group, détonne : ce Néerlandais a longtemps dirigé une filiale d'Unilever en Asie. Tandis que les défilés s'achèvent, il semble plutôt optimiste. En tout cas bien plus qu'il y a un an, a-t-il confié au Monde. " Après une phase de mondialisation du marché du luxe, de constitution de portefeuilles de marques chez tous les géants du secteur - les LVMH, Richemont ou Gucci Group -, l'explosion des marchés émergents est inéluctable. "
Quand il a pris, en 2004, les rênes de Gucci Group, qui englobe, outre la marque Gucci, YSL, Bottega Veneta, Balenciaga, Boucheron, Sergio Rossi, Alexander McQueen et Stella Mc Cartney, la griffe italienne Gucci ne comptait que quatre magasins dans l'empire du Milieu. Contre 30 en 2009.
" Soixante pour cent de nos investissements s'effectuent aujourd'hui en Asie-Pacifique ", le deuxième marché du groupe après l'Europe, explique M. Polet. Fin 2009, 152 des 612 boutiques du groupe se situaient en Asie-Pacifique. Et les ventes du groupe ont progressé l'an dernier de 46,3 % rien qu'en Chine.
Pour celui qui a longtemps vendu des crèmes glacées aux Chinois, " ce marché sera fatalement important dans dix ans. Ils sont très centrés sur la famille, les enfants. Ils épargnent beaucoup. Leur idée du luxe est à la fois de montrer qu'ils ont réussi, sont riches, mais s'occupent de leurs proches. Ils aiment les marques et les produits bien faits ".
Gucci Group mise plus que jamais sur les pays émergents, qui représentent presque un tiers des ventes (32,8 % en 2009). La Chine, l'Amérique latine, et, dans une moindre mesure, l'Europe de l'Est et le Brésil endiguent l'atonie ou les accès de faiblesse des marchés plus " matures " comme le Japon, l'Europe ou l'Amérique du Nord.
Le pôle luxe du groupe PPR - qui représentait, fin 2009, 20,5 % du chiffre d'affaires mais 48,3 % du résultat opérationnel courant - a pâti de la crise. Son chiffre d'affaires s'est contracté de 3,6 % (à périmètre comparable), à 3,39 milliards d'euros, et le résultat opérationnel a fondu de 5,3 %, à 692 millions d'euros, en 2009. " Ce ne sont pas du tout de mauvais résultats ! Surtout si l'on se souvient que le cabinet Bain prévoyait une chute mondiale du luxe d'au moins 7 % en 2009. Nous avons fait deux fois mieux et gagné des parts de marché ", explique M. Polet.
Signe encourageant, selon lui, les ventes du quatrième trimestre ont connu un vif rebond. " Nous avons continué à investir de façon significative - 32 nouveaux magasins dans les pays émergents - sans dévier de notre stratégie ", dit-il.
Le groupe de luxe a certes " adapté - sa - tactique à court terme et coupé dans certains budgets, mais rien n'a changé sur le long terme ", explique son PDG. Même si YSL, sorti du rouge en 2008, est redevenu déficitaire d'environ 10 millions d'euros en 2009. " Nous sommes toujours sur la route que nous nous étions fixée il y a cinq ans, de "manager" des marques, pas des équipes. Nous allons bientôt fêter les 80 ans de Gucci. Bon nombre de marques de luxe ont disparu pendant ce laps de temps. Or Gucci convient toujours aussi bien à ma mère qu'à ma fille... La priorité est de comprendre l'ADN d'une marque, de l'identifier, de l'architecturer, mais sans changer sa personnalité. "
" Fort potentiel "
Si PPR espère céder un jour son pôle distribution (la Fnac, Conforama, Redcast), Robert Polet doit freiner ses ambitions d'acquisitions dans le luxe. Sa maison mère n'envisage aucun achat significatif tant que ces actifs ne trouvent pas preneurs. Contre mauvaise fortune bon coeur, M. Polet estime qu'" il existe encore un fort potentiel d'exploitation des marques de Gucci Group ". " Le marché du luxe deviendra à terme de plus en plus segmenté. Certains clients cherchent des logos, d'autre un luxe plus émotionnel, d'autres encore rêvent de discrétion... Aujourd'hui, notre portefeuille couvre tous ces segments. Les plus petites marques ne demandent qu'à grandir rapidement, à être plus présentes géographiquement ", affirme M. Polet.
Après avoir lourdement investi sur Bottega Veneta, il portera ses efforts sur Balenciaga. Ce qui passe pour ces deux maisons par une arrivée ou un grand retour dans le parfum. " Toute la question pour faire vivre une marque est de savoir comment la nourrir, avoir les talents créatifs suffisants pour préempter le désir et continuellement surprendre ", dit-il.
La jeune griffe Alexander McQueen était presque à l'équilibre en 2009. Après le suicide de son créateur, le 11 février, la décision de continuer a été très rapidement prise. Même si la survie de l'héritage de cet électron libre de la mode semble ténue.
Nicole Vulser
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