La Chine vient de rebaptiser une montagne. A priori, ce n'est pas une nouvelle à sensation. Précisons. La montagne s'appelait « le pilier du Ciel » et son nouveau nom de baptême est celui du titre d'un film à succès (dont nous tairons le nom) auquel elle a servi de décor. Cela retiendra un peu plus l'intérêt, mais on n'y verra sans doute pas matière à scandale. Aucun dégât, aucune pollution n'est à constater sur ce mont, pollution dont la Chine par ailleurs n'est pourtant pas avare.
Malgré tout, il ne manque pas de se jouer là un certain drame. Drame culturel au pays de la Révolution culturelle. Les dégâts sont invisibles, mais l'appellation atteint l'environnement aussi gravement qu'une pollution. Il s'agit ici d'un méfait en rapport avec le langage.
Une chose n'existant aujourd'hui qu'issue d'une usine ou d'un studio de cinéma, nous pourrons bientôt dire qu'au commencement était le verbe publicitaire, car c'est lui qui devient le principal pourvoyeur de langage et de sens. La publicité profanait déjà les rues, maculait les tee-shirts, s'imprimait dans les cerveaux. À quand les néons des marques sur les sommets, de la part d'un pouvoir qui feint aujourd'hui de renouer avec Confucius ? C'est un peu comme si la montagne n'existait pas avant d'être filmée. Elle reçoit son existence de la caméra.
Et sans doute fallait-il passer au plus vite d'une montagne vénérée à une montagne à succès avec l'Exposition universelle ; sortir de la torpeur des temps mythiques pour s'élancer dans l'instant marchand. Rares sont les pays qui peuvent se flatter de posséder une montagne présente dans les hits. En tout cas, voici la montagne réquisitionnée pour la promotion du régime. Elle était de cette nation, elle devra être nationaliste.
Mais ceci n'est pas propre à la Chine, la marchandise avance partout sa marée noire. Dans les pays les plus avancés, on construit de fausses montagnes. Dans la Chine émergente, on rend fausses les vraies.
Mais il s'agit moins de la montagne que de nous. Car, au fond, la victime, c'est l'esprit humain qui l'a rebaptisée. C'est la crédibilité du monde pour nous qui est en jeu, la foi dans la création. Le plus affligeant est que ce qu'elle pouvait nous dire comme pilier du Ciel pourrait s'être épuisé. Cela voudrait dire que l'esprit qui s'étonne, relie, associe, imagine, signifie, s'est effacé devant le cerveau qui calcule, vend et se vante.
C'est que la rationalité bornée s'entend bien avec le profit. Allons donc, qui pourrait croire encore qu'une montagne soutiendrait le ciel ? Mais cet esprit fort « à qui on ne la fait pas », n'est-il pas mentalement plus infirme et malheureux que le contemplatif qui, par ce nom et par ce mont, voyait s'établir le lien entre terre et ciel ?
Sans le pilier du Ciel, il ne faudra pas s'étonner que ce dernier finisse par nous tomber sur la tête.
Vous aurez noté que je n'ai pas prononcé le nouveau nom. Je n'irai voir ni le film ni la montagne, mais elle restera pour moi le pilier du Ciel. Tout logique et raisonnable que je suis, c'est plutôt par ce nom qu'avec les montagnes je puis vivre en bonne intelligence.
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