Avec l'école-pont du village de Xiashi, dans la province de Fujian, réalisée par l'architecte Li Xiaodong, la Chine est entrée pour la première fois, le 24 novembre, à Doha, au Qatar, sur la liste des prestigieux lauréats du prix d'architecture de l'Aga Khan. Ce trophée est remis tous les trois ans à une ou plusieurs réalisations construites dans les pays musulmans ou abritant une population musulmane. Il permet de mettre en lumière des constructions qui pourraient passer inaperçues. Il encourage aussi, depuis trente ans, des réalisations dans un esprit " d'humanisme, de tolérance et de développement durable ".
L'école de Xiashi, qui semble flotter sur l'eau qu'elle enjambe, est un excellent témoignage de cet esprit éloigné des fondamentalismes religieux. C'est un projet modeste par sa taille (240 m2), par son coût (100 000 dollars, soit 74 543 euros) et son site (un petit village traversé par un ruisseau qui s'écoule 10 mètres plus bas). Mais c'est un projet étonnant par son contenu (à la fois pont et école primaire avec deux classes), et par sa générosité (inventer un centre fédérateur à un village physiquement divisé et dont la population tend à décliner). Par sa façon, aussi, d'intégrer parfaitement une architecture et des matériaux très modernes dans un environnement traditionnel.
L'auteur de ce petit chef-d'oeuvre, l'architecte Li Xiaodong, n'est pas un inconnu dans le monde de la nouvelle architecture chinoise. Formé à la prestigieuse université de Tsinghua, à Pékin, il est allé décrocher un second diplôme aux Pays-Bas avant de revenir dans la capitale et d'ouvrir son agence. Volontaire, discret, excellent théoricien, il a depuis été nommé à la tête du département d'architecture de l'université de Tsinghua, à Pékin, où la sensibilité au contexte environnemental n'était jusqu'alors pas une priorité.
Matériaux doux
Li Xiaodong s'est spécialisé dans les projets difficiles. On lui doit l'école Yuhu, à proximité de Lijiang (Yunnan), classée par l'Unesco en 1997, mais largement reconstruite supposément à l'identique depuis le tremblement de terre de 1996. On lui doit aussi le centre de méditation zen à Shaolin (Henan).
On retrouve dans l'école de Xiashi les matériaux qu'il a utilisés pour ces deux projets, qu'ils soient doux ou familiers : bois, pierre, etc. Et aussi une écriture contemporaine très raffinée. Il est difficile à cet égard de ne pas rapprocher son travail de celui de Wang Shu, célébré par les récentes Biennales de Venise.
A Xiashi, il lui était demandé de construire une école dans l'environnement patrimonial de la province de Fujian. Cette région montagneuse bordée par la mer de Chine, face à Taïwan, abrite un grand nombre d'Hakkas (ou Kejia), un groupe social appartenant à l'ethnie majoritaire Han, mais dotés de forts particularismes.
C'est une population de migrants, habituée à vivre dans des régions difficiles, où ils ont dû s'imposer. La solidarité et un haut niveau d'éducation sont parmi leurs caractéristiques, mais aussi une culture élaborée, qui s'est traduite dans le Fujian par la construction des tulou (édifices de terre), villages-forteresses de forme ronde ou carrée, susceptibles d'abriter plusieurs dizaines, voire des centaines de personnes.
Edifiés en terre " armée " (lamelles de bambous, chaux, sable), ces édifices impressionnants, dont certains remontent au XIIIe siècle, sont inscrits, depuis 2008, sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, ce qui n'a pas peu contribué à leur découverte par les agences de voyages.
Les groupes de tulou sont disposés à proximité de cours d'eau, comme celui qui sépare les deux parties du village de Xiashi. L'école relève de tentatives pour maintenir sur place une population pauvre et tentée par l'exode.
Liu a installé cette école sur un pont asymétrique et articulé, au-dessus de la rivière, doublé plus près du cours d'eau par une passerelle en zigzag - les écoliers vont à l'école, les habitants empruntent le pont.
Outre l'école, le pont abrite un théâtre, une bibliothèque, des endroits pour s'arrêter et parler. Malgré sa solide structure métallique, ce pont habité, habillé de fines lames de bois, se présente comme une construction légère, presque sensuelle.
Contrepoint aux deux immenses tulou qu'il relie (l'un rond, l'autre ovale), chacun de ses détails semble relever d'un univers opposé au monde du village, tandis que l'ensemble coexiste avec le passé dans un équilibre parfait.
Frédéric Edelmann
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