Le Monde - Economie, jeudi 19 mai 2011, p. 16
La zone euro veut croire à une simple " bosse ", les Etats-Unis constatent une " résurgence ", les pays émergents s'inquiètent d'un " dérapage ". Tout autour du globe, l'inflation s'impose comme un sujet majeur de préoccupation pour les ménages, les entreprises et les autorités monétaires. Avec, partout, une même origine : la flambée des cours des matières premières, dopée par la demande des pays émergents.
Au Royaume-Uni, la hausse des prix a connu un brusque rebond en avril, à 4,5 % sur un an, selon les données officielles publiées mardi 17 mai. Elle a aussi accéléré en zone euro, à 2,8 %, au plus haut depuis trente mois, comme l'a confirmé lundi l'office européen des statistiques Eurostat. Dans le monde émergent, où les produits alimentaires comptent toujours pour 30 % à 40 % dans les dépenses des ménages, le choc sur les matières premières est ressenti plus fortement encore : l'inflation s'est établie en avril à 8,6 % en Inde, à 6,5 % au Brésil, à 5,3 % en Chine...
" Le mythe de la grande modération est fini ", remarque Patrick Artus, directeur des études économiques chez Natixis. Avant la crise financière, la grande majorité des économistes et des dirigeants politiques croyaient l'inflation morte, tuée par la mondialisation. La Chine et sa main-d'oeuvre bon marché devaient pour toujours tirer les prix vers le bas en Occident. " En réalité, on assiste aujourd'hui au retour d'une inflation structurelle mondiale ", affirme M. Artus.
Ce phénomène menace-t-il de faire déraper la reprise ? En zone euro, la croissance est bien repartie dans les grandes économies que sont l'Allemagne et la France. Mais les experts s'inquiètent de voir cette poussée intervenir alors que le marché du travail est encore à la traîne. Avec un taux de chômage moyen proche de 10 %, personne ne croit vraiment à la menace d'une spirale inflationniste où la flambée des prix se transmet aux rémunérations. Mais faute d'augmentations salariales, le pouvoir d'achat risque de souffrir.
" Cette hausse des prix alimentaires et de l'essence a un impact psychologique important sur le comportement des ménages. La valeur réelle des salaires s'érode et cela peut freiner la consommation ", résume Natacha Valla, chef économiste chez Goldman Sachs à Paris.
Autre écueil : les conséquences sur l'activité d'un resserrement monétaire délicat à piloter. Réputée pour son orthodoxie, la Banque centrale européenne (BCE) tolère mal de voir l'inflation dépasser depuis décembre son objectif officiel de 2 % en zone euro. En mars, elle a décidé de relever le loyer de l'argent pour la première fois depuis l'été 2008. Très en avance sur le calendrier de la Réserve fédérale américaine (Fed), qui n'a donné aucun signal de hausse des taux malgré une inflation à 3,2 % sur un an en avril aux Etats-Unis.
Les marchés s'attendent à deux nouveaux tours de vis de la part de la BCE d'ici à la fin de l'année 2011, dont le prochain dès juillet. Trop tôt, trop vite, s'alarment certains experts qui, comme M. Artus, jugent que la zone euro n'est pas encore engagée dans une phase de vraie expansion économique.
Le débat est tout autre en Asie et en Amérique latine, où la lutte contre l'inflation figure depuis déjà plusieurs mois en tête des priorités économiques. Dans les pays émergents, le risque d'effets dits " de second tour " - autrement dit, la contagion des hausses de prix aux salaires - est bien réel. En Chine, par exemple, les mouvements de protestation contre la cherté de la vie se multiplient, comme la grève des routiers qui a paralysé en avril le port de Shanghaï.
Pour prévenir un emballement, les banques centrales tentent par tous les moyens de resserrer les vannes du crédit. En Inde, les taux ont été relevés à neuf reprises en quinze mois. En Chine, quatre fois depuis l'automne. Au risque de freiner dangereusement l'activité dans une zone qui tire aujourd'hui la croissance mondiale.
Selon certains experts, le tableau n'est pas si sombre. Avec l'augmentation des salaires, l'inflation dans les économies émergentes offre même de réelles opportunités aux pays industrialisés. " On observe un choc de demande positif qui vient de Chine ", indique ainsi Véronique Riches-Flores, responsable de la recherche thématique à la Société générale. La République populaire, affirme-t-elle, devient " un vrai marché pour les produits européens ".
Mais cette inflation mondiale est-elle appelée à durer ? En zone euro, la BCE prédit un retour à la normale d'ici à fin 2011. Le principal point d'interrogation porte toutefois sur l'évolution des cours des matières premières dans les prochains mois. Il faut qu'ils s'apaisent pour que la hausse des prix ralentisse. Or les pronostics sont difficiles à établir.
En avril 2011, les cours ont battu leur record de juillet 2008. Depuis, cette envolée s'est interrompue, notamment sous l'effet d'une hausse du dollar. Une appréciation qui rend moins attractifs les actifs libellés dans la monnaie américaine, comme le pétrole.
Mardi, le baril de brut " light sweet crude " a clôturé à New York à moins de 97 dollars (68 euros) son plus bas niveau depuis la fin février. Simple trou d'air ou vraie correction ? La réponse est encore en suspens.
Marie de Vergès
PHOTO - A man dressed like a bronze sculpture, stands at a shop to attract customers in Beijing on May 17, 2011. China should raise interest rates to battle spiralling inflation, which is likely to hit 4.2-4.3 percent this year, exceeding the official target, a central bank adviser was quoted saying on May 16.
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