Le Monde - International, vendredi 24 juin 2011, p. 6
Remis en liberté après un peu moins de trois mois de captivité, l'artiste chinois Ai Weiwei a regagné sa résidence de Caochangdi, le village d'artistes de Pékin, mercredi 22 juin, au soir. Il a indiqué à la petite foule de journalistes venus l'attendre qu'il était heureux d'être de retour mais qu'il ne pouvait s'exprimer, car libéré sous caution. La caution est d'une durée d'un an et " durant cette période, Ai Weiwei fait toujours l'objet d'une enquête. Il n'a pas le droit de sortir de sa résidence sans permission ", a précisé jeudi le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères.
Connu en Chine bien que privé de droit de cité dans la presse chinoise depuis 2009, Ai Weiwei a été relâché, a indiqué mercredi une dépêche de l'agence Xinhua citant la police de Pékin, grâce à " sa bonne conduite " et au fait qu'il a " confessé ses crimes d'évasion fiscale ". Les autorités avaient déjà fait savoir que le militant était soupçonné de " crime économique ".
" Il semble qu'il doive rembourser et payer une amende, mais qu'il n'y ait pas de responsabilité pénale ", explique au Monde l'avocat Liu Xiaoyuan, un proche de l'artiste. Selon le spécialiste américain du droit chinois, Jérôme Cohen, le dispositif de liberté sous caution est un moyen pour les autorités de " sauver la face et mettre un terme à des cas controversés où il apparaît peu raisonnable et peu nécessaire de poursuivre le suspect ", écrit-il sur le blog de -l'Asia Law Institute de l'Université de New York. M. Cohen fait remarquer que Ai Weiwei n'a jamais été formellement accusé de quoi que ce soit.
Sa mise au secret, le 3 avril, alors qu'il allait prendre l'avion pour Hongkong, avait provoqué une vague d'indignation à travers le monde, tant il était évident que l'agitateur en chef de la Toile chinoise indisposait le régime. En Chine, toute expression de soutien au militant, dont les coups d'éclat lui ont valu des dizaines de milliers de fans sur Internet, a été sévèrement réprimée. Il est difficile de prédire la marge de liberté dont bénéficiera dorénavant ce fervent utilisateur des réseaux sociaux en ligne : les activistes chinois subissent des punitions plus sévères chaque fois qu'ils " récidivent ".
Venue couronner une vague de répression des militants des droits civiques, dans le contexte des révoltes arabes, l'arrestation de l'artiste avait provoqué un certain malaise à Pékin, le durcissement du régime étant ressenti par beaucoup comme contre-productif.
Depuis, la police politique est un peu plus prudente. La presse libérale a haussé le ton. Et des voix s'élèvent désormais jusque dans les médias du parti pour défendre une vision moins répressive de la société. Cette riposte douce, sur un ton conciliateur et pédagogue, aurait-elle porté ses fruits ? La libération d'Ai Weiwei tombe en tout cas à point nommé. Le premier ministre Wen Jiabao, la figure la plus libérale du régime, doit se rendre à partir du 24 juin en Angleterre et en Allemagne, les deux pays européens qui avaient critiqué l'arrestation de l'artiste avec le plus de vigueur.
Brice Pedroletti
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