lundi 25 mai 2015

En Inde, les dentistes de rue pallient l'absence de services aux plus pauvres

Ignorant le vacarme des bus et le regard des curieux, Allah Baksh plonge ses mains dans la bouche de son patient pour ajuster une prothèse dentaire que ce dentiste de rue de Bangalore facturera 11 euros.


Avec son tabouret en plastique, son miroir et ses couronnes dentaires faites main en exposition, Baksh est l'un des centaines de dentistes de rue qui suscitent le courroux de leurs homologues assermentés en Inde.

Mais lui réplique qu'il offre un service crucial pour des dizaines de millions d'Indiens qui ne peuvent se permettre une visite dans une clinique aseptisée.

"Des millions de pauvres dans ce pays ne peuvent s'offrir un coûteux traitement dentaire", déclare à l'AFP Baksh, 54 ans, entre deux patients depuis son cabinet de fortune.

"Ils ont aussi le droit de recevoir des soins et de bien présenter", dit-il en mélangeant du bout des doigts une pâte rose sur une cuillère. "Je sais que ce n'est pas hygiénique du tout mais si je commence à utiliser du matériel sophistiqué, les pauvres ne viendront plus".

Dentistes, cireurs de chaussures ou barbiers figurent parmi les services couramment proposés dans la rue et sont particulièrement utiles aux plus pauvres.

- 70 centimes la dent -

Baksh n'a jamais suivi de formation de dentiste: il a appris de son père arrivé en 1984 à Bangalore, devenue une capitale de la haute technologie.

Avec son plus jeune frère, son fils et son neveu, Baksh a créé sa clinique il y a 14 ans devant une station de bus où le clan familial traite une vingtaine de clients par jour.

Un jeu complet de couronnes, moulées et prêtes à la pose en 30 minutes ne coûte que 800 roupies (11 euros) et une simple fausse dent est vendue 50 roupies (70 centimes d'euro). Les instruments sont nettoyés à l'eau et au savon mais pas désinfectés.

Toutes les dents viennent de Chine et le ciment dentaire d'Inde. L'adhésif rose tendre est moulé pour s'adapter à la gencive et les dents sont insérées à l'intérieur, les dentistes assurant que leur travail tiendra au moins quatre ans.

L'Inde a adopté en 1948 une loi n'autorisant que les dentistes agréés mais l'ancienneté et le flou de cette législation laissent un espace aux praticiens non homologués.

Dans les grandes villes comme Delhi ou Bombay, les dentistes de rue se font plus rares depuis quelques années en raison de la prise de cuneonscience des risques de contracter des maladies telles que le sida, de la hausse du niveau de vie et du nombre de dentistes diplômés.

Mais ils continuent de prospérer dans les plus petites villes, même si peu offrent des traitements du canal radiculaire ou des plombages, par exemple.

"Ils doivent être encore plusieurs milliers", estime Ashok Dhoble, secrétaire général de l'Indian Dental Association, qui regroupe les dentistes agréés. "La santé dentaire en est à ses balbutiements et de façon surprenante, nous n'avons pas de chiffres sur le nombre de dentistes qualifiés en Inde", dit-il à l'AFP.

Quelque 30.000 diplômés sont formés chaque année mais l'Inde n'a qu'un dentiste pour 10.000 habitants en zone urbaine et un pour 250.000 en zone rurale, selon la National Library of Medicine américaine.

Pour Ashok Dhoble, les dentistes de fortune sont des charlatans qui ne valent pas le risque d'être consultés, malgré l'absence d'offre à bas prix pour les plus pauvres par des professionnels agréés.

"Il faut les interdire, ils seront obligés de trouver un nouvel emploi... On ne peut arguer du bas prix de ces traitements pour laisser faire ces pratiques", dit-il.

- Métier en perdition -

Dans Old Delhi, quartier très peuplé et populaire de la capitale, Satvinder Singh, 48 ans, suit la tradition familiale depuis trois générations. Il a épinglé de nombreuses photos de prothèses dentaires autour de lui pour faire sa publicité.

La hausse du nombre de professionnels et une prise de conscience accrue sur l'hygiène ont porté un coup à son métier, explique-t-il.

"Autrefois, j'avais 30 clients par jour. Aujourd'hui à peine deux", dit-il. "A mon âge, il est trop tard pour changer de métier. Mes fils n'ont pas suivi ma voie, je ne voulais pas".

Les vendeurs d'un marché d'épices situé à proximité, le plus grand d'Asie, avaient autrefois l'habitude de faire la queue pour ses couronnes en simili-or ou argent, considérées comme un symbole de leur statut social.

"Les riches et les pauvres venaient tous nous voir, mais maintenant on nous regarde de haut", dit-il.

De son côté, Baksh ne démord pas de la nécessite d'offrir ce service aux plus pauvres: "Nous avons des milliers de clients satisfaits, qui non seulement nous paient mais aussi bénissent notre présence".


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