A l'occasion de sa première visite en Chine depuis son élection, Nicolas Sarkozy a semblé vouloir changer la tonalité des relations avec Pékin, lundi 26 novembre, tournant la page du soutien ostentatoire qu'exprimait habituellement Jacques Chirac à l'égard de la puissance émergente chinoise. Les impératifs commerciaux continuent néanmoins de marquer cette relation franco-chinoise, comme l'illustre la signature pour près de 20 milliards d'euros de contrats, dont une grosse commande d'Airbus (160 appareils), et la vente par la France de deux réacteurs nucléaires de type EPR.
Les notions de " monde multipolaire " et de " partenariat stratégique et global entre la France et la Chine ", socles de l'approche de M. Chirac saluant l'avènement d'un potentiel contrepoids chinois à la puissance américaine, étaient absentes du propos de M. Sarkozy. Ce dernier a en revanche fixé les principes d'une relation " harmonieuse " avec la Chine, selon l'épithète employée par l'Elysée.
A l'issue de ses premiers entretiens avec le président Hu Jintao, le chef de l'Etat s'est exprimé devant la presse dans l'enceinte du Palais du peuple, au côté de son homologue. Il a demandé avec insistance que la Chine assume les responsabilités qui lui incombent dans le traitement des grands dossiers internationaux, comme le réchauffement climatique, les tensions monétaires, l'Iran, le Darfour, l'aide au développement de l'Afrique, la Birmanie.
A propos des droits de l'homme, tout en prenant note de " progrès " dans ce domaine depuis une trentaine d'années, M. Sarkozy a exprimé " l'attachement de la France à des progrès supplémentaires " en la matière.
La veille, devant des chefs d'entreprise français, il avait évoqué le " rôle essentiel de la Chine sur la scène économique mondiale ". Selon lui, le statut d'un pays qui " modifie par sa seule existence les équilibres du monde (...) implique des droits, mais aussi des responsabilités, c'est-à-dire des devoirs ". M. Sarkozy a par ailleurs fait état de potentiels désaccords avec Pékin, notamment à propos de l'" extraordinaire défi " représenté par la voracité chinoise en matière d'approvisionnement énergétique. Un " défi qui peut nous opposer comme il peut nous unir ", a-t-il prévenu.
Lors d'un dîner restreint en compagnie de son hôte, le président Hu Jintao, le chef de l'Etat a plaidé pour une appréciation de la monnaie chinoise, la faible valeur du yuan ne cessant de creuser les déficits commerciaux. C'est à ce sujet que les divergences ont été les plus marquées entre les deux hommes, lors d'un dialogue qualifié, de source française, de " chaleureux et naturel ".
Le président français a, durant son discours devant les hommes d'affaires, prévenu la Chine qu'elle avait " tout intérêt au respect des règles du jeu du commerce mondial ". Il a mis en avant le " principe de réciprocité " que devrait respecter Pékin à propos des investissements étrangers. Nicolas Sarkozy a fait de l'environnement un thème fort de son voyage, alors que la Chine est en passe de devenir le plus grand émetteur de gaz carbonique dans le monde, devant les Etats-Unis. " La croissance chinoise ne doit pas et ne peut pas se faire au prix d'une dégradation de l'environnement mondial ", a-t-il remarqué.
Le nouveau dialogue avec Pékin se veut incisif, mais sans verser dans la confrontation et reprend des éléments de l'héritage chiraquien. M. Sarkozy a ainsi assuré son interlocuteur que la France restait partisane d'une levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine, imposé au lendemain du massacre de Tiananmen, en 1989. Sur Taïwan, M. Sarkozy est aussi resté dans la continuité chiraquienne en dénonçant comme un " initiative unilatérale injustifiée " le projet de référendum sur le retour de l'île à l'ONU que le président Chen Shui-bian veut organiser en 2008. Quant au Tibet qui, a réitéré M. Sarkozy, " fait partie de la Chine ", le président français s'est contenté d'encourager le "dialogue entre les émissaires du dalaï-lama et les autorités chinoises ".
Le voyage de trois jours de M. Sarkozy a commencé, dimanche, par une visite, à X'ian, à " l'armée enterrée " du premier empereur Qin Shihuangdi. Le changement de ton à l'égard de Pékin avait filtré, fin août, lors d'un discours du président Sarkozy devant des ambassadeurs réunis à Paris. La Chine " transforme sa quête insatiable de matières premières en stratégie de contrôle, notamment en Afrique ", avait-il déclaré. Constatant que " le monde est devenu multipolaire ", il avait regretté que " cette multipolarité dérive plutôt vers le choc de politiques de puissance ".
Natalie Nougayrède et Bruno Philip