La Chine est en train de devenir la troisième puissance économique du globe. Sa part dans la production mondiale, mesurée en parité de pouvoir d'achat, est passée de 5 % au début des années 1990 à quelque 18 % aujourd'hui. Pour la première fois en 2007, elle aura été la première contributrice à la croissance du PIB planétaire : de plus en plus, ses innovations et ses crises, la santé de son économie, feront partie des facteurs qui conditionnent notre propre mode de vie. Or le pays demeure, pour la plupart des Occidentaux, un univers exotique et opaque. Si notre vulgate culturelle comporte quelques notions sur son passé politique et artistique, nous ignorons largement l'histoire de son économie. Un peu comme si nous entrions en contact avec les Etats-Unis à l'époque de Microsoft et de Google sans savoir ce que représentent les noms de Rockefeller, Carnegie ou Ford. Une excellente spécialiste de l'empire du Milieu, Marie-Claire Bergère, vient combler cette lacune en publiant aux éditions Perrin « Capitalismes et capitalistes en Chine ».
Une première erreur serait de voir dans le développement actuel du pays une nouveauté radicale, la conversion soudaine à l'entreprise privée d'une nation tenue depuis la nuit des temps sous la férule étatique. En réalité, la Chine a connu à partir du XVe siècle un début de développement capitaliste qui n'a rien à envier à celui de l'Europe, fondé sur « la commercialisation de la production agricole, la spécialisation des activités artisanales, la sophistication des moyens de paiement ». Pourquoi cet élan n'a-t-il pas débouché, comme en Occident, sur une révolution industrielle ? Notre sinologue en fournit les explications, mais rappelle qu'une vigoureuse résurgence du capitalisme a eu lieu dans les années 1910-1920, et que cette tradition interrompue a laissé un héritage que l'on retrouve aujourd'hui dans le développement des petites entreprises : importance des réseaux familiaux, pratique des relations mercantiles, éthique du travail et de l'épargne...
Une deuxième erreur, symétrique de la première, serait de croire à la montée d'une « bourgeoisie conquérante », d'un pouvoir économique destiné à affronter, tôt ou tard, celui des hiérarques de Pékin.
En Chine, le rôle prédominant revient au « capitalisme politique », mis au service d'une ambition nationale. Non seulement le secteur public occupe toujours une place importante, mais les grands groupes privés restent très dépendants de l'administration. Leurs dirigeants sont honorés, souvent intégrés à des instances officielles sans grandes prérogatives : l'autorité politique réussit à merveille la « fusion des élites », entre les nouveaux riches et la continuité mandarinale. De sorte qu'il ne faut, prévoit l'auteur, ni espérer une évolution démocratique (les objectifs de la bourgeoisie, prospérité et stabilité, convergent avec ceux du pouvoir), ni craindre une révolution sociale (les gouvernants ont toujours su doser fermeté et flexibilité). Bref, si voulez savoir d'où vient, et où va, ce super grand du XXIe siècle, lisez ce livre.