Hubert Védrine, était l’invité de Chine Hebdo samedi 1er décembre pour une discussion à bâtons rompus sur la Chine. Les relations franco-chinoises, la Chine dans la mondialisation et ses implications, le rapport de force EU-Chine à construire, le yuan, l’embargo : autant de sujets décryptés par l’ancien Ministre des Affaires étrangères.
Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002. Il est l’auteur du Rapport sur la France et la mondialisation et de Continuer l’histoire parus aux éditions chez Fayard respectivement en 2007.
Sur l’embargo
Écoutez l'interview de Hubert Védrine / Radio 86
"La France pense depuis des années, et je partage ce point de vue, que l’embargo, décidé après Tiananmen, n’a plus de raison d’être et qu’il devrait être levé. L’embargo en tant que tel n’a plus de sens par rapport à un pays avec lequel on a les relations que l’on voit, avec lequel on signe ces grands contrats et qui est dans l’OMC.".
La sous-évaluation du yuan
"C’est un sujet extrêmement important. Le problème économique de l’Europe, c’est la sous-évaluation du dollar et du yuan" explique Hubert Védrine. Selon l'ancien Ministre des affaires étrangères, l'Europe doit utiliser sa force monétaire notamment pour "rétablir un pouvoir de force avec la Chine. C’est un domaine dans lequel l’Europe a une unité de manoeuvre, avec la zone euro, la banque centrale et les Européens ont une approche commune" explique t-il. Il existe cependant des divergences entre les grands Européens, notamment la France et l’Allemagne, sur le fait de savoir si l’Euro trop fort est dangereux ou pas. "Mais une convergence européenne est en train de se construire sur ce point et il faut avoir une vraie politique de la monnaie en Europe pour peser face à la Chine.
L’Europe face aux fonds souverains
Face à la montée des fonds souverains, l’Allemagne a préparé un projet de loi selon lequel le gouvernement pourra freiner les investisseurs étrangers qui pourraient menacer "la sécurité allemande" ou "l’ordre public". Une proposition qui a été soutenue notamment par Nicolas Sarkozy. "Angela Merkel a posé une bonne question[I] explique Hubert Védrine. [i]Il n’y a aucun pays au monde pays au monde, ni même les Etats-Unis, qui soit complètement ouvert. Les fonds souverains, compte-tenu des moyens dont ils disposent, sont devenus un vrai problème. Il y a un travail à faire pour que l’Europe adopte une politique par rapport aux fonds souverains, non pas pour les interdire, ni pour s’en protéger mais pour leur imposer des règles : des règles de transparence et de réciprocité".
Selon Hubert Védrine, il faut que les pays européens, comme les Américains dans certains cas, assument le fait que l’on puisse dire « non » aux investissements étrangers. "Le président américain a une très grande liberté dans ce domaine, qui je pense manque à l’Europe" assure t-il. Face au fonds souverain chinois, il s’agit donc de "mettre en place des règles du jeu plus que d’interdire ou d’empêcher.
Chine et environnement
Je suis convaincu que la Chine sera dans l’accord qui viendra après Kyoto, d’autant plus que l’administration américaine suivante ne pourra pas rester en dehors". Selon Hubert Védrine, le choix de l’environnement sera également lié à des conditions internes. En effet parmi les nombreuses manifestations qui éclatent en Chine, une grande partie d’entre elles est liée à des conditions de vie dégradées par des problèmes de pollution. A terme, la Chine va devoir se joindre au reste du monde pour modifier les modes de production industrielle et agricole, les transports, le mode de vie, l’habitat "pour transformer la croissance actuelle dangereuse pour l’humanité future, prédatrice, irresponsable en une croissance écologique".
L’émergence de la Chine et la politique des autres puissances envers elle
"La question de la place et de la stratégie de la Chine dans la mondialisation concerne bien sûr au premier chef la Chine mais peut-être plus encore le reste du monde" explique Hubert Védrine. Si tout le monde est conscient aujourd’hui des mutations provoquées par l’émergence chinoise, l’avenir dépendra de l’interaction dans les années à venir entre les décisions et la politique des dirigeants chinois, et la politique et l’attitude de chacun des autres grands pôles envers elle. Quelle doit justement être la position de l’Europe face à la Chine ? "Elle doit rétablir un rapport de force avec la Chine pour être pise au sérieux explique Hubert Védrine. Aujourd’hui la Chine est vue à la fois comme un immense marché, un partenaire économique, un allié conjoncturel, un concurrent économique, industriel ou énergétique, un adversaire ou un rival, politique ou stratégique, voire une menace stratégique. " La proportion entre ces approches variera non seulement en fonctionde l'attitude de la Chine mais aussi de celle des autres pays vis-à-vis de la Chine."
Souvenirs de Chine
"Le souvenir qui se détache, c’est le fait d’avoir été le preneur de notes lors de l’entretien entre François Mitterand et Deng Xiaoping en 1983 explique Hubert Védrine. J’étais fasciné de voir François Mitterrand et de voir ce petit homme qu’était Deng Xiaoping, si petit qu’il ne dépassait pas du fauteuil dans lequel il était assis. Il avait une une voix pas très forte. C’était en 1983 mais il avait déjà pris des orientations nouvelles la Chine depuis 1978 et on avait déjà l’intuition que la moindre orientation changerait la face du monde. C’est c’est encore plus vrai avec le recul. Je suis encore plus impressioné aujourd’hui quand j’y repense. On voit qu’il a plus changé la face du monde que Mao Zedong. Ce qui se passe maintenant, c’est le résultat de l’orientation qu’il a donnée."
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Source du texte: Marion Zipfel