L'inauguration, samedi 22 décembre, du Grand Théâtre national de Chine, plus connu sous le nom d'Opéra de Pékin, marque l'achèvement du projet imaginé par l'architecte français Paul Andreu, connu pour avoir construit des aéroports dans le monde entier, principalement pour le compte d'Aéroports de Paris (ADP) jusqu'en 2003. Cette ouverture survient au moment où le gouvernement et la municipalité, après avoir passé au bulldozer l'essentiel de l'ancienne cité impériale, font mine de découvrir, par la voix du ministre de la culture, que des excès ont été commis.
Au choix : destruction massive du patrimoine, invasion des nouvelles autoroutes urbaines par un nombre croissant de voitures, urbanisation sans véritable projet. La seule colonne vertébrale semble être les Jeux olympiques d'août 2008 : sans trop savoir si l'énorme pollution de la ville ne va pas fragiliser l'événement.
Situé à une portée de fusil de la place Tiananmen, le Grand Théâtre national fait face à Zhong NanHai, centre des principaux organes du pouvoir depuis Mao Zedong, avec la feinte humilité des faibles qui se courbent devant les puissants. C'est un immense objet ovoïde, recouvert de verre et de titane, avec un rien de yin et un chouïa de yang, entouré d'une mince flaque d'eau sous laquelle il faut passer pour découvrir ce que cache le dôme.
DÉCORATION NOUVEAU RICHE
Ce passage souterrain a une similitude grandiose avec les systèmes imaginés par Paul Andreu, alors qu'il était à ADP. Il règne une atmosphère efficace de palais des congrès, ou de centre commercial. On atteint ensuite l'espace de la grande voûte, qui dissimule trois salles de 2 400, 2 000 et 1 000 places. La première peut accueillir de grandes productions lyriques à l'occidentale, des remakes d'opéras révolutionnaires, des sous-réunions du comité central du PC. La deuxième se veut symphonique, elle est dotée d'un orgue monumental de plusieurs milliers de tuyaux. La troisième abrite l'opéra chinois traditionnel qui mérite, il est vrai, de sortir de son demi-oubli.
Pas l'ombre d'une élégance dans ces salles à l'acoustique en revanche performante et qui offrent, consolation non négligeable, un bon rapport entre la scène et la salle. La décoration de l'ensemble, contre laquelle s'est battu Andreu, est la plupart du temps lourde, prétentieuse, surchargée de marbres, et pour autant inconfortable, car le mobilier manque - hors les fauteuils des salles, qui rappellent terriblement des sièges d'avion dépourvus de ceinture.
On se prend à rêver qu'allant au bout de cette décoration nouveau riche, les commanditaires de l'opéra se soient adressés aux ensembliers du Faubourg-Saint-Antoine qui fournissent déjà les émirs d'Arabie. Las, Philippe Starck, le célèbre designer français, a déjà fait appel aux mêmes fabricants de meubles ou à leurs cousins chinois pour l'immense restaurant du Lan (le Bleu), situé à quelques kilomètres, sur la même avenue. C'est donc un théâtre où les clients peuvent " se la jouer ", adapté au goût des nouvelles fortunes locales, pour qui la culture est encore un puzzle à reconstituer.
L'opéra d'Andreu reste peu apprécié des Chinois, toutes classes sociales confondues, qui y voient un projet retiré aux " génies " locaux de l'architecture et un objet incongru par rapport à l'essence de l'architecture chinoise - si tant est qu'il reste un tant soit peu d'essence qui ne soit pas vouée à tourner au pastiche.
Seuls se sont réjouis les jeunes architectes, moins parce qu'ils admirent le fameux " oeuf de canard " que parce qu'il les libère des normes enseignées dans les écoles. On peut ainsi se féliciter qu'Andreu ait ouvert la porte aux signatures brillantes de Rem Koolhaas et Ole Sheeren (avec la tour de la CCTV), d'Herzog et de Meuron (le stade olympique), et de Zhu Pei, seul Chinois de l'épopée actuelle (le Beijing Digital Center).
Frédéric Edelmann
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