vendredi 21 décembre 2007

HISTOIRE - La très inattendue victoire communiste - Jean-Luc Domenach

Marianne, no. 557 - Les Révolutions, samedi, 22 décembre 2007, p. 112

Nul n'y croyait. Pourtant, Mao et ses collègues vont conquérir le pouvoir et transformer le pays en quelques années. Un processus irrésistible...

Quand la révolution chinoise a-t-elle commencé ? Si l'on désigne le processus de conquête du pouvoir, plusieurs dates sont possibles entre la fondation du Parti communiste chinois (PCC) en 1921 et l'offensive finale de l'automne 1948. Mais ce processus est pour l'essentiel une histoire militante et militaire où la transformation sociale est peu présente.

Quand la révolution chinoise a-t-elle commencé ? Si l'on désigne le processus de conquête du pouvoir, plusieurs dates sont possibles entre la fondation du Parti communiste chinois (PCC) en 1921 et l'offensive finale de l'automne 1948. Mais ce processus est pour l'essentiel une histoire militante et militaire où la transformation sociale est peu présente. A rebours, la Révolution culturelle de la fin des années 60, qui passe en Occident pour la crête de la révolution chinoise, est désormais traitée par les témoins et par les historiens comme l'exagération délirante des conflits de pouvoir entre les dirigeants chinois. Le véritable commencement de la révolution chinoise se situe plutôt dans les années 1949-1950. C'est alors, en effet, que se conclut la révolution comme conquête du pouvoir et que commence la révolution comme processus de transformation sociale et politique.

C'est peu de dire que la victoire communiste n'a été prévue par personne : en 1948, Staline parie pour les nationalistes et le Monde assure les Français que la victoire des communistes est impensable. Mais Mao et ses collègues ont leur plan. Retranchés dans les bases rouges de Chine septentrionale qu'ils ont élargies à la faveur de la défaite japonaise, ils misent sur l'effondrement des armées nationalistes, car ils les savent mal commandées, mal nourries et démoralisées. Pour précipiter l'issue, ils les contraignent à étendre leurs lignes de communication et les harcèlent sans cesse. C'est en Mandchourie, où elle possède à la fois un abondant matériel soviétique et un excellent encadrement, que l'armée Rouge porte ses coups décisifs au cours de l'automne 1948. Lin Biao passe à l'offensive en septembre et prend Moukden en novembre : 30 divisions nationalistes s'effondrent ou passent du côté communiste. Puis c'est la ruse qui va servir : d'habiles négociations ouvrent Tien-tsin et Pékin (janvier 1949). Pendant ce temps, au prix de centaines de milliers de morts, l'immense bataille d'Huaihai ouvre la route de Shanghai, pris en mars 1949. Le reste va de soi : Canton sera occupé à l'automne, le Tibet en 1951.

Plus remarquable encore que la victoire militaire est l'efficacité avec laquelle les nouveaux pouvoirs s'installent. Dès que l'armée Rouge arrive dans une ville, elle installe un comité de contrôle qui passe ensuite la main à une " équipe de travail " civile venue du Nord, laquelle recrute sur place. Les nouveaux responsables ont pour beaucoup été formés par Liu Shaoqi et sa pléiade de collaborateurs dans le fameux " bureau de Chine du Nord ". Les exceptionnelles qualités organisationnelles de Liu en ont fait le numéro deux du PCC lors de son VIIe Congrès, en 1945, qui a consacré la primauté idéologique et politique de Mao. Mais Zhou Enlai joue également un rôle irremplaçable de chef d'état-major civil et militaire, et le Parti comprend une cinquantaine de dirigeants politico-militaires de haute valeur.

Tout paraît réussir au nouveau régime

Malgré leur expérience, tous sont effarés de recevoir la direction d'un pays aussi énorme. Ils ont peur des villes, qu'ils imaginent peuplées d'ennemis de classe. Ils attendront plusieurs mois avant de s'installer dans Pékin, derrière les murs rouges d'un parc adjacent au palais impérial. Leurs secrétaires découvrent éberlués les ampoules électriques, et les soldats qui entrent dans les grands hôtels sont tellement surpris par les ascenseurs qu'ils les arrosent de rafales de mitraillette... Mais l'administration communiste s'organise vite. C'est comme toujours l'appareil du Parti qui l'emporte sur tous les autres, mais son organisation demeure secrète. Mao Zedong répugne à prendre la parole en public, en partie parce que son accent du Sud rend ses propos incompréhensibles. Raison de plus pour négocier en grande pompe un " programme commun " avec les dirigeants d'une " troisième force " qui n'impressionne personne, et pour leur confier des postes d'apparat dans un appareil d'Etat qui ne dirige rien. La République populaire de Chine est fondée le 1er octobre 1949.

En fait, derrière les apparences " néodémocratiques ", c'est une impitoyable révolution qui commence. La réforme du mariage qu'autorise la loi du 30 avril 1950 supprime l'autorité des clans et étend le pouvoir du Parti sur la vie privée. La réforme agraire du 28 juin est l'occasion de mobiliser la paysannerie derrière le nouveau pouvoir et d'écraser la classe des propriétaires fonciers. Les meetings de lutte et les exécutions se multiplient. Les " paysans riches " et autres " mauvais éléments " sont placés sous surveillance. Dans les villes, les apparences enthousiasment dans un premier temps une population épuisée : le nouveau pouvoir rétablit l'ordre, stabilise la monnaie et remet en marche l'économie en rassurant les patrons : Liu Shaoqi va jusqu'à déclarer que " l'exploitation a ses avantages ". Ils ne perdront rien pour attendre... Les résultats sont excellents : l'industrie se redresse. Mais la véritable actualité est celle du quadrillage social que le Parti réalise peu à peu puis des immenses campagnes d'épuration qu'il déclenche. La mortalité politique de ces années terribles peut être estimée à 5 millions de personnes. En quelques mois, un immense Goulag de 10 millions de détenus - en premier lieu des prisonniers de guerre et des victimes des mouvements de masse - est investi, à travers des " armées du travail ", dans les travaux les plus difficiles de la reconstruction du pays. Bientôt arrivent les premières délégations de spécialistes soviétiques qui vont conseiller l'organisation des camps de travail...

Tout alors paraît réussir au nouveau régime. Le voyage de Mao à Moscou aboutit en février 1950 à un traité qui assure la sécurité du pays en même temps qu'une assistance financière de l'URSS. En outre, l'entrée en guerre victorieuse de la Chine en Corée fait sensation. On ignore alors que Pékin paie très cher une aide qu'il n'a pas encore reçue : une lourde dette financière à l'égard de Moscou, un développement économique retardé et des centaines de milliers de morts dont le fils aîné de Mao.

Rouge... du sang des ennemis

L'iconographie de l'époque souligne les apparences glorieuses de cette révolution : elle montre un immense soleil rouge se levant derrière la porte Tian'anmen. Mais la révolution est surtout rouge du sang de ses " ennemis " et elle porte en elle les prémices d'un avenir bien plus sombre. La surpuissance du Parti communiste le conduira à appliquer les ordres de plus en plus délirants d'un leader esseulé et jaloux. Incapable de s'opposer à un programme qu'elle n'avait pas eu le temps de connaître et de comprendre, la population obéira comme distraite, en se repliant sur ses familles : l'explosion démographique chinoise sera le fruit du malheur....

* Vient de publier Comprendre la Chine d'aujourd'hui, Perrin, 2007.

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