The Economist (Londres)
Le PIB chinois, exprimé en parité de pouvoir d'achat, est en réalité inférieur de 40 % aux chiffres officiels de la Banque mondiale. Et Pékin n'y est vraiment pour rien.
La nouvelle devrait réjouir les Américains, qui s'inquiètent de savoir dans combien de temps la Chine les dépassera sur le plan économique. Si l'on en croit de nouveaux chiffres, le produit intérieur brut chinois (PIB) serait de 40 % inférieur aux estimations actuelles. Mais ces nouvelles données, si elles se révèlent exactes, signifieraient également que la croissance mondiale a été moins forte ces dernières années que ne l'affirmait le Fonds monétaire international (FMI), ce qui n'a rien de réjouissant pour personne. Ce n'est pas Pékin qui a gonflé son PIB, mais les organisations internationales comme la Banque mondiale et le FMI, qui calculent la production de chaque pays en termes de parité de pouvoir d'achat (PPA). Si on le convertit en dollars aux taux de change du marché, le PIB de la Chine s'est élevé à 2 700 milliards de dollars en 2006, soit seulement un cinquième de celui des Etats-Unis (13 200 milliards), ce qui place ce pays au quatrième rang mondial. Mais 1 dollar permet d'acheter beaucoup plus de choses en Chine qu'en Amérique, car les prix de nombreux biens et services non échangeables [ceux qui ne peuvent être produits que localement] sont en général bien plus bas dans les pays pauvres. Par conséquent, la conversion du PIB d'un pays pauvre en dollars aux taux du marché sous-estime le poids réel de son économie. C'est pourquoi de nombreux économistes préfèrent convertir le PIB en dollars en utilisant la PPA, qui prend en compte les différences de prix entre les pays. Ainsi, l'indice Big Mac de The Economist évalue grossièrement la PPA [voir graphique]. D'autres estimations bien plus fines sont réalisées par le Programme de comparaison internationale, coordonné par la Banque mondiale, qui relève les prix de plus de 800 biens et services dans le monde. Cette institution classe ainsi l'économie chinoise au deuxième rang mondial, avec un PIB de 10 000 milliards de dollars en 2006. A son rythme actuel de croissance, la Chine pourrait dépasser les Etats-Unis d'ici à 2010. Les économistes utilisent largement cette estimation. Pourtant, rares sont ceux qui se rendent compte qu'il s'agit pour l'essentiel de conjectures, car, jusqu'à récemment, les études de la Banque mondiale sur les prix n'incluaient pas la Chine. L'organisation se contentait d'extrapoler les résultats d'une enquête réalisée dans les années 1980. L'étude comparative qu'elle devrait publier à la mi-décembre comprend la Chine pour la première fois. Et il semble bien que le PIB chinois ait été surestimé par le passé. Albert Keidel, un économiste de la fondation Carnegie Endowment for International Peace, notait récemment dans le Financial Times que, selon les chiffres en PPA fournis à la Banque mondiale par la Banque asiatique de développement (BAD), le PIB de la Chine est en réalité inférieur de 40 % à celui qu'elle publiait jusque-là. Par ailleurs, d'après la BAD, le PIB de l'Inde doit lui aussi être minoré de 40 %. A supposer que le chiffre avancé par Keidel soit correct, alors, le PIB de la Chine exprimé en PPA passe de 10 000 milliards à 6 000 milliards de dollars. L'économie chinoise n'en reste pas moins la deuxième au monde, mais elle ne dépassera pas celle des Etats-Unis avant dix ans au moins. De son côté, l'Inde descend de la troisième à la cinquième place. La Chine serait sûrement très contente de voir son PIB revu à la baisse. Elle espère que Washington cessera de harceler un pays économiquement plus faible qu'on ne le pensait. Mais les PPA corrigées ne changeront pas seulement les palmarès internationaux, elles modifieront également l'estimation de la croissance mondiale. Pour la calculer, le taux de croissance de chaque pays est pondéré par sa part dans la production totale. Selon le FMI, l'économie mondiale a crû de 5 % en moyenne ces cinq dernières années. C'est la plus forte progression enregistrée depuis le début des années 1970, en grande partie grâce aux économies émergentes et à leur taux de 7,5 % par an (contre 2,3 % pour les pays industrialisés du G7), qui représentent environ la moitié du PIB mondial. Mais, si les économies chinoise et indienne sont de 40 % moins importantes qu'on ne l'avait pensé, alors la croissance mondiale ne dépasse pas 4,5 %. La difficulté à mesurer la PPA conduit certains économistes à comparer plutôt la taille des économies sur la base des taux de change du marché. Après tout, plaident-ils, le commerce international se fait à ce taux. Ainsi calculée, la croissance mondiale des cinq dernières années est encore plus modeste : 3,4 %. On peut donc se demander si le boom mondial n'a été qu'un mirage. La réponse est négative si l'on étudie d'un peu plus près les chiffres. Mesurée à l'aune des taux de change, la part des économies émergentes dans la production mondiale en 2006 est moindre qu'en 1980, mais ces dernières ont tout de même crû deux fois plus vite que celles des pays riches. L'augmentation de leur part dans la consommation totale d'énergie, qui est passée de 43 % en 1980 à 55 % en 2006, confirme également que leur poids a augmenté. Les chiffres bruts en dollars sont faussés par les grandes fluctuations des devises. Par exemple, la dévaluation des monnaies en Extrême-Orient en 1997-1998 a grandement exagéré la chute de la production dans ces pays. Calculée en PPA, l'importance relative des pays émergents a augmenté de manière plus réaliste depuis 1980. Et, même si l'économie chinoise est moins puissante qu'on ne le pensait, elle reste impressionnante. Les données en parité de pouvoir d'achat ont beau être imparfaites, elles n'en permettent pas moins de dresser un tableau plus fidèle à la réalité. Et, comme le disait l'économiste John Maynard Keynes, "il vaut mieux avoir à peu près raison que tout à fait tort". © 2007 Courrier international. Tous droits réservés.