mercredi 26 novembre 2008

EN IMAGES - La Chine vue par Samuel Bollendorff

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Le Monde 2 - Portfolio, samedi, 19 janvier 2008
Après le reportage "Les damnés du Made in China"(cliquer sur le lien), le photographe Samuel Bollendorff dénonce les ravages de la pollution en Chine.

















Derrière les fenêtres calfeutrées de bâches en plastique, la litanie de Li Zhun Qie n'en finit pas : "Il y a la femme de Sao Tse qui est morte d'un cancer du poumon et celle de Li Tchang Xi est morte d'un cancer des os. Les deux sœurs Pang sont mortes aussi, une d'un cancer de la gorge, l'autre d'un cancer du foie. Il y a aussi la famille Pao et deux enfants de 9 ans. Go tze Tao a attrapé un cancer des poumons. Ju Wu aussi. Ces trois enfants malformés et puis cette jeune femme de 19 ans qui est morte d'un cancer du cerveau…"


A 150 km au sud-est de Pékin, Xiditou est un "village du cancer" comme il y en a des dizaines en Chine. Au moins 300 habitants sur les 7 000 que compte le village sont morts prématurément de cette maladie depuis 1999. Le plus jeune avait 7 ans. A 15 km des pelouses verdoyantes du stade de Tianjin qui accueillera les matches de football lors des Jeux olympiques de Pékin en août, le voile gris et cotonneux de l'hiver est tombé sur le village. Xiditou semble blotti dans son silence. Les usines chimiques installées depuis vingt ans y ont rendu l'air irrespirable, changé les cours d'eau en égouts immondes, et pollué les puits jusqu'à plus de 400 m de profondeur. Li Zhun Qie a découvert que son fils de 3 ans est atteint d'une leucémie. Elle ne peut payer les frais médicaux pour lui. Elle voudrait partir, pour l'emmener loin d'ici, mais elle n'en a pas les moyens, pas même de quoi acheter de l'eau minérale. Alors, comme la plupart des habitants du village, elle et son fils continuent à boire l'eau du puits en la laissant reposer vingt-quatre heures dans des bassines pour que les métaux les plus lourds se déposent au fond.

Il y a quatre jours, à quelques maisons de là, Wang Ping Ping est morte d'un cancer du foie. Son mari a tout vendu, ses terres, sa moto, son frigo pour payer les frais d'hôpital. Il ne lui reste plus rien. Même pas de quoi payer les funérailles. Mme Ni, sa mère, 76 ans, est en colère, "c'est à cause de toutes ces usines…". Il se crispe et lui dit de se taire. Dans la petite pièce qu'il loue avec sa fille et sa mère, il n'ose parler par peur des milices du gouvernement local. Passage à tabac, réquisition de terres, pressions financières et administratives, corruptions en tout genre… Les milices des autorités locales veillent au calme de Xiditou. En 2003, ils étaient plus de 300 représentants de familles de malades volontaires pour aller porter plainte. Les autorités locales se sont alors mises à l'œuvre pour anéantir cette contestation, veillant à ce qu'aucune famille ne témoigne. Liu Jing Xing, professeur à l'Institut de recherche pour la protection de l'environnement à Pékin, a bien tenté de venir faire des tests sur l'eau de Xiditou, mais il était systématiquement accueilli par la police.

Les eaux prélevées par les habitants ont révélé des taux de plomb 300 fois supérieurs au seuil dangereux pour l'homme, des taux d'hydroxyde de benzène 10 000 fois trop élevés, des bactéries en tout genre, des fluorures… En collectant les dossiers de plus de 300 cas de cancer dans le village, Wang De Hua a pris la tête de la contestation villageoise. Lorsqu'il a alerté les autorités de Pékin, il a eu pour réponse un passage à tabac par les milices du gouvernement local, et une première condamnation à un an de travaux forcés. L'industrialisation du pays et les impôts que perçoivent les fonctionnaires locaux ne sauraient souffrir de la compassion portée à ces destins humains. En Chine, les taux de cancer sont classés "secret d'Etat". Mais le taux recensé par les habitants du village, vingt fois supérieur à la moyenne nationale, a quand même alerté la presse chinoise en 2005. Les usines responsables des pollutions les plus visibles ont alors été fermées et ont perçu des aides des autorités chiffrées en millions d'euros. Certaines ont néanmoins continué à opérer clandestinement, la nuit, en employant des ouvriers originaires de provinces éloignées méconnaissant les dangers de leur nouvel emploi.

A quelques mètres de là, Zhao Qing, 19 ans, gît sur une couche, son corps ne s'est pas développé parce qu'elle est atteinte d'une maladie dégénérative du cerveau. Son père travaillait dans une des usines de pesticides de Xiditou. "On a trop de situations comme la vôtre, allez-vous-en ! On ne peut pas s'occuper de tout le monde." : depuis qu'il a porté plainte, les autorités locales refusent de lui donner les papiers qui lui permettront de toucher les aides nationales. La détermination de Wang De Hua pour l'indemnisation des habitants de son village fut, quant à elle, définitivement anéantie par les autorités locales lorsqu'il fut condamné pour récidive à huit ans de travaux forcés pour "grave atteinte au gouvernement national . Sa femme était placée en garde à vue pendant toute la durée de notre séjour.

Huo Juinwei, vice-gouverneur de Xiditou et responsable du développement industriel, est désolé de voir toutes ces usines fermées. "C'était un très bel investissement pour les entreprises, c'est une grande perte pour le district. N'écoutez pas ce que disent les paysans, le rapport entre les problèmes d'environnement et les cancers n'a jamais été prouvé…" L'interview, réalisée en présence de la police et filmée par le directeur de la propagande, garantit la qualité du discours officiel. "Mais nous réservons une belle surprise aux villageois, nous allons raser le centre pour faire une grande place avec des parcs pour qu'ils puissent faire du sport…" A Pékin, les jeux olympiques s'annoncent bien, le gouvernement local y veille.

Samuel Bollendorff avec Abel Ségrétin

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