Pas de doute : plutôt que de devenir les géants rivaux d'Asie, la Chine et l'Inde sont en train d'opérer un rapprochement stratégique sans précédent. C'est la conclusion qui s'impose après le voyage à Pékin que vient d'effectuer Manmohan Singh, le Premier ministre indien. Même si les zones d'ombre demeurent, et bien que les réalisations concrètes se comptent sur les doigts d'une main, les deux pays ont signé un texte par lequel ils s'engagent à « explorer ensemble et avec d'autres pays une nouvelle architecture pour une coopération régionale plus étroite en Asie ». Comme pour donner l'exemple, Pékin et New Delhi ont également été ambitieux pour leur relation commerciale bilatérale, en plein essor. Ils s'étaient déjà engagés, en 2006, à porter leur commerce bilatéral à 40 milliards de dollars d'ici à 2010. Ils ont revu ce chiffre à la hausse de moitié, en constatant que les 40 milliards ont déjà été frôlés l'an dernier. Toutefois la dépréciation du dollar explique une partie de cette performance. Autre bémol : le commerce bilatéral est de plus en plus déséquilibré. Selon New Delhi, le déficit de l'Inde vis-à-vis de la Chine a atteint 9 milliards de dollars en 2007, contre 4 milliards en 2006 (6,5 milliards selon la Banque asiatique de développement). Manmohan Singh a donc plaidé pour « un plus grand accès des produits indiens au marché chinois ».
Sur le plan diplomatique, les deux pays ont également fait assaut de bonne volonté. Pékin a reconnu à New Delhi le droit à l'obtention d'un siège permanent dans le cadre d'un futur Conseil de sécurité de l'ONU élargi. Et l'Inde a déclaré faire sien le principe d'une seule Chine, qui nie l'existence d'un Etat taïwanais autonome.
Un épineux dossier frontalier
Pour autant, aucune annonce substantielle n'a été faite sur l'épineux dossier frontalier qui oppose les deux pays depuis la guerre éclair qu'ils se sont livrée en 1962. Malgré les récents signaux positifs - en particulier la tenue d'exercices militaires conjoints - Pékin et New Delhi semblent peu enclins à lâcher du lest sur ce dossier. La Chine continue d'occuper des territoires qu'elle a annexés en 1962 et de revendiquer l'Etat indien de l'Arunachal Pradesh. Compte tenu du caractère « symbolique et non stratégique » de ces territoires, cela fait dire à Christophe Jaffrelot, directeur du Ceri-Sciences po et spécialiste de l'Inde, que « Pékin veut garder une carte dans sa manche pour éviter par exemple que New Delhi rouvre la question du Tibet ou se rapproche trop fortement de Washington ». Enfin, les deux pays ont signé un accord sur le nucléaire civil, par lequel Pékin s'engage à apporter son soutien à New Delhi pour qu'il se dote de l'énergie nucléaire.
Certes, ce n'est là qu'une déclaration d'intention, puisque l'Inde est encore un état « paria » en matière nucléaire, du fait qu'elle a développé la bombe atomique et n'a jamais signé le Traité de non-prolifération (TNP). La normalisation de son statut nécessitera donc un consensus international et risque de prendre encore du temps. Mais le jour où les 45 pays membres du groupe des fournisseurs de nucléaire devront se prononcer à l'unanimité sur cette question, on peut désormais penser que Pékin ne mettra pas son veto. Se dessine d'ailleurs, sur cette question, une sorte de « front des grands émergents ». Dans un discours remarqué, Manmohan Singh a plaidé pour que les pays industrialisés, qui ont eu autrefois tout le loisir de polluer à leur guise, ne donnent pas aujourd'hui de leçons à la Chine et l'Inde en matière de ressources énergétiques.
GABRIEL GRÉSILLON
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