Pour pouvoir filmer un alpiniste chinois brandissant la torche sur le Toit du monde trois mois avant l'ouverture des JO de Pékin, les autorités n'ont pas lésiné. Au sommet de l'Everest, la pression atmosphérique est trois fois plus faible qu'au niveau de la mer. Les techniciens de China Aerospace ont donc imaginé de placer la torche sous " assistance respiratoire ". La flamme olympique sera alimentée par un mélange de propane et d'oxygène. Mais comme ce brûleur produirait la même flamme bleue et peu photogénique qu'un réchaud à gaz, une deuxième rasade d'oxygène sera " vaporisée " dessus pour produire une belle lumière jaune.
Un jour de mai 2008, trois mois avant l'ouverture des Jeux de Pékin, un alpiniste chinois doit brandir la flamme olympique au sommet de l'Everest, à 8 848 mètres d'altitude. Grâce aux équipes de la CCTV, ce temps fort du compte à rebours des JO 2008 pourra être retransmis en direct dans le monde entier.
Pékin ne laissera rien au hasard pour que la réussite soit complète et que le symbole ait toute la portée voulue. Selon le plan approuvé par le CIO, ce " défi aux capacités humaines, sommées en quelque sorte d'atteindre de nouveaux sommets de courage et d'endurance " permettra de " transmettre un message de paix et d'amitié et partager la joie et la passion des Jeux avec le monde entier ". Le monde verra donc la torche olympique briller sur Qomolangma, le sommet de la Chine et du monde. Après avoir " mis en valeur les paysages du Tibet ", la torche poursuivra son " itinéraire de la concorde ", portée par près de 22 000 volontaires à travers une centaine de villes chinoises, pour atteindre Pékin le 8 août, jour de la cérémonie d'ouverture.
A première vue, c'est limpide comme l'air des hautes altitudes. Mais quand on y regarde de plus près, le projet se révèle à la fois complexe et pas aussi désintéressé que l'idéal olympique.
Le premier obstacle est d'ordre physique. Au sommet de l'Everest, la pression atmosphérique est trois fois plus faible qu'au niveau de la mer, une flamme s'essouffle aussi sûrement qu'un homme. Les techniciens de China Aerospace ont donc imaginé de placer la torche sous " assistance respiratoire ". De même que les alpinistes chargés de la porter sur le Toit du monde utiliseront de l'oxygène en bouteille, la flamme olympique sera alimentée par un mélange de propane et d'oxygène. Mais comme ce brûleur produirait la même flamme bleue et peu photogénique qu'un réchaud à gaz, une deuxième rasade d'oxygène sera " vaporisée " dessus pour produire une belle lumière jaune. Après essais, le Comité d'organisation assure que la torche pourra résister à des vents de 65 km/h - un seuil souvent franchi sur les pentes supérieures de l'Everest...
Une fois réglée la question de l'outil, reste un petit casse-tête logique. Le capitaine Wang Yongfeng, chef de l'équipe des alpinistes, a annoncé que le relais " commencerait à 8 300 mètres d'altitude ". Comment l'ascension peut-elle " démarrer " à une altitude où aucun hélicoptère n'est capable de se poser ? La solution est un petit tour de passe-passe : après avoir été allumée à Olympie, la flamme va se dédoubler à son arrivée à Pékin, le 31 mars. Une première torche partira pour un tour du monde d'un mois, tandis que son clone gagnera le camp de base de l'Everest puis se mettra en position au dernier camp, à 8 300 m. Une fois la flamme de retour en Chine, le 4 mai, le relais pourra s'arrêter à tout instant pour ouvrir la parenthèse himalayenne. Le jour J, quand les conditions météo seront bonnes, les caméras de CCTV suivront en direct l'ascension vers le Toit du monde, puis sa descente jusqu'à Lhassa, où la torche numéro 2 attendra le passage de la torche numéro 1.
L'ascension du Toit du monde n'est certes plus l'aventure qu'elle resta pendant le premier quart de siècle suivant la victoire de Tenzing et Hillary. Mais elle reste aléatoire. Pour assurer le succès, les organisateurs ont un atout : la logistique. Depuis une quinzaine d'années, le versant chinois de l'Everest est " occupé " chaque printemps par des expéditions commerciales qui sécurisent la montagne avec l'aide de sherpas venus du Népal et, de plus en plus, du Tibet.
Cette mécanique est bien rôdée : installées dans des camps de base tout confort, commandant leurs légumes frais par téléphone portable dans la ville tibétaine voisine, ces expéditions emmènent jusqu'à 80 % de leurs clients au sommet. Plus de 600 alpinistes ont réussi l'Everest en 2007. Cet automne, le guide néo-zélandais Russell Brice, l'un des plus expérimentés des tour-opérateurs du Toit du monde, est passé à Pékin pour régler l'organisation de cette saison particulière. Comme chaque année, il dépensera 30 000 dollars pour que son équipe de 30 sherpas équipe la montagne, de la base jusqu'au dernier mètre, d'une ligne de vie ininterrompue : 10 km de cordes fixes. A Pékin, il a obtenu l'autorisation de rester présent à l'Everest ce printemps. Il collaborera avec les 80 alpinistes chinois du team olympique pour équiper la montagne, puis une fois l'opération flamme achevée, le business reprendra comme d'habitude, chaque client des autres expéditions acquittant un " péage " de 100 dollars pour l'utilisation des cordes fixes.
Au pied de l'Everest, il y aura des tonnes de matériel de diffusion acheminées par camion, des antennes géantes pour le réseau de China Mobile, un radar, un ballon pour les prévisions météo... Les 100 km de piste menant au camp de base ont été transformées en quatre mois en une route moderne. Tout est prêt pour le show, en direct... ou presque. Les téléspectateurs chinois verront, comme d'habitude, les images en très léger différé : quelques secondes, le temps d'intervenir en cas d'imprévu.
Une répétition générale de l'opération Everest a été organisée en secret au printemps 2007. Avec succès, à un détail près. Le 25 avril, trois jeunes militants américains de Students for a Free Tibet ont déployé au camp de base une banderole détournant le slogan olympique : " One world, one dream, free Tibet ". L'un d'eux, portant sur son tee-shirt orange " Non à la flamme au Tibet ", a allumé une " torche de la liberté " et entonné l'hymne national tibétain. La date n'avait pas été choisie au hasard. Le 25 avril était le jour du 18e anniversaire du panchen lama, le second plus haut dignitaire du bouddhisme tibétain, détenu depuis l'âge de 6 ans. " Le gouvernement chinois espère utiliser les Jeux pour dissimuler la brutalité de son occupation du Tibet et se faire accepter sur la scène internationale comme un pouvoir moderne, expliquent les militants sur leur site Internet. Le mont Everest n'est pas en Chine, il est au Tibet, tout près de l'endroit où des garde-frontières chinois ont tiré sur des réfugiés tibétains en septembre dernier " (une jeune femme avait été tuée). Les militants ont été arrêtés, puis expulsés. Après avoir récidivé cet été en déployant une banderole sur la Grande Muraille, les militants ont promis de ne pas en rester là : " La Chine peut s'attendre à des protestations de même nature avant et pendant les jeux. "
Pékin est prêt à tout pour diffuser des images de " concorde " lors des " jeux du peuple ". Le cyberdissident Jing Chu avait écrit des articles contre la tenue à Pékin des " Jeux olympiques menottés, qui n'apporteront que du malheur à la population ". Il a été arrêté le 20 décembre 2007 pour " subversion du pouvoir de l'Etat " et risque plusieurs années de prison.
Petit rappel pour ceux qui seraient tentés de voir dans cette affaire un dévoiement des idéaux olympiques : le logo des cinq anneaux de couleur, dessiné par Pierre de Coubertin, fut popularisé en 1936 lors des JO de Berlin. Le premier relais de la flamme olympique eut lieu cette année-là, et fut un triomphe de la propagande nazie.
Charlie Buffet
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