jeudi 3 janvier 2008

PORTRAIT - Guy Ullens, le baron belge et l'art contemporain chinois

Le Monde - Culture, mercredi, 2 janvier 2008, p. 16

Première institution culturelle privée à but non lucratif dans ce pays, elle est aussi la première ouverte par un étranger.
C'est le nouvel horizon de l'art contemporain : la Chine, ses milliers d'artistes et ses centaines de milliers de millionnaires. Avec pour symbole, désormais, l'Ullens Center for Contemporary Art (UCCA), qui a ouvert ses portes le 2 novembre. Cadeau du baron belge Guy Ullens à la communauté chinoise.

Pékin Envoyée spéciale - C'est le nouvel horizon de l'art contemporain : la Chine, ses milliers d'artistes et ses centaines de milliers de millionnaires. Avec pour symbole, désormais, l'Ullens Center for Contemporary Art (UCCA), qui a ouvert ses portes le 2 novembre. Cadeau du baron belge Guy Ullens à la communauté chinoise, ce luxueux centre d'art se veut pionnier : c'est la première institution culturelle privée qui, en ce pays, se réclame être à but non lucratif; la seule qui réponde aux exigeantes normes muséales internationales; la première ouverte par un étranger.

A la tête d'une des plus grosses collections d'art chinois au monde, Guy Ullens explique son geste par sa passion pour l'empire du Milieu, où ses affaires l'ont fréquemment amené. Aujourd'hui à la retraite, âgé de 72 ans, il se consacre tout entier à sa collection, estimée à environ 1 300 oeuvres, et à son amour pour sa femme Myriam, qui participe à ses aventures esthétiques.

L'ouverture de l'UCCA, en plein coeur de la friche industrielle de Dashanzi surnommée 798, a été accueillie avec un consensus étonnant : des apparatchiks aux amateurs d'art asiatique venus du monde entier, tous se disaient épatés par ce précieux outil. D'une ancienne usine d'armement, l'architecte Jean-Michel Wilmotte a fait un écrin tout de blanc et de béton ciré.

« Dans un tel pays, où il est parfois si difficile de travailler, être parvenu si vite à créer un tel lieu tient du miracle », relève un observateur de l'art en Chine. « Au début, pour convaincre les autorités, nous avons été obligés de nous mettre tout nus, de montrer tout ce que nous faisions, raconte Guy Ullens d'un air amusé. Mais ce pays est très en demande, et nous étions très motivés. Quand on aime, on ne compte pas. Du moins tant qu'on peut. »

UN BAIL DE SEPT ANS

On n'en saura guère plus sur les sommes allouées au projet par ce tycoon qui a hérité de la fortune familiale élaborée dans le sucre, avant de racheter la firme Weightwatcher : tout juste que les travaux ont coûté 5 millions d'euros, et que le couple s'est séparé récemment de quelques dessins de Turner (contre 15 millions d'euros) pour financer son initiative.

Il l'espère financièrement autonome d'ici cinq ans : grâce aux revenus du restaurant gastronomique installé là, de la librairie et à l'intervention de mécènes internationaux (la Chine, en ce domaine, a encore tout à apprendre). En dépit de ces jolies sommes, le pari reste risqué : « communisme » oblige, il est impossible ici d'être propriétaire d'un bâtiment. Les Ullens se sont donc engagés sur un bail de sept ans. Mais ils ont très bon espoir de voir le lieu perdurer au-delà.

D'autant que les autorités municipales voient en lui plus d'un atout : l'UCCA leur permet d'officialiser définitivement ce quartier qu'elles ont longtemps considéré d'un mauvais oeil. Squat alternatif investi par les artistes il y a une dizaine d'années, cet immense terrain mêle aujourd'hui usines de puces électroniques et galeries branchées; mais aussi restaurants et boutiques de mode.

Longtemps menacé par les bulldozers, Dashanzi jouit depuis un an d'une reconnaissance officielle, en se voyant classé « district dévolu aux entreprises de création ». Mais la victoire semble amère aux artistes pionniers, évacués depuis peu. Coriaces, ils se sont délocalisés vers le district de Caochangdi. Pour certains, c'est néanmoins l'esprit mercantile qui a gagné.

RECORDS D'ENCHÈRES

Car l'art est, aux yeux de beaucoup de Chinois, une affaire d'argent plus que de plaisir. Avec leurs artistes qui battent chaque semaine de nouveaux records aux ventes aux enchères à coups de millions d'euros, la frange la plus riche de la société commence à voir dans l'art de belles perspectives de spéculation.

Une alternative aux jeux immobiliers qui tentait d'abord surtout les Chinois de Taïwan et de Singapour, mais qui séduit chaque jour un peu plus ceux du continent. En cinq ans, les prix de l'art contemporain chinois ont progressé de 440 %. Dans la mesure du possible, l'UCCA tente de s'inscrire contre cette obsession spéculative. Certes, ce projet est un superbe outil de valorisation pour la collection Ullens (qui y sera exposée à l'été 2008, pendant les Jeux olympiques).

Mais « notre but est de traiter de l'art chinois de façon muséa le, non conditionnée par le marché », insiste Jan Debbaut, conseiller du projet. « Dans une situation chinoise complètement spéculative, nous voulons offrir une véritable réflexion esthétique, éduquer le public chinois à l'art de son pays, mais aussi à l'art international et, un peu plus tard, aider à former des commissaires d'exposition chinois. Même si, bien sûr, de telles initiatives ne peuvent manquer d'avoir une influence sur le marché. »

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