mercredi 13 février 2008

La Chine, arbitre d'une possible récession mondiale - Henry Ho

Le Temps, no. 3094 - Economie, mercredi, 13 février 2008

Les bénéfices des sociétés chinoises sont incertains en raison de la crise américaine des crédits tout d'abord, qui a contaminé tous les marchés et, deuxièmement, à cause de la surchauffe de l'économie chinoise ainsi que, troisièmement, des bénéfices et liquidités des entreprises sur le marché des actions.

Les prix des actions des entreprises chinoises ont été affectés par la crainte d'une baisse du retour sur investissement pour les actionnaires d'une part, une prime de risque élevée pour les actions ainsi que leur faible évaluation d'autre part. Ces prochains mois, les marchés boursiers resteront volatils et la faible visibilité des bénéfices pourrait exercer une pression baissière sur les actions.

Il faudra attendre le deuxième trimestre 2008 pour estimer l'impact réel de la crise des crédits. Lecours des actions chinoises devrait augmenter durant le deuxième trimestre, en fonction des perspectives globales. Car c'est un problème global, qui échappe au seul contrôle de la Chine. Nous avons nous-mêmes réduit nos attentes concernant la croissance et les taux d'intérêt pour 2008 aux Etats-Unis. La croissance américaine devrait être inférieure à 1% durant le premier semestre, avant de se reprendre. La probabilité d'une récession est de 40%.

Des instituts chinois ont pris des participations dans des banques d'investissement américaines en plein milieu de la crise (par exemple Citic Securities dans Bear Sterns et China Investment Corp. dans Morgan Stanley). Cela traduit une prise de conscience. Les décideurs chinois veulent adopter une approche flexible et garantir la stabilité de la croissance. Pour la Chine, la croissance devrait être de 9,8% en 2008, ce qui correspondrait à un intéressant équilibre entre le ralentissement et la surchauffe domestique.

Les sociétés de type H cotées à Hongkong connaîtront une croissance des bénéfices d'au moins 20% en 2008, soit un peu moins que ne le prévoit la moyenne des analystes.

La consolidation de l'industrie (notamment dans les secteurs du ciment, de l'acier et de la brasserie), la réforme des actions non échangeables en 2005, les baisses d'impôts au profit des compagnies locales, l'amélioration de la gouvernance d'entreprise et les incitations à la performance sont d'importants micromoteurs susceptibles de soutenir la profitabilité.

Mais que deviendront les actions chinoises si les Etats-Unis entrent en récession? On peut facilement imaginer un scénario pessimiste d'une demande globale faible et d'une Chine où les bénéfices seraient médiocres. Mais ce scénario est hasardeux. Durant une crise, les investisseurs devraient viser un horizon à plus long terme. En outre les Etats-Unis continueront à chercher le moyen d'éviter une récession. Et la Chine pourrait modifier sa politique restrictive.

La Chine a «importé» la croissance globale en exportant des produits chinois. En période de croissance médiocre, la Chine peut agir pour soulager la faiblesse générale en soutenant une croissance domestique forte. En 1998, lorsque de nombreux pays asiatiques ont permis la dévaluation de leur monnaie, elle a pris le risque de perdre sa compétitivité en optant pour la stabilité du renminbi, dans un effort pour ne pas déstabiliser plus encore l'économie asiatique.

Le gouvernement chinois s'est montré préoccupé par l'allure déraisonnable d'un «char à trois chevaux». Les trois chevaux sont les exportations, l'investissement et la consommation intérieure. Les projets d'investissement en Chine pourraient devoir affronter des vents contraires lorsqu'ils demanderont des autorisations et des crédits bancaires. Lorsque les exportations vacillent et que des signes de ralentissement dans la croissance des investissements apparaissent, nous pensons que les inquiétudes concernant «un char lancé à pleine vitesse» peuvent s'apaiser.

La Chine se trouve dans une position fiscale suffisamment forte pour entreprendre une action contra-cyclique. Son soutien à la croissance mondiale reste élevé, particulièrement en termes de consommation et de demande d'investissement. En 2008, la Chine devrait donc réussir son atterrissage en douceur, du moins si l'on part de l'hypothèse que l'économie parviendra à éviter une récession. Toutefois, nous n'excluons pas la menace d'une récession américaine durant la première moitié de 2008. Mais nous pensons que, dans ce cas, la Chine saura détendre sa politique restrictive.

Les actions chinoises ont fait l'expérience de marchés baissiers en 1994, 1998 et 2004. La correction actuelle ressemble de près à celle de 2004.

Durant 2007, la surchauffe économique de la Chine a été moins sérieuse que celle de 1993, lorsque l'indice des prix à la consommation a atteint 25% et s'est traduit par des restrictions sévères des crédits. En 1998, l'effet déflationnaire de la dévaluation des monnaies asiatiques et le ralentissement économique aigu étaient sans doute plus forts que l'actuelle politique restrictive de la Chine. La surchauffe économique de 2007 ressemble plutôt à celle de 2003.

Les bénéfices des entreprises ont connu des temps difficiles durant les périodes qui ont suivi 1994 et 1998, en raison d'une déflation et d'une politique restrictive vigoureuse. Après 2004, la croissance des bénéfices s'est brièvement tassée avant de reprendre sa tendance haussière. Une récession américaine inciterait la Chine à desserrer son parti pris restrictif durant la seconde moitié de 2008 et la croissance des bénéfices se poursuivrait jusqu'en 2009. Ce modèle serait dans la droite ligne du cycle des profits de 2004 à 2007.

La hausse des marchés de 2003 a atteint son apogée en janvier 2004, et l'indice des actions H a corrigé de quelque 35% pour atteindre son plus bas en mai. Durant ce mois, les marchés ont même assisté un jour à une chute de plus de 10% de la plupart des principales actions chinoises; une situation similaire à celle que nous avons vécue durant l'avant-dernière semaine de janvier. Nous pensons que le minikrach de janvier est un signe de capitulation. Au plus bas, la chute a été de 42% par rapport au pic de décembre.

A partir de quel niveau des investisseurs à long terme peuvent-ils considérer acheter en ces temps de faible visibilité? En utilisant l'évaluation des marchés comme guide, nous estimons que les niveaux d'entrée sont de 11600 pour l'indice H, ou de 12000 en faisant l'hypothèse que la croissance des bénéfices sera de zéro en 2008 et que le multiple des bénéfices retourne à sa moyenne. La moyenne de ces deux niveaux nous donne un objectif d'achat de 11900.

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Henry Ho est stratégiste actions pour l'Asie chez Lehman Brothers

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