Bruce Gilley
Far Eastern Economic Review (Hong Kong)
Alors que la communauté des opposants en exil pleure l'ancien dirigeant, le spécialiste britannique de la Chine Bruce Gilley dresse un portrait critique de ce personnage qui est passé à côté de son rôle historique.
Il incarnait une période de l'évolution politique de la Chine passée, mais qui reste encore d'actualité. Zhao Ziyang fut le dernier d'une série de dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) qui essayèrent de tenir les promesses de démocratisation du Parti par une dynamique de changement à partir du sommet. On a laissé passer cette chance, et le changement, si jamais il se produit, se fera bien plus dans l'urgence et le désordre.
D'un autre côté, cependant, Zhao représentait une constante de la culture politique de l'élite chinoise qui entravera la consolidation de toute avancée démocratique. A la différence des figures héroïques d'autres mouvements démocratiques en Asie et ailleurs, Zhao ne s'est pas battu jusqu'à la fin, préférant vivre selon les termes d'un accord à l'amiable conclu avec ses geôliers, les partisans de la ligne dure, ces forces mêmes dont le renversement devait être le combat de sa vie. Son obéissance ultime à l'Etat et au pouvoir traduit un aspect profondément ancré dans l'histoire de la culture politique chinoise, qui a empêché le développement dans ce pays d'un authentique mouvement d'opposition parmi les élites. En l'absence d'un tel mouvement, les perspectives de démocratisation restent plus faibles que jamais.
A l'évidence, en relatant la vie de Zhao, il est important de ne pas négliger tout le bien qu'il a fait en lançant les premières réformes économiques, dans la province du Guangdong, dans les années 1960. Ensuite, il a encouragé les expériences du même type qui avaient lieu au Sichuan et qui jetèrent les bases du "système de responsabilité des ménages" adopté ultérieurement [au début des années 1980] dans l'ensemble du pays. Ce soutien permit l'instauration de l'économie de marché dans l'agriculture, avec un succès tel que d'autres réformes économiques allaient suivre.
Il voulait prendre la tête de la démocratisation
Il faut également reconnaître à Zhao le mérite d'avoir introduit dans le Parti une série de réformes administratives d'une importance capitale dans les années 1980. Mais dans tous les pays, le passage à la modernité présente de multiples facettes. L'expérience montre que la plus importante est la capacité de l'Etat à traiter des divergences politiques, au sein de l'élite comme de la société.
Zhao et ceux qui lui survivent ont hérité d'une crise constitutionnelle léguée par la Révolution culturelle. Mais ils n'ont pas réussi à la dénouer, et c'est un véritable baril de poudre qui subsiste au sein d'une société chinoise de plus en plus récalcitrante. Zhao était l'une des seules personnalités bénéficiant d'une base politique et sociale suffisante pour diriger des changements politiques depuis le sommet. Son échec s'explique en partie par son manque de combativité.
Les convictions de Zhao ne sont pas en cause. Au plus fort des manifestations de 1989 sur la place Tian'anmen, il a averti les dirigeants du Parti qu'ils ne pouvaient pas faire fi de la vague de démocratisation et qu'ils devraient en prendre la tête plutôt que de se laisser emporter par elle. "La démocratie est une tendance mondiale", avait-il affirmé devant le Bureau politique, le 1er mai 1989. "Si le Parti ne brandit pas la bannière de la démocratie dans notre pays, quelqu'un d'autre le fera et nous serons les perdants. Je pense que nous devons prendre la tête du mouvement et non traîner derrière, à contrecoeur."
Zhao ne pouvait pas prévoir à quel point ses paroles se révéleraient prophétiques. En deux ans, les régimes communistes allaient s'effondrer à travers l'Europe et l'Asie centrale et, en dix ans, la démocratie allait également l'emporter en Indonésie, en Tanzanie et en Afrique du Sud, pour ne citer que ces pays.
Zhao avait également vu juste en prédisant que, une fois qu'il aurait été limogé et que les manifestations auraient été réprimées, le flambeau de la démocratie échapperait aux mains du Parti. Depuis 1989, les forces démocratiques se sont résolument mises en dehors du Parti - comme le montrent l'éphémère création du Parti de la démocratie chinoise, en 1998, et les veillées monstres organisées à Hong Kong le 4 juin de chaque année.
Pourtant, Zhao lui-même a refusé d'obéir à la logique de ses propres paroles. Quand il disait que "nous" serions les perdants, il s'exprimait en tant que chef du Parti. Mais au lieu de prendre ses distances par rapport à ce "nous" après 1989, il s'y est accroché avec obstination, acceptant les contraintes qu'on lui imposait. Une discipline amorale de l'organisation, et non des aspirations démocratiques basées sur de grands principes, voilà le triste héritage laissé au final par Zhao. Pour lui, le Parti n'est jamais devenu "eux".
Dans de nombreux mouvements de démocratisation qui ont lieu dans le monde - sinon dans la plupart d'entre eux -, les réformistes ou les élites progressistes ont dû mettre leur propre vie en péril lorsque les partisans de la ligne dure ont tenté d'enrayer ce qu'ils considéraient à juste titre comme un glissement irréversible vers la démocratie.
Il n'a pas rompu avec la tradition du Parti
Mais Zhao, lui, après 1989, perdit toute volonté de se battre pour la démocratie. Pour dire les choses crûment, il personnifia même si bien l'échec que l'on est tenté de mettre un sérieux bémol à l'appréciation positive de son passé réformiste. Et après tout, les autres réformistes et modérés de la Chine communiste - Zhou Enlai, Deng Xiaoping, Hu Yaobang, entre autres - avaient participé avec enthousiasme au mouvement antidroitier [antilibéral] de 1957 et à la collectivisation maoïste qui fit entre 30 et 40 millions de victimes chez les paysans. La vérité, difficile à admettre, est peut-être que seuls les militants purs et durs, si modérés soient-ils, parviennent au sommet de la hiérarchie du Parti.
Pourtant, ce ne sont pas les structures mais les hommes qui écrivent l'Histoire. Plus que quiconque, Zhao avait une chance de rompre avec la tradition et les structures du Parti, et de devenir ainsi un héros. Au lieu de quoi, il choisit de rentrer dans le rang et de se conformer à une culture politique qui veut que l'élite n'évolue qu'au sein de l'Etat - une culture que le Parti utilise avec tant d'efficacité. Aussi, en son absence, la cause fut reprise par ceux qui avaient été politiquement proches de lui.
Le secrétaire de Zhao, Bao Tong, ses principaux conseillers politiques, Chen Ziming et Wu Guoguang, et des amis comme Zong Fengming ont continué d'écrire pour plaider en faveur des réformes. Pour cela, ils subirent le harcèlement du pouvoir et furent jetés en prison, longtemps après que leur mentor se fut réfugié dans un silence assourdissant. La plupart des photos de Zhao prises après 1989 le montrent sirotant un thé dans un bureau aux murs tapissés de livres ou améliorant son swing sur les terrains de golf. Pour un homme qui aurait pu changer le cours de l'Histoire, c'est une façon bien décevante de finir sa vie.
L'Histoire poursuivra son cours, évidemment. Mais le prix d'une transition démocratique en Chine sera probablement bien plus élevé que nécessaire. On ne peut exiger de quiconque plus que ce que Zhao a donné. Mais on peut en attendre plus de quelqu'un avant de l'appeler un héros. Zhao, finalement, ne mérite pas cet hommage. Et sans de tels héros, le retard politique de la Chine demeurera le plus gros risque que courra cette superpuissance émergente.
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